S'agissant des partenariats de la création, nous pensons que la co-construction est essentielle, à travers un regard commun porté sur le passé qui peut d'ailleurs être divergent, afin de travailler durablement, en toute vérité et en toute transparence. Mais le musée ne s'attache pas qu'au passé, il se tourne également vers le présent et la création contemporaine, et je pense que les demandes sont aussi importantes dans ce domaine : voir l'Afrique au travers de ses créateurs et peintres d'aujourd'hui permet également un regard différent. À ce titre, un marché de l'art africain contemporain est en train de se développer. Par ailleurs, les musées africains n'ont pas forcément vocation à ne s'intéresser qu'à l'Afrique. Nous avons, nous-mêmes, à la demande de nos collègues sénégalais, organisé en 2022 une exposition sur Picasso et les arts africains à Dakar, qui constituait une première depuis 1966. Nous devons connaître les lieux d'où nous parlons, être fiers de nos héritages et, en même temps, pouvoir les confronter et partager de manière plus apaisée.
Il existe effectivement une menace permanente de destruction du patrimoine. Malheureusement, je n'en sais pas plus. Il faudrait demander à mes collègues qui travaillent à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph). Cependant, nous sommes bien conscients de cette problématique. À cet égard, nous menons par exemple un travail avec notre collègue du musée national du Mali pour identifier les collections qui, si elles retournaient sur place, ne seraient pas soumises aux risques d'une destruction. Je pense qu'il en est absolument aussi conscient que nous.
Nous essayons de travailler également sur la question de l'héritage colonial, et de la complexité associée. De notre côté, nous n'avons qu'une partie de la source, des documents qui vont dans un sens unique. Le travail sur l'histoire coloniale mérite là aussi une double lecture, à tout le moins plusieurs points de vue. Il existe en effet des ressentis qui n'apparaissent pas dans nos sources, des imprégnations mémorielles très fortes que nous ne percevons pas forcément de notre côté au travers de l'étude scientifique ou historique. Dès lors, un travail commun doit être mené. Celui-ci peut être réalisé sur le moyen et le long terme, comme en témoigne le projet « Dakar-Djibouti » dont je parlais précédemment et qui consiste notamment à regarder les conditions d'acquisition, de collection et de recherche réalisées en période coloniale, dans un contexte spécifique.
S'agissant de l'accompagnement que nous réalisons auprès de différents musées et collègues, les transferts de documents sont très importants. Les musées avec lesquels nous travaillons souffrent d'une sous-représentation de la documentation, compte tenu des vicissitudes de l'histoire. Le partage, la mise en commun de ces documents est à ce titre essentielle et nous nous essayons de porter cette expertise, de manière très modeste : nous attendons que le besoin s'exprime et nous évitons d'arriver avec ce que nous pensons être le bon regard. L'idée consiste ainsi à inverser la dimension, à susciter l'émergence du besoin pour pouvoir mieux y répondre, et ainsi avoir une relation de nature différente.
Ensuite, nous travaillons à moyens constants et nous essayons de réorienter une partie de nos ressources. Le musée compte à la fois un département des collections, mais aussi un département de la recherche. Nous avons en effet la chance d'avoir une double tutelle, à la fois du ministère de la culture mais aussi du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur. Dans le détail, une grande partie de nos moyens de recherche ont été réorientés vers ces questions d'histoire coloniale, qui aident à éclairer les restitutions. Un grand travail doit être mené dans ce domaine et je me réjouis de l'annonce de la ministre de la Culture, qui a présenté un fonds commun germano-français permettant de financer aussi ces recherches de provenance. Il s'agit là d'un travail long et fastidieux, que nous devons engager avec les partenaires européens. En effet, cette histoire n'est pas que française, elle est aussi européenne. Les informations sont souvent diffuses et appartiennent à d'autres pays. Il nous faut donc les concentrer et, simultanément, accomplir ce travail que j'évoquais tout à l'heure avec les pays d'origine.
En ce qui concerne les restes humains, je pense que nous avons effectivement besoin de continuer à mener ce travail proactif que nous avons entamé. Il ne faut pas attendre que la demande arrive, mais être capable de répondre le plus clairement possible avec les éléments les plus objectifs, comme nous le faisons exactement pour les objets. Plus globalement, il importe de ne pas nous contenter de répondre aux demandes, mais d'anticiper, en nous interrogeant sur la légitimité et les circonstances historiques de l'arrivée de ces collections dans les biens de la nation.
J'ajouterai pour terminer que nous faisons aussi un important travail de « désanonymisation » des personnes qui ont été photographiées en contexte colonial, qui implique là aussi un effort soutenu. Souvent, l'époque voulait qu'on enlève l'information singulière et personnelle pour la remplacer par une information générique de type humain. Ce travail peut être d'ailleurs être lié à la question des restes humains. Le musée a ainsi été saisi d'une demande du département de la Guyane concernant des personnes qui ont été exhibées en Europe et qui sont mortes en France. En lien avec l'association guyanaise qui porte cette mémoire, nous avons mené un travail pour retrouver les individus photographiés, afin de leur « rendre » leurs noms.