Il convient à ce sujet de distinguer les chaînes d'information des autres chaînes généralistes – C8 pouvant être considérée à part. L'étude que j'ai réalisée avec Nicolas Hervé notamment révèle de façon frappante le changement de type de programmation qui a suivi la reprise en main du groupe Canal+ par Vincent Bolloré. L'ensemble des programmes d'information – qualifiés comme tels non par nous, mais par l'Institut national de l'audiovisuel – ont ainsi quasiment disparu de la grille de Canal+. Sur cette chaîne en particulier, cela peut se comprendre : c'est un choix de ligne éditoriale. Ce qui est problématique, c'est que l'on constate aussi une diminution de ces programmes sur la chaîne CNews, considérée, dans sa convention avec l'Arcom, comme une chaîne d'information en continu. De plus en plus d'émissions relèvent donc du divertissement ou du talk-show, et l'évolution du type d'invités suit l'évolution des programmes.
Dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias en France, Laurent Lafon et David Assouline préconisent qu'un certain nombre de chaînes, notamment celles d'information en continu, allouent un investissement minimal à la production de l'information. Je pense pour ma part que cet investissement devrait être défini plus précisément encore, en part du chiffre d'affaires. La relative bonne santé financière de CNews aujourd'hui ne provient pas tant de l'augmentation de ses recettes, notamment publicitaires, que de la très forte diminution des coûts qui lui a été imposée lors du changement d'actionnariat : la majorité des journalistes de l'ancienne I-Télé ont dû quitter la chaîne, qui a changé de nom, de ligne éditoriale et de grille de programmes. Sans même entrer dans des considérations liées au pluralisme, la quantité d'informations fournie au consommateur a ainsi fortement chuté. Cela pose problème car il n'y a que quatre chaînes d'information en continu, sachant qui plus est que la numérotation attribuée à CNews la place dans une position bien plus favorable que sa concurrente privée LCI ou que sa concurrente publique France Info. C'est un premier point qu'il me semble essentiel de souligner.
Comment caractériser, ensuite, les personnalités entrant dans le spectre de la régulation opérée par l'Arcom ? L'identification des personnes financées par des organisations politiques va dans le bon sens, même si le fait que ces listes aient immédiatement donné lieu à contestation plaide pour des critères plus facilement observables. En tant que député d'ailleurs, monsieur le rapporteur, vous ne seriez pas considéré par l'Arcom comme un Français comme les autres mais comme une personnalité politique ! Quoi qu'il en soit, la question n'est pas tant de savoir si un intervenant doit être présenté comme chroniqueur ou comme éditorialiste mais d'identifier son point de vue, de savoir « d'où il parle ». Dans notre travail de recherche, nous nous sommes efforcés de montrer que l'implication politique des personnalités non directement politiques pouvait varier dans le temps. Ce n'est pas parce que quelqu'un s'engage dans une campagne que l'on doit considérer pendant les vingt années suivantes qu'il s'exprime toujours au nom du parti qu'il a un jour défendu. En revanche, si une personne a récemment participé à une campagne électorale ou s'est fortement impliquée dans la vie politique, le fait qu'elle soit qualifiée d'éditorialiste ne dispense pas de décompter son temps de parole.
C'est une problématique complexe et j'entends, comme le dit Roch-Olivier Maistre, que l'Arcom n'a pas une vocation de censeur. Mais, si personne ne veut de censure, nous appelons tous de nos vœux une meilleure régulation du pluralisme. C'est la raison pour laquelle j'ai commencé mon intervention en rappelant ce qu'il a dit de CNews : si la chaîne respecte strictement les règles du pluralisme mais se rapproche d'une chaîne d'opinion, c'est bien qu'il y a un problème avec les règles et qu'une réflexion collective est nécessaire pour les redéfinir. Sans doute ce travail essentiel pourrait-il commencer par des échanges entre l'Arcom et les éditeurs pour définir des listes de personnalités. On ferait le bilan de ce système au bout de six mois ou un an : cela éviterait à l'Arcom d'avoir à trancher toutes les semaines.
Certaines évolutions dans les règles relatives au pluralisme peuvent facilement être prises en compte : c'est le cas par exemple de la définition de tranches horaires homogènes en termes d'audience au sein des journées de diffusion. La bonne tenue des débats est plus difficile à mesurer, en dehors des cas flagrants de déséquilibre donnant lieu à protestations et éventuellement à sanctions. La difficulté à réguler la mauvaise foi des éditeurs a été révélée de façon criante par une étude menée sur la chaîne américaine Fox News : une des méthodes employées par la chaîne pour biaiser l'information consistait à donner la parole à des représentants du parti républicain qui étaient beaux, tandis que ceux du parti démocrate étaient désavantagés physiquement ! Sans pousser la vigilance jusqu'à contrôler le physique des intervenants, il est certain que l'on peut faire beaucoup mieux qu'aujourd'hui en matière de respect des règles du pluralisme.