La question pourrait se poser de savoir pourquoi le diffuseur que nous sommes produit certains contenus. L'internalisation de la production a deux causes.
D'abord, il s'agit de conserver la maîtrise de notre ligne éditoriale, s'agissant notamment de nos magazines d'information. En tant que directeur de publication, nous sommes responsables des contenus diffusés sur nos antennes. Nous avons de nombreux partenaires, notamment des agences de presse. Pour des raisons notamment juridiques et de signalétique, il importe de conserver la maîtrise de notre ligne éditoriale.
Ensuite, il s'agit de conserver la maîtrise des droits d'auteur, s'agissant notamment des émissions de divertissement. Il y a vingt ans, la télévision faisait l'objet d'une exploitation linéaire – je caricature un peu. De nos jours, l'exploitation a lieu en amont, par exemple dans le cadre d'avant-premières le jour de la diffusion, et en aval, dans le cadre de la télévision de rattrapage à sept et parfois vingt-huit jours, et de l'exploitation à plus long terme de nos catalogues.
Par ailleurs, l'exploitation se développe sur de nouveaux réseaux, notamment les réseaux de distribution alternative tels que YouTube et les réseaux sociaux. Pour un diffuseur qui, comme nous, finance souvent très en amont les contenus diffusés sur nos antennes, il importe de conserver la maîtrise des droits et d'être à même d'exploiter les diverses diffusions.
Par ailleurs, le monde de l'audiovisuel évolue très vite. Certaines plateformes n'existaient pas il y a quelques années. Nous devons donc adapter en permanence l'exploitation des droits. À cette aune, certaines négociations prennent du temps. Elles n'en permettent pas moins aux producteurs comme aux diffuseurs d'anticiper le mieux possible les exploitations futures, que nous ne maîtrisons pas toujours à leur apparition. En ce sens, nous prônons une part de dépendance, que nous inscrivons dans le cadre de nos obligations, à défaut de nos stratégies, et une part internalisée.
C'est vrai aussi pour le cinéma. Avec SND (Société nouvelle de distribution), le groupe M6 produit et distribue de grands films, comme celui consacré à l'abbé Pierre, ce qui ne nous empêche pas de vendre des droits à des concurrents. Un grand nombre de films de la SND sont ainsi diffusés, par la suite, sur le service public. Tout cela n'est pas antinomique : on peut internaliser tout en ayant des partenariats créatifs avec des sociétés externes.
J'insiste sur ce point : il est impossible, quand on est une chaîne de télévision, d'être suffisamment créatif tout seul. Il n'y a qu'à regarder les antennes des différents groupes pour s'en convaincre : beaucoup de formats ont été créés par des sociétés de production, qui mènent des investissements de recherche et développement (R&D). Nous ne pouvons pas, je le dis haut et fort, nous passer de la production indépendante. Elle a une créativité et un savoir-faire que nous ne maîtrisons pas, même si nous avons des impératifs de maîtrise des droits.
La chronologie des médias a évolué, après une négociation très longue. Les nouveaux acteurs qui sont apparus, comme les plateformes, ont non seulement des obligations mais aussi, en matière de droits, des fenêtres de diffusion. Nous veillons, du côté des chaînes gratuites, à ce qu'il y ait toujours une protection pour les fenêtres gratuites – je rappelle que tous les acteurs qui nous précèdent dans la chronologie sont payants. Nous avons, pour notre part, un mode de financement par la publicité, et nous pouvons ainsi nous adresser au plus grand nombre. Si nous sommes capables de diffuser l'Euro 2024, c'est parce qu'il y a en France des droits – et des obligations – pour les chaînes gratuites. Elles peuvent ainsi diffuser du cinéma et de grandes compétitions sportives. Sinon, il faudrait imaginer un monde dans lequel tout deviendrait payant. La chronologie des médias doit permettre de protéger l'exploitation gratuite dans l'intérêt du plus grand nombre de Français.
S'agissant de l'émergence de nouvelles sociétés de production, il y a une sorte de paradoxe. Il existe beaucoup de sociétés de production, ce qui montre que la barrière d'entrée n'est pas si haute qu'on pourrait le croire. De nombreuses petites sociétés produisent qui un documentaire, qui un programme, mais un mouvement de consolidation a lieu, parfois au niveau mondial – comme l'a dit Alexia Laroche-Joubert, des formats développés dans un pays peuvent ensuite voyager. Néanmoins, je préfère ne pas trop m'exprimer à ce sujet, car nous sommes moins concernés que d'autres, comme Banijay.
Les conventions font l'objet d'âpres discussions – il y a parfois de la concurrence pour les autorisations – mais je considère que le dialogue est constructif. En général, une chaîne discute avec un syndicat qui représente tout le monde de la production. Celui-ci est relativement fragmenté, mais bien organisé pour ce qui est des négociations. Les conventions assurent un équilibre et vont un peu plus loin que le régime minimum. Elles sont particulièrement surveillées par l'Arcom, et nous les respectons, évidemment.