Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 9h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Nathalie Delattre, sénatrice :

Merci, Madame la présidente. Je vous ai fait parvenir la note que j'ai rédigée à la suite des incendies qui ont touché la Gironde. Ce document, que j'ai voulu très pragmatique, balaie différentes problématiques d'importance variable. La sécurité civile n'est pas mon métier, et je n'avais jamais eu l'occasion, avant l'été 2022, d'observer de près le travail des pompiers en situation de crise, dans le cadre de la défense des forêts contre l'incendie (DFCI).

Au Sénat, nous étions alors sur le point d'achever une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. Vous avez sans doute rencontré ses membres, qui sont de bien meilleurs connaisseurs de la question que moi. J'ai néanmoins souhaité rédiger cette note à la lumière de ce que j'avais vu, même si un parlementaire n'a aucun rôle à jouer dans le combat contre ce type d'incendies. En effet, lorsqu'un sinistre d'une telle ampleur se produit, c'est le préfet de région qui prend la main, en coordination avec le ou les maires concernés.

Il n'en demeure pas moins qu'après avoir été évacuée, je me suis d'abord rendue au PC sécurité qui se trouvait près de chez moi afin, comme beaucoup d'autres, de proposer mes services bénévolement. Étant sénatrice depuis 2017, je connais bien le territoire et ses élus locaux ; je suis donc restée sur les lieux. J'ai ainsi vécu le quotidien de l'ensemble des décideurs présents dans les PC sécurité girondins. Je me suis rendue dans la quasi-totalité d'entre eux, dans la mesure où trois départs de feu ont eu lieu presque simultanément : l'un dans le Médoc, un autre à Landiras et le dernier à La Teste-de-Buch.

Le 13 juillet 2022, j'ai accompagné en Gironde le ministre de l'intérieur, qui m'a proposé d'effectuer le déplacement en avion. J'ai ainsi rencontré le préfet Alain Thirion, alors directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ce dernier m'a informée des premières décisions prises par le ministre, qu'il avait la charge de faire appliquer. Le survol du territoire m'a permis de prendre la mesure de la situation. J'ai constaté que les incendies de Landiras et de La Teste étaient très rapprochés. On ne pouvait pas, à ce moment, exclure qu'ils se rejoignent. De fait, quand ils ont été maîtrisés, ils n'étaient séparés que par une faible distance.

Dès le lendemain de mon arrivée, nous avons été évacués. Le préfet m'a annoncé que je disposais de deux heures pour quitter mon domicile. J'ai alors mesuré à quel point nous étions peu préparés à ce type d'événements – si vous me permettez cette comparaison, lorsque vous partez à la maternité pour un accouchement, vous disposez d'une liste d'effets personnels à emporter dans votre valise pour le séjour. Dans ce contexte de crise, nous n'avons pas reçu de consignes et, pour ma part, je n'ai pas pris tout ce qu'il aurait été nécessaire d'emporter. Je me suis immédiatement rendue au PC sécurité de La Teste-de-Buch. J'y ai passé les journées qui ont suivi – tout en me rendant régulièrement à Landiras – et me suis déplacée avec le PC, puisque, face à la progression de l'incendie de La Teste-de-Buch, il a dû migrer trois fois pour être situé toujours au plus près du feu ; il en a été de même du côté de Landiras.

J'ai porté sur les événements un regard de citoyenne, en contact avec les décideurs. Le recul aidant, j'ai dressé dans ma note un certain nombre de constats. Le premier d'entre eux a trait à la résilience et à la recherche d'efficacité des personnes mobilisées. La coordination de l'action des différents acteurs m'a paru très bonne. La préfète de région a pris la mesure de la crise, a su déléguer à ses sous-préfets et interagir constamment avec eux, ainsi qu'avec le contrôleur général du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et avec les élus locaux.

Des dysfonctionnements ont certes eu lieu, mais chacun a pu s'exprimer et la préfète – ainsi que, de manière plus générale, les représentants de l'État – ont fait preuve d'une grande proximité et se sont efforcés de répondre aux difficultés.

Il a fallu consacrer une attention particulière aux nombreux journalistes, qui ne respectaient pas toujours les consignes et pouvaient mettre en danger les sapeurs-pompiers.

Quant aux habitants, leur réflexe, humain, était de chercher à observer le déroulement des événements, par curiosité ou par souci de leurs biens ou de leurs animaux, lorsque ces derniers n'avaient pas été pris en charge. Personne n'imaginait que les incendies dureraient dix jours, et les conditions n'étaient pas toujours réunies pour que chacun ait pu mettre à l'abri son chat ou son chien, sans parler des animaux d'élevage.

De fait, les habitants se sont rapidement inquiétés pour leurs bêtes, et il a fallu envisager une manière de leur permettre de revenir chez eux pour les récupérer ou les nourrir, tout en préservant leur sécurité. Certains ont prétendu posséder des animaux pour pouvoir simplement récupérer leurs effets personnels. Des individus venant de l'extérieur ont tenté de commettre des vols ou des cambriolages.

Ces situations n'avaient pas été anticipées et posaient des problèmes inédits. Il a été décidé que la police escorterait les demandeurs un à un jusqu'à leur domicile pour vérifier qu'ils l'habitaient bel et bien. Cette procédure, particulièrement longue, a été d'autant plus difficile à appliquer que la police devait gérer concomitamment l'évacuation d'autres secteurs. Il a donc fallu renoncer à cet accompagnement individuel et inciter les propriétaires à évacuer le plus grand nombre d'animaux afin de réduire autant que possible le nombre de personnes ayant besoin de revenir chez elles.

Des entrepreneurs ont également souhaité revenir pour préserver leurs équipements ou leurs marchandises. Il a fallu évaluer les risques au cas par cas.

La plupart des personnes qui n'ont pu se rendre dans le périmètre de sécurité défini par l'arrêté préfectoral s'y sont résignées d'assez bonne grâce et sont restées relativement sereines, pour peu qu'une réponse ait été apportée à leurs questions – y compris les entrepreneurs, bien qu'ils aient perdu leur production ou une partie de leur chiffre d'affaires.

La note que j'évoquais au début de cette audition comprend trois chapitres. Le premier est consacré aux conditions de déploiement des forces et aux interrogations portant sur le matériel employé.

Une croyance locale, qu'entretenaient les pompiers eux-mêmes, voulait que la forêt de La Teste-de-Buch soit trop humide pour être la proie d'un incendie. Or, après deux semaines de canicule, il a suffi qu'un véhicule prenne feu pour qu'elle s'embrase rapidement. La zone où l'incident a eu lieu n'était pas couverte par le réseau téléphonique. Le conducteur du véhicule en flammes a donc perdu un temps précieux avant de pouvoir prévenir les autorités.

À leur arrivée, les pompiers n'ont pas demandé immédiatement l'intervention d'avions ou d'hélicoptères : ils pensaient pouvoir faire face au feu depuis le sol. C'est seulement en fin d'après-midi que la demande a été envoyée ; or, les avions ne décollent pas la nuit, faute de l'équipement nécessaire. Leur décollage a donc dû attendre l'aval du ministre, le lendemain matin. Une dizaine d'avions, soit la grande majorité de la flotte disponible, était déjà sur place à mon arrivée – il n'y avait en effet pas d'autre feu important sur le territoire national. Tous les moyens étaient donc mobilisés pour protéger la Gironde, mais le feu avait déjà considérablement progressé.

Des pompiers professionnels, venus d'autres territoires, sont venus appuyer les pompiers locaux, mais ils ne connaissaient pas nécessairement le terrain, ce qui allait occasionner des difficultés. Tous ont fait preuve d'une volonté de fer : ils perdaient des combats mais, malgré la fatigue, retournaient au feu sans relâche.

Un appel a rapidement été lancé aux pompiers volontaires, mais ceux-ci ont rencontré le même problème qu'une partie des élus locaux. Certains d'entre eux, en effet, sont salariés. Or, il est toujours difficile de faire comprendre à leur employeur que le mandat ou la fonction, en cas d'urgence, prime leur activité professionnelle. Leur présence est importante, car ils savent où résident les personnes fragiles ou isolées. La fine connaissance des élus locaux – qui, pour certains, n'ont pas dormi pendant plusieurs jours –, a permis d'éviter des décès. Nous devons améliorer le statut de l'élu local ou, à tout le moins, réfléchir aux relations entre l'élu local ou le sapeur-pompier volontaire et son employeur dans ces périodes particulières.

La contribution budgétaire des communes aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) est calculée à partir de la situation démographique que l'on connaissait en 2002. Or, depuis cette date, la population de la Gironde s'est accrue en moyenne de 20 000 habitants chaque année, dont un tiers au sein de la métropole, un tiers dans le bassin d'Arcachon et un tiers dans le reste du département. Pour pouvoir exercer son activité dans des conditions correctes, le SDIS a donc dû constamment marchander avec les élus, ce qui n'est pas tenable. Il convient de réévaluer les sommes qui lui sont accordées, tout en prenant en compte les préoccupations des communes qui, ayant perdu des habitants depuis 2002, craignent de voir leur situation se dégrader. Une période transitoire sera sans doute nécessaire.

Le président du département a rapidement mis en avant les problèmes que posaient la mobilisation et la répartition des moyens aériens du SDIS. Les difficultés de ce type doivent être analysées dans le cadre d'un retour d'expérience et non sur le moment, sous peine de créer des polémiques préjudiciables à la bonne gestion de la crise.

Il faut avoir en tête que les avions ne peuvent pas voler lorsque la fumée est trop épaisse et qu'ils doivent être répartis entre les différents territoires touchés. Il faut également assurer le ravitaillement en eau et la fourniture de produits retardateurs de feu. Le personnel spécialisé sait parfaitement ce dont il a besoin et à quel moment il en a besoin. Même si le président du département est aussi président du SDIS, il me semble que, dans ces périodes, nous devons laisser faire les professionnels.

Nous avons besoin d'avions capables de voler la nuit, équipés de détecteurs thermiques, et d'hélicoptères en mesure de faire des lâchers beaucoup plus précis. Immédiatement après les grands incendies, des réflexions ont été lancées sur la répartition des moyens. Je trouve très bienvenue la décision qui a été prise récemment de créer des bases « filles », qui abriteront un certain nombre d'avions et assureront une maintenance aéronautique légère, tandis que la maintenance lourde sera l'apanage de la base « mère », à Nîmes. Cette organisation me paraît de nature à répondre efficacement à des événements tels que ceux que nous avons connus. Lorsqu'on entre dans une période critique, il faut avoir des avions prépositionnés susceptibles d'intervenir rapidement sur des feux naissants. La base mère, quant à elle, nécessite des investissements très lourds et du personnel qu'il faut trouver au sein des armées ; or, le recrutement est rendu difficile par la concurrence des entreprises du secteur aéronautique. On constate de nombreux débauchages d'ouvriers de l'État par le secteur privé. Il est difficile, dans ces conditions, de multiplier les bases mères.

Il nous faut développer une culture commune à l'échelle de l'Europe qui nous conduise à appliquer les mêmes techniques de défense, adaptées à la nature du terrain. Nous devons disposer d'une flotte européenne pour pouvoir engager des actions massives. Les crédits européens devraient être mobilisés pour permettre l'achat groupé des matériels. Les Canadair ont répondu aux attentes à un moment donné, mais ils ne sont pas dotés des dernières innovations technologiques, tels que les détecteurs thermiques. De surcroît, ils sont construits à l'étranger. Pour satisfaire la demande d'achat rapide d'avions, j'appelle à ce que l'on se tourne vers les entreprises européennes. Airbus est disposé, si nous le souhaitons, à passer très rapidement d'une phase projet à une phase conceptuelle. Dassault a présenté au Bourget un projet d'avion bombardier d'eau qui est déjà entré dans une phase conceptuelle et pourrait être prêt très rapidement. Nous devons disposer d'un Buy European Act et développer notre propre filière. Il nous faut faire preuve de résilience et défendre notre souveraineté.

Les drones que la police a mis à disposition ont permis aux pompiers de prendre de bonnes décisions. On trouve des modèles de drones relativement performants pour un coût de 2 500 euros. Il conviendrait d'acquérir un plus grand nombre de ces matériels, qui assurent une veille nuit et jour et peuvent aller au plus près du feu en réduisant l'exposition de nos pompiers au danger.

J'en viens aux questions logistiques. L'armée est intervenue rapidement car elle se trouvait à proximité des feux. Le SDIS a été soutenu par un grand nombre de bénévoles qui ont préparé des sandwiches et des glaces, ce qui a contribué à soutenir le moral des pompiers, dont le nombre s'est élevé jusqu'à 3 000, au plus haut de l'activité. Les élus locaux ont dû trouver des endroits où les loger. L'armée, elle, est autonome et peut intervenir plus vite. Les pompiers de La Teste-de-Buch ont grandement apprécié de pouvoir boire froid grâce à la présence de la tour frigorifique de la criée, alors que cette ressource n'est en principe jamais disponible à proximité d'un grand incendie. L'une des problématiques, à laquelle on ne pense pas toujours, est de maintenir la fourniture aux pompiers de boissons fraîches.

Les bénévoles, engagés notamment dans la défense de la forêt contre les incendies (DFCI), ainsi que les chasseurs, ont proposé d'accompagner les pompiers venant d'autres régions afin de les faire bénéficier de leur connaissance du territoire. Si on les avait autorisés à le faire, cela aurait peut-être permis d'éviter que des véhicules ne se trouvent embourbés dans des terrains marécageux des Landes. Il faut réfléchir à la possibilité de permettre à ces personnes d'embarquer avec un équipage.

Pour ce qui est de la prévention, on constate que la transmission familiale ne se fait plus et que tous les enfants de France ne se promènent plus en forêt. On doit reparler de la prévention à l'école, mais aussi dans un cadre extrascolaire. Il faudra attendre plusieurs années avant que cette démarche ne produise ses effets. Cela étant, elle ne doit pas se limiter au jeune public, mais concerner la société dans son ensemble. Il serait souhaitable que les communes à risque tiennent des stands sur la prévention lors des fêtes municipales. Il faut multiplier les messages, car les gens ne connaissent plus les réflexes à adopter : un couple avait ainsi organisé un barbecue en forêt, à Sauternes, alors même que le mégafeu de Landiras était en cours.

En cas d'évacuation, il serait utile de fournir à la population une liste de recommandations, en particulier sur ce qu'il est indispensable d'emporter. Les gens devraient préparer une mallette contenant les papiers importants. Selon le temps dont ils disposent, ils devraient aussi penser à emporter des objets tels que les bonbonnes de gaz, qui peuvent se transformer en projectiles et propager le feu sur plusieurs centaines de mètres. Il faut aussi avoir les bons réflexes au sujet des animaux. On pourrait par exemple insérer ces recommandations dans les dépliants, distribués à la population, qui présentent les bonnes pratiques en matière de débroussaillement.

Lors du mégafeu de La Teste-de-Buch, l'hippodrome a constitué la dernière zone de repli du PC sécurité. Les propriétaires des 450 chevaux les ont évacués rapidement, de leur propre initiative, vers des haras ou d'autres hippodromes. Cela s'est fait plutôt sereinement.

Le zoo, quant à lui, a été un peu oublié. Le PC sécurité, installé un temps sur le parking du zoo, a été évacué. Les consignes données à ce moment-là n'ont pas été très claires. Au départ, aucune alerte n'a été donnée, ni aucune préconisation formulée. Même si l'on dispose d'un plan de prévention, on ne prend conscience de certaines réalités que lorsque l'événement survient. Pour évacuer un éléphant ou une girafe, il faut un camion spécifique qui se commande six mois à l'avance. Il a donc fallu protéger les animaux, sur place, contre le feu et la fumée. Toutefois, un certain nombre de zoos sont venus spontanément récupérer des animaux au moyen de leurs camions. Des singes sont morts au cours du trajet, sous l'effet de la chaleur, les camions ayant été pris dans les bouchons consécutifs à l'évacuation – la police avait d'autres priorités que de faire la circulation. Finalement, les vents ont tourné et le zoo a été épargné. Les choses n'ont pas été assez anticipées, même si des plans ont été signés avec l'État. On doit en tirer les leçons. Il conviendrait notamment de procéder à des mises en situation.

Sur un autre plan, le cendrier ne fait plus partie des équipements de série des voitures neuves. Or, le jet de mégot est la principale cause des feux de forêt. Un combat est à mener pour rendre les cendriers obligatoires, ce qui pourrait nous épargner quelques incendies – même si certains me rétorqueront que cela peut constituer une incitation à fumer.

Beaucoup d'entreprises n'ont pas été indemnisées parce qu'elles se trouvaient à plus de 300 mètres du feu. Or, les personnes concernées n'ont pas pu entrer dans le périmètre de sécurité et sauver leur production.

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