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Intervention de Emmanuel Kasarhérou

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuel Kasarhérou, président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac :

Ma contribution sera beaucoup plus modeste, puisque le Musée du quai Branly-Jacques Chirac a dans ses missions la préservation, l'étude et la valorisation des cultures des quatre continents en dehors de l'Europe. L'Afrique constitue donc une partie de notre perspective, de nos missions. Nous conservons 370 000 œuvres, dont certaines remontent à quatre cents ans, et les collections africaines représentent 90 000 œuvres.

Nous conservons également plusieurs millions de documents, photos et archives que nous nous employons à enrichir. Notre présence et notre action en direction du continent africain sont assez anciennes, puisque nous partageons cette histoire commune, une histoire parfois complexe à analyser et que nous découvrons nous-mêmes, tant sur la partie de la colonisation que la partie des décolonisations. La transparence est au cœur de l'ADN de ce musée, qu'il s'agisse de la transparence sur ces collections, sur ces documents, mais aussi sur l'information que l'établissement détient sur les collections et sur le partage.

Nous portons l'idée qu'une étude moderne et contemporaine de ces collections ne peut s'effectuer qu'avec un double regard. Il s'agit d'une part du regard porté depuis Paris sur l'histoire de ces collections et de leur constitution, l'histoire du goût et du rapport de la France aussi avec ses différents espaces ; et d'autre part de la perception que peuvent avoir nos collègues africains de cette histoire, de leur appréciation sur ces objets. Nous avons donc mis en place une série de projets de recherche scientifique sur nos collections, avec ce double regard.

Nous bénéficions pour ce faire de bourses du ministère de la culture qui nous permettent de faire venir nos collègues africains pour étudier ensemble les collections, en toute transparence. Ces collègues, qui exercent des responsabilités au plus haut niveau dans les musées nationaux, conservent les collections dans les pays qui nous intéressent et sont intéressés également par cette relation. Ces travaux s'effectuent dans le cadre de cette nouvelle offre de relations entre la France et les pays d'Afrique, lancée lors du discours de Ouagadougou et qui comprend également la proposition d'opérer des restitutions. C'est aussi dans ce cadre qu'intervient ce travail d'ouverture, de partage, d'analyse et de culture communes sur la manière d'aborder les collections anciennes et les différents épisodes historiques.

À ce titre, nous avons travaillé avec le musée national du Tchad, qui formulait une demande assez globale sur l'ensemble de nos collections. La venue de notre collègue pendant trois mois à Paris en 2021 lui a permis de se rendre compte que ces collections étaient en grande partie impressionnantes en nombre, mais que la qualité n'était pas forcément en rapport avec cette impression numérique. Nous avons donc commencé un travail très précis d'analyse des différentes collections, en sachant qu'une grande partie des collections qui sont conservées à Paris ont aussi une histoire commune avec les collections qui constituent le cœur des collections nationales, que ce soit au Tchad, au Sénégal, au Burkina Faso ou dans d'autres pays.

Ce travail commun est mutuellement bénéfique. Nous avons également travaillé avec le Burkina Faso, mais aussi avec le Mali et notamment le directeur du musée national, avec lequel nous tentons de maintenir des relations, malgré les difficultés. Nous sommes en effet persuadés que ces relations humaines et cette passion commune créent un fil, certes fragile, mais qui peut permettre de passer une période de tension, où nous sentons également que certains de nos collègues sont parfois victimes de suspicions en raison des rapports qu'ils peuvent avoir avec nous. Nous devons ainsi nous adapter en fonction de l'actualité. Ceci est particulièrement vrai pour le Mali, mais nous allons pouvoir renouer ce partenariat, ne serait-ce que par des voies de visioconférence, afin de poursuivre ce travail très important sur cette histoire commune et complexe de la constitution des collections, en particulier en période coloniale.

En travaillant avec ces différents pays, nous nous sommes aperçus que nous avions besoin d'un cadre plus global, qui nous permette de travailler de manière multilatérale, au-delà du dialogue bilatéral habituel, qui demeure nécessaire. Nous sommes donc saisis d'une des principales missions de collecte et de recherche menée de 1931 à 1933, qui est partie de Dakar pour aller jusqu'à Djibouti. Nous avons ainsi constitué un programme de recherche avec l'ensemble des partenaires, l'ensemble des pays qui constitue cette diagonale. Il est bien évident qu'aujourd'hui, nous avons dû moduler notre enthousiasme initial, puisqu'un certain nombre de pays et de régions sont aujourd'hui impossibles à rejoindre. L'idée consistait à confronter cette histoire ancienne, la perception que nous pouvons avoir depuis l'Europe, avec l'appréhension qui pouvait en être faite depuis ces différents pays. Cela concerne les pays que j'ai cités, mais également Djibouti, le Cameroun, le Sénégal et évidemment la Côte d'Ivoire. Ce travail de longue haleine verra son aboutissement dans un premier temps à travers une exposition qui aura lieu au musée du quai Branly-Jacques Chirac en 2025 et qui, ensuite, sera déclinée dans les différents pays qui auront la volonté de le faire. Il ne s'agira pas d'une exposition pensée à Paris et envoyée en Afrique, mais bien d'une reformulation, d'une réinvention de cette exposition en fonction des intérêts propres de chaque pays.

Cet exemple montre bien qu'il nous faut nous adapter à chaque fois à des perceptions et des sensibilités. Plus encore, au sein même de chaque pays, il existe des relations intercommunautaires extrêmement complexes et évolutives, dont nous devons absolument tenir compte. Nous travaillons évidemment de manière très étroite avec la Côte d'Ivoire, puisque le projet de loi sur les restitutions sera bientôt présenté devant l'Assemblée nationale, en particulier un projet qui leur tient à cœur et qui remplit jusqu'à présent les différents critères retenus pour des restitutions.

Afin que ces restitutions ne soient pas simplement un geste, certes important, mais qui finalement s'achève avec le retour de l'objet, nous travaillons également à la mise en œuvre de collaborations, pour accompagner ce processus politique de restitution. Ces collaborations visent à partager la formation professionnelle et à faire en sorte que nos propres agents, mais aussi les agents des différents musées concernés, puissent travailler en bonne intelligence pour le futur. Ces collaborations concernent particulièrement le musée historique d'Abomey et le musée d'histoire de Ouidah, au Bénin, qui ont été décidées après la restitution de vingt-six œuvres des collections nationales françaises en direction du Bénin. Un autre exemple concerne le musée des civilisations de Côte d'Ivoire, avec lequel nous travaillons à la préparation d'une restitution, si telle en était la volonté nationale.

Nous œuvrons également à la formation de nos futurs collègues conservateurs et restaurateurs du patrimoine, en collaboration avec les instituts de formation, l'Institut national du patrimoine, l'École du Louvre ; et nous accueillons différents futurs collègues, pour des stages qui sont souvent de longue durée. Nous avons travaillé avec deux personnes venues du Gabon, une personne du Bénin, une personne des Comores et une autre de Côte d'Ivoire. Nous continuons à accueillir très régulièrement, chaque année, ces personnels. J'en profite pour souligner d'ailleurs que nous accueillons actuellement le directeur du musée national de Côte d'Ivoire. Nos professionnels participent évidemment à des formations. Je voudrais insister sur le fait qu'il nous semble important de créer les conditions d'une circulation des œuvres, qui était également au cœur du discours de Dakar.

Enfin, nous avons organisé avec les collègues européens à Dakar, au début de cette année, une grande réunion rassemblant une soixantaine de musées africains, pour essayer de définir quels pourraient être leurs besoins et comment faire en sorte de travailler en dehors de nos relations historiques limitées avec les pays autrefois colonisés par la France. Nous avons présenté à la Commission européenne un projet assez ambitieux portant sur une collaboration plus large entre la France via l'Europe et les pays africains.

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