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Intervention de Claire Sécail

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 10h30
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Claire Sécail, chargée de recherche CNRS au Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis), université Paris Cité :

Oui, il me paraît évident, pour commencer par votre deuxième question, qu'il faut protéger l'information, étant entendu qu'on est obligé de faire avec la circularité ou l'hybridité des contenus – certains, nativement numériques, sont légitimés, exposés et amplifiés sur des chaînes de télévision, d'autres sont des contenus de télévision amplifiés par l'écosystème numérique. Tout cela est compliqué à démêler mais, par respect pour le travail d'information, les images non informationnelles ou non journalistiques, quelles que soient leur nature, leur source ou leur provenance, doivent être encadrées d'une manière beaucoup plus forte qu'aujourd'hui.

Je travaille actuellement sur CNews et plus particulièrement sur « L'Heure des pros », une émission de Pascal Praud. Dans ce programme, le détachement à l'égard des critères de l'information honnête se fait petit à petit, par le biais des réseaux sociaux, qui permettent d'introduire des contenus. En 2016-2017, aucune image n'était utilisée dans « L'Heure des pros » pour insuffler un débat ou dynamiser une discussion. C'est venu progressivement : les communautés numériques étant beaucoup plus politisées, poursuivant des objectifs militants bien identifiés, on peut sélectionner certaines de leurs vidéos pour orienter la discussion sur le plateau.

Il existe donc un usage des contenus nativement numériques qui est problématique pour l'information. C'est un élément qui me semble commun à des émissions de divertissement, telles celles de Cyril Hanouna, et à des programmes plus sérieux avec des chroniqueurs moins issus du divertissement, comme ce que fait Pascal Praud.

Pour ce qui est du libelle que vous avez évoqué, mes recherches ont porté effectivement sur l'évolution du discours. Après mon étude sur l'élection présidentielle de 2022, j'étais un peu frustrée d'avoir pris le train en marche et de ne pas comprendre d'où venaient les choses. Il faut dire que le résultat de mon premier travail était à l'opposé de mes attentes : je m'étais demandé comment une émission de divertissement pouvait sensibiliser aux enjeux d'une élection aussi importante, alors que la question, en réalité, était plutôt de savoir comment cette émission faisait un travail politique !

Il m'a fallu du temps pour remonter dans les archives, comprendre l'évolution des discours et démêler les thématiques. Il me semble qu'il est fondamental de comprendre pourquoi ces dernières ont émergé et suivant quelle chronologie. Je ne connais pas d'autre émission qui soit ainsi passée, sans changer de dispositif ni de décor, d'un genre télévisuel à un autre, c'est-à-dire d'une émission de critique de télévision à une émission de divertissement, avec une bande ou un effet de troupe, puis à un talk de société ayant un biais idéologique.

Cette évolution considérable s'est faite par étapes. D'abord, Cyril Hanouna a essayé de mener un travail de réparation d'image après ses premières sanctions, en 2016-2017, à la suite de canulars homophobes et de propos sexistes, en investissant un peu plus le champ des discours de lutte contre les discriminations. Puis la bascule s'est faite sur C8 – ce qui montre qu'il y a une logique de groupe, de système – en septembre 2018, avec la création de « Balance ton post ! ». C'est cette émission qui a permis à Cyril Hanouna de traiter des questions d'actualité et petit à petit, par effet de porosité, de basculer dans une émission de divertissement comme « Touche pas à mon poste ! ». Le processus a connu une sorte de point d'achèvement fin 2020 ou courant 2021, mais c'est par « Balance ton post ! » que s'est produit l'enrôlement d'un animateur de divertissement dans un projet idéologique qui a permis de légitimer des prises de parole ultramarginales dans la société et ne correspondant pas forcément à des courants de pensée ou d'opinion très pluralistes.

La question qui se pose ensuite est celle de la bascule vers le populisme pénal, à l'occasion du traitement d'affaires judiciaires en cours ou d'éléments de cadrage un peu plus thématiques, reposant sur des statistiques ou des comportements de masse, sans s'arrêter précisément sur des faits particuliers. Ces deux cadrages, épisodique et thématique, servent de rouleau compresseur pour attaquer l'État de droit, notamment les institutions pénales et le Parlement. Un des députés membres de votre commission, Karl Olive, est d'ailleurs allé sur le plateau de Cyril Hanouna pour lui demander des excuses après son dérapage à l'égard de Louis Boyard – bien qu'issu d'un autre parti, d'une autre sensibilité politique, Karl Olive se sentait lui-même attaqué par cette façon de traiter un représentant de la nation. Ses propos, très critiques, ont été censurés sur les réseaux sociaux : ils n'ont pas été mis en ligne, alors que la chaîne valorise toujours, pour chaque invité, une petite séquence.

Tout cela va à l'encontre de nos institutions, de la démocratie représentative, des processus dont nous avons besoin – la démocratie, c'est long, c'est de l'échange, et c'est coûteux. C'est pour cette raison que je vois dans cette façon de faire un objet populiste. Il y a là un travail politique pour donner une expression à certaines idées en court-circuitant tous les leviers, tous les corps intermédiaires, tous les chaînons indispensables à notre démocratie.

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