Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer dans le cadre de cette audition. Nous avons déjà eu l'occasion de dire publiquement à quel point il était important de s'intéresser à ces questions de conventionnement des chaînes, dans le contexte d'un bouleversement des équilibres sociaux, politiques et technologiques qui régissent la conversation publique.
Deux éléments principaux doivent faire l'objet d'une attention particulière : d'une part, les conditions du conventionnement et d'autre part, la question du contrôle des règles de conventionnement, une fois qu'elles ont été édictées. Reporters sans frontières est une association qui défend la liberté de la presse et le journalisme de qualité. Compte tenu d'une forme de gravité qu'imposent les événements, il me semble essentiel de nous pencher en profondeur sur ces problématiques.
S'agissant du conventionnement, le cadre d'écriture et de négociation de ces conventions est celui de la loi de 1986. Selon RSF, cette loi présente un certain nombre d'insuffisances, qui sont évidentes en raison de l'accumulation des modifications substantielles du texte au fil des années. Ce mille-feuille peut être ainsi confus, vague et lacunaire. De fait, les seuils qui sont opposés au principe de concentration des médias ne recoupent plus du tout la réalité effective de l'exercice des médias. Par exemple, les bassins de population n'ont plus de sens dans une époque intégralement digitalisée et multi médiatisée.
Cette obsolescence des règles a été reconnue par de nombreux intervenants, dont la ministre de la culture Roselyne Bachelot, lors d'une audition le 23 février 2022. Cette obsolescence a aussi été rappelée dans une lettre conjointe des ministres de l'économie et de la culture à l'automne 2021, quand ils ont confié une mission conjointe à l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires culturelles. De fait, ces concepts vagues, non définis, qui peuvent se chevaucher et se recouper, doivent être précisés. Une refonte de la loi de 1986 ne peut qu'être salutaire ; elle pourrait potentiellement constituer une des conclusions des États généraux de l'information qui sont en cours.
Mais l'insuffisance de la loi ne doit pas faire oublier les insuffisances de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) dans le conventionnement des chaînes. L'autorité de régulation française dispose ainsi d'une liberté particulièrement importante dans l'établissement de ces conventions. Dans le cadre du dialogue engagé entre Reporters sans frontières et l'Arcom, il est apparu très souvent que l'Autorité se prévalait de ses propres turpitudes. En effet, la loi du 30 septembre 1986 laisse à l'Autorité la possibilité d'adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives aux principes énoncés par la loi. Mais l'Arcom s'est très peu saisie de cette capacité pour préciser ces principes et des recommandations.
Néanmoins, dans le silence de loi de 1986, l'Arcom a mis en place un système très élaboré de décisions graduées relatives au respect du conventionnement, notamment lorsque les citoyens saisissent le régulateur de propos ou de situations à l'antenne qui leur ont semblé particulièrement préjudiciables ou inquiétants. Des mises en garde et des mises en demeure peuvent être prononcées. Un « mille-feuille » a été rendu possible par l'action et la productivité de l'Arcom, en dépit du silence de la loi.
Pourtant, pour préciser les termes des conventions, il existe à la fois la base de ces mêmes conventions, mais également les délibérations que l'Arcom peut prononcer. Or, l'Arcom n'a consacré que deux délibérations génériques à ces sujets pourtant essentiels. Au-delà de ces délibérations, un travail très important est fourni par les professionnels et la société civile, comme le CDJM ou l'outil de certification Journalism Trust Initiative, qui porte sur les processus de la production d'information, établi à l'initiative de RSF.
À présent, je souhaite revenir sur le contrôle du conventionnement par l'Arcom. Tout d'abord, à notre sens, l'Arcom obéit trop simplement à une vision restrictive de son rôle. Ainsi, elle procède à une vérification formelle, mais non substantielle, des engagements conventionnels. Par exemple, l'Arcom vérifie qu'il existe une grille des programmes et qu'elle n'a pas changé, mais elle ne vérifie véritablement pas si, à l'antenne, les contenus sont bien correspondants. À ce titre, l'exemple de la chaîne CNews est particulièrement inspirant. Par exemple, l'émission « Midi News » a conservé le même titre depuis le début du conventionnement de la chaîne, mais la nature même de l'émission a été modifiée. Il y a là, selon nous, l'exemple typique d'un dysfonctionnement.
La même observation peut être formulée pour les chartes éthiques, dont l'Arcom contrôle uniquement l'existence, sans vérifier que certaines opèrent en réalité un contournement de l'éthique journalistique, ce qui est extrêmement préjudiciable pour le débat public et la qualité de l'information dont les citoyens bénéficient.
Ensuite, les conventionnements de chaînes d'information portent sensiblement sur la possibilité de leur allouer un canal. Cependant, l'information n'y est pas définie en tant que telle. À ce titre, nous avons produit une étude qui prouve, chiffres à l'appui, que sur une chaîne comme CNews, seulement 13 % du temps d'antenne est consacré à du hard news, c'est-à-dire à l'énoncé des faits, ou à des sujets qui sont relatifs à des informations d'actualité ; le reste n'est que commentaire. Dès lors, il est difficile de considérer que le service consacré à l'information – qui est souvent l'article 3.1.1 des différentes conventions de chaîne – est respecté. Si l'Arcom prenait le temps de s'inspirer de la littérature académique existante sur le sujet, elle pourrait pourtant observer l'existence d'une très nette distinction entre le hard news, le décryptage et le débat.
Il est évident qu'à l'avenir, une commission comme la vôtre pourrait vouloir proposer aux régulateurs d'inscrire des obligations chiffrées relatives à la quantité d'informations disponibles sur les chaînes, d'autant plus que ce régulateur constate parfois leur diminution dans ces propres rapports. Lors d'une conférence à Sciences Po Paris, le président de l'Arcom a lui-même évoqué ce changement, en indiquant que CNews s'était désormais recentré sur l'opinion. Un consensus existe donc, mais peu de leçons en sont tirées. En outre, les études montrent que les publics sont parfaitement conscients que de plus en plus de chaînes, notamment les chaînes d'information en continu, offrent une part importante, voire très significative, à l'expression de l'opinion par rapport à l'expression de l'information et des faits.
Par ailleurs, je tiens à évoquer le contrôle de trois points qui sont essentiels dans les conventions de chaîne : l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information. Aujourd'hui, il est véritablement difficile de sanctionner les contraventions à ces principes par le régulateur. Il nous paraît vraiment important de pouvoir établir de façon plus claire les questions relatives à l'honnêteté, notamment à travers les chartes éthiques.
Il faudrait qu'un regard plus précis soit porté sur les questions d'indépendance éditoriale. Mettre en place des processus réels pourrait faire partie des conditions imposées dans les conventions de chaînes. De fait, il y a eu récemment des propositions de loi relatives à des droits d'agrément ou des dispositifs de ce type, pour permettre aux rédactions de disposer d'une véritable indépendance par rapport à leurs propriétaires. S'il ne m'appartient pas de définir quel est le bon mécanisme, il est évident que conditionner le conventionnement et contrôler le caractère effectif de mécanismes de ce type pourraient faire partie du contenu de ces conventions.
La question du pluralisme est par ailleurs un véritable sujet et a entraîné un certain nombre de sanctions de la part de l'Arcom. Cependant, le contrôle réalisé demeure fragile, car il comporte une part d'arbitraire pour établir si un acteur public qui s'exprime sur des chaînes conventionnées entre dans le champ du décompte du temps politique.
Enfin, il est essentiel de disposer d'une autorité de régulation forte, qui organise les conventionnements sur une base responsable et politiquement juste, ayant à cœur d'avoir la main haute dans les négociations, ce qui est rarement le cas. De fait, les renégociations s'effectuent souvent par paquets, dans un calendrier souvent concentré, comme cela sera bientôt le cas pour les chaînes du groupe Canal Plus, dont le poids sur l'audiovisuel et le cinéma français est significatif.
Par conséquent, j'estime que les autorités de régulation se doivent de conserver le principe de mutabilité du service public et d'adapter les principes de loi de 1986 au fonctionnement de notre espace public. Reporters sans frontières est vraiment désireux d'accompagner la représentation nationale et tous les acteurs et institutions de bonne volonté dans la réforme de ce système de conventionnement qui montre, à bien des égards, ses limites aujourd'hui.