Je voudrais remercier très sincèrement tous les responsables des groupes. Pour moi, ce texte a beaucoup de sens dans une société où prévaut malheureusement le chacun pour soi ou le sauve-qui-peut. Comment faire émerger un nouvel ADN de la concertation et régler les inévitables conflits ?
L'acte I de nos travaux consiste à reconnaître le travail de médiation car, comme le disait François Ruffin, ces 12 000 personnes se sentent invisibles. L'acte II consistera à élaborer une vraie formation aux normes de l'Afnor et à créer quatre écoles pour préparer aux métiers de la tranquillité publique et des médiations sociales. Ces métiers sont en effet divers : à Bordeaux, il y a des médiateurs spécifiques pour la communauté rom ; en Seine-Saint-Denis, 285 médiatrices et médiateurs interviennent dans les écoles. Et puisqu'on parle d'école, je peux vous citer l'exemple d'un lycée marseillais où le médiateur avait repéré un gamin qui pleurait seul dans la cour depuis plusieurs jours ; grâce au lien de confiance tissé avec l'adulte, ce gamin a pu expliquer qu'il était victime d'inceste. Voilà, pour moi, ce que sont les métiers de la médiation.
Il n'est donc pas question de financement dans cet acte I, qui est l'étape de la reconnaissance. Mais je veux aller plus loin, avec vous : montrons qu'à l'Assemblée nationale, nous pouvons de temps en temps travailler ensemble ! Si nous ne pouvons pas le faire, comment pourrions-nous le demander aux autres ?
Disons les choses comme elles sont. Dans une ville dont je tairai le nom par respect pour le maire, j'ai pu parler au médiateur de l'école mais pas à celui du collège, sous prétexte que j'appartiens au groupe Renaissance. La région m'a expliqué qu'elle ne s'entendait pas avec la présidente du département, alors qu'elle ne me parlerait pas non plus. Dans une autre ville, j'ai demandé aux médiateurs des transports en commun s'ils travaillaient en réseau avec ceux des autres domaines pour couvrir tous les cas, du gamin de maternelle jusqu'à la femme vivant seule dans un HLM. « On n'a pas le droit », m'ont-ils répondu. Quant aux bailleurs sociaux, ils ne m'ont pas encore donné les chiffres que je leur demande sur les coûts induits liés à l'embauche de médiateurs. Dans la prévention spécialisée, certains m'ont dit qu'ils ne reconnaissaient pas les médiateurs – parce qu'il n'a pas de diplôme, on ne reconnaît pas le petit Yassine qui travaille avec les habitants dans une Maison des projets du Nord. Et je pourrais aussi parler des travailleurs sociaux, des assistantes sociales. On marche sur la tête ! En fait, personne ne travaille ensemble. C'est un vrai problème et ce sera le but de l'acte II.
Il y a treize métiers dans le travail social. Pour ne rien vous cacher, la direction générale de la cohésion sociale m'a suggéré de ne pas définir un « vrai » métier pour l'instant, de plutôt expliquer que la médiation sociale se fait au travers de tous les métiers. Ce n'est pas vrai. On reconnaît le métier d'éducateur spécialisé. Le médiateur, c'est le porteur d'eau, la personne qui va au bas des immeubles le soir, qui repère le besoin de santé. Pourquoi croyez-vous que La Poste investit 10 millions d'euros dans la médiation, ou EDF ? À la communauté urbaine de Lille, il y a des médiateurs pour l'énergie, qui aident les personnes à obtenir un étalement de leurs factures en cas de difficultés. Voilà ce qu'est faire société. Pour que les gens vivent ensemble, il faut qu'ils fassent ensemble.
Il faut donc créer une école, mais aussi imaginer des conventions pluriannuelles. Dans vos circonscriptions, vous trouverez des directeurs de structures qui passent des dizaines d'heures tous les ans à remplir un dossier pour savoir si la mairie prolongera le financement de ces postes. Que fait-on de ces jeunes payés au Smic, qui ne savent pas si on les gardera l'année suivante ? Ils portent un t-shirt « médiateur » mais ils ne sont pas formés, ils sont parfois plus en difficulté que les gens qu'ils veulent aider ! Dans l'acte II que j'aimerais construire avec vous, j'envisage d'instaurer des conventions de six ans, avec un contrôle au bout de trois ans – ce qui est normal puisqu'il s'agit d'argent public.
S'agissant des départements, je pense qu'il vaut mieux conseiller que contraindre, contrairement à ce que propose un amendement. Je sais que certains d'entre eux ne veulent pas entendre parler de prévention spécialisée, ça ne les intéresse pas. Mais on ne va pas régler les problèmes de la société avec la seule police, ce n'est pas possible ! La solution passe par un triptyque : éducation, prévention, répression.
J'ai auditionné la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale de la police nationale et des représentants de polices municipales. Tous ont déploré l'absence d'un maillon : ils ne sont ni des assistantes sociales, ni des médiateurs. Cela étant, lorsque j'étais adjoint à la cohésion à Montpellier, j'avais engagé un policier national et un médiateur qui pouvaient intervenir en cas de problèmes de voisinage ou d'autres soucis. Quand des gamins rouillent au bas d'un immeuble, allez-vous demander l'intervention de la brigade anticriminalité ? Avant la répression dure, il faut parler aux gens en amont !
Quand une femme de ma ville me demande de mettre en prison son ado de 16 ans qu'elle n'arrive plus à gérer, je me dis que je n'ai pas fait mon travail. Non, nous ne faisons pas notre travail. La politique de la ville, c'est trente ans de lâcheté, nous avons pratiqué l'entre-soi, nous avons parqué les pauvres à certains endroits et dit aux riches qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'on gérait la misère – mais il s'agit d'un autre débat. Je n'imagine pas que les médiateurs vont régler tous les problèmes de la société, le chômage, les violences faites aux femmes. Néanmoins, quand je vois que 160 000 gamins sont victimes d'inceste, je me dis que nous pourrions les repérer si nous avions 1 100 médiateurs à l'école. En étant un peu moins lâches, nous pourrions protéger ces futurs adultes. Bref, l'idée est bien de dépasser le cas des QPV : il faut modifier l'ADN de notre société pour être capables de se parler.
J'en viens aux 4 000 adultes-relais, dont le coût est de 100 millions d'euros. En Occitanie, l'adulte-relais est souvent un jeune non formé auquel on fait un contrat de trois ans. Que fera-t-il au bout de ces trois ans ? On n'en sait rien. Selon la nomenclature actuelle, l'adulte-relais est uniquement centré sur les QPV. Il faudra que nous le fassions évoluer ensemble.
L'audition qui m'a le plus marqué est celle de Frédérique Agostini, ancienne magistrate et désormais présidente du Conseil national de la médiation. Lorsque nous l'avons reçue, vendredi dernier, elle nous a dit que si elle avait connu la médiation plus tôt, elle aurait jugé autrement. C'est cela que je vous propose de faire ce matin, chers collègues : rendre visibles des personnes qui ne le sont pas.
S'agissant de la formation, je vous ai parlé des quatre écoles, des normes Afnor, d'un code de déontologie. Avec France Médiation, nous avons déjà monté un observatoire auquel je suis prêt à vous associer.
Michel Sala nous reproche de mettre trop l'accent sur la répression. J'ai visité quatorze villes lors de la préparation de cette proposition de loi et j'en avais visité cent vingt dans le cadre du plan Action cœur de ville. J'ai été frappé d'entendre des personnes me dire qu'elles n'avaient que faire des médiateurs, qu'elles voulaient du « bleu », des flics. J'ai passé du temps à expliquer que la répression ne pouvait régler tous les problèmes de la société, qu'un travail en amont était nécessaire. Que faire face à des jeunes de 10 ou 12 ans qui gagnent 200 euros par jour à faire le guet pour des dealers au bas d'un immeuble ? Comment leur expliquer qu'une autre société existe, que chacun a une pépite de talent ? Quand des femmes et des hommes sont démunis et n'arrivent pas à assurer l'éducation de leurs gamins, il faut remettre de l'humain. Ce n'est pas avec internet, Telegram ou TikTok que nous allons résoudre les problèmes de la société.
Ce texte a été préparé avec les associations de médiation. Il y a deux mois, nous en avons reçu deux cent cinquante à la salle Colbert. Lundi prochain, lorsque la proposition de loi passera en séance, cent membres de structures de médiation seront en tribune. S'il n'est pas parfait, ce texte va nous permettre de donner un statut aux médiateurs et peut-être de parler déjà de l'acte II.