Vous m'avez invité pour parler du traitement de la campagne électorale par le régulateur, du pluralisme et de déontologie, ces trois thèmes étant particulièrement liés. Qu'en est-il, très concrètement ? À l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le pluralisme est d'abord un chronomètre, y compris hors périodes électorales, puisque le temps de parole de toutes les personnalités politiques est chronométré, à la seconde. En effet, l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 impose à l'Arcom de relever le temps de parole des personnalités politiques, de transmettre ce temps de parole aux présidents des deux chambres et de le publier. L'article 16 de cette même loi impose l'intervention du régulateur, le décompte des temps de parole, l'organisation de la campagne pour toutes les campagnes audiovisuelles officielles. Au-delà des élections législatives et présidentielles, dans tous les territoires d'outre-mer, toutes les élections locales donnent lieu à des campagnes audiovisuelles qui sont régulées, organisées et planifiées. En résumé, la loi l'impose à l'Arcom, qui exerce un pouvoir réglementaire subordonné pour l'appliquer.
Pendant très longtemps, la règle des trois tiers prévalait : un tiers de temps de parole pour l'exécutif, un tiers de temps de parole pour la majorité et un tiers de temps de parole pour l'opposition. En 2009, la règle s'est assouplie et garantissait au moins 50 % du temps de parole à la majorité présidentielle (président, gouvernement et majorité) et 50 % à l'opposition. La règle s'est ensuite encore plus simplifiée : aujourd'hui, sont garantis uniquement un tiers de temps de parole pour le président, le gouvernement et sa majorité, et le reste à la discrétion des médias. Par ailleurs, le chronométrage du temps de parole ne s'entend pas par émission, mais par chaîne, par éditeur.
Mais le pluralisme n'est pas qu'un chronomètre. C'est aussi une liberté, qui doit avancer sur deux jambes. D'abord, la liberté du propriétaire des moyens de l'information, c'est-à-dire la liberté de l'entrepreneur, de l'émetteur, exactement comme dans la presse écrite. La matrice est ici l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 concernant la liberté d'expression. Il s'agit là du pluralisme « externe » : il faut permettre à l'entrepreneur de développer les moyens de l'information. L'autre jambe est le pluralisme « interne », une liberté construite, la liberté du récepteur, c'est-à-dire de l'auditeur et du téléspectateur. Il s'agissait, en 1986, de garantir aux récepteurs de l'information qu'ils bénéficient d'une information suffisamment diverse et variée pour se forger eux-mêmes leur propre opinion.
Il existe un rapport mécanique entre le pluralisme externe et le pluralisme interne : la contrainte technique. Dans la mesure où les fréquences radioélectriques étaient rares, le pluralisme interne a été privilégié. Au fur et à mesure que la contrainte technique a été levée, le pari du pluralisme externe a pris le pas sur le pluraliste interne. Par exemple, dans ses premières décisions n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il faut garantir la liberté en tenant compte des contraintes techniques et en la conciliant avec le pluralisme. Cela signifie que moins il y aura de contrôle technique, plus le pluraliste pourra s'exprimer indépendamment de la régulation interne.
Mais le pluraliste est aussi une dynamique : il ne s'agit pas de la manifestation d'une neutralité un peu tiède, c'est un aiguillon. Depuis 1974, la Cour européenne des droits de l'homme précise que le pluralisme renvoie à la liberté d'expression, soit une liberté qui vaut pour « les idées qui heurtent et qui choquent ». En conséquence, pour exercer cette liberté, il faut accepter d'être heurté et d'être choqué.
D'ailleurs le Conseil constitutionnel le précise très bien depuis 1986 : le pluralisme et donc le débat sont une condition de la démocratie. Le sociologue Dominique Wolton ne dit pas autre chose quand il explique qu'il existe un point commun entre la télévision et la démocratie : le nombre. En démocratie, le nombre est géré en faisant le pari de l'éducation et de la liberté d'opinion. Il en va de même pour la télévision : on y fait le pari que le public, l'auditeur, le téléspectateur, est un être doué d'intelligence ; ainsi que le pari de sa liberté. Éduqué, il est en mesure, si on lui donne accès à une masse d'informations, de trier et de forger lui-même, lui-même, sa propre opinion.
Mais le pluralisme change et le pluralisme externe s'est accru. Aujourd'hui, le critère du pluralisme est davantage un critère qu'on pourrait appeler le critère « du grand public ». De tous les médias et services de communication existants, il est vrai que la télévision reste le seul média capable de toucher et d'influencer en quelques secondes des millions de personnes. C'est pour cette raison qu'il faut maintenir une forme de pluralisme interne.
Par ailleurs, puisque le pari du nombre de chaînes a également été pris, il ne faut pas non plus confondre le pluralisme avec la liberté éditoriale. Ces deux notions sont très différentes : France Inter et CNews reçoivent des invités de toutes les formations politiques qui viennent s'exprimer. Pourtant, chacune de ces antennes dispose d'un ton et d'une ambiance spécifiques, qui s'appellent la liberté éditoriale. Cette liberté éditoriale est nécessaire si l'on fait le pari du pluralisme externe.
Au sein de cette multitude, ces chaînes doivent se distinguer. Ces médias doivent avoir une ligne propre, notamment les chaînes privées, qui font le pari de l'audience puisqu'elles sont financées en grande partie par la publicité. Dans ce schéma, il faudra parvenir à concilier la liberté éditoriale, c'est-à-dire le ton des chaînes, avec le pluralisme interne : permettre que toutes les formations politiques puissent s'exprimer. À l'inverse, cela signifie que toutes les personnalités politiques doivent accepter les invitations des médias pour garantir le pluralisme interne. Or il m'est parfois indiqué que certaines d'entre elles refusent de venir sur certaines chaînes. Je vous remercie.