Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Les dix-huit ou dix-neuf pays prioritaires sont les pays du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et la liste évolue en fonction des réalités économiques. Les pays francophones sont un tout petit peu privilégiés par rapport aux pays où il y a vraiment de l'investissement et des échanges qui se concentrent plutôt sur des économies plus grandes, et donc hors du champ notamment du CICID.

Vous avez demandé si l'aide publique devait rester une aide de subventions ou plutôt de partenariat. Je crois que tout le monde est d'accord, y compris la Commission européenne, puisqu'elle a rebaptisé la direction générale du développement en direction générale des partenariats. Je crois que tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut faire du partenariat d'égal à égal et que le co-investissement est beaucoup plus efficace que l'action isolée.

Plus on fait de choses dans la « Team Europe », plus nous serons efficaces car le principal investisseur, bailleur d'aides, importateur et exportateur pour toute l'Afrique est l'Union européenne, et non la Chine. Cependant, la comparaison porte souvent entre la deuxième puissance du monde avec ses 17 000 milliards de PIB et la France et ses 3 000 milliards de PIB. Si l'on prend un ensemble qui a le même poids que la Chine – c'est-à-dire l'Union européenne –, celui-ci est de loin le premier partenaire de l'Afrique. Le problème ne porte d'ailleurs pas sur les subventions mais l'aide française correspond à des prêts de l'AFD, ce qui nous différencie négativement par rapport à des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, qui sont montés en puissance en aide publique.

L'AFD est régulée comme une banque alors que beaucoup de pays, ainsi que l'Union européenne font des dons. La question porte donc plutôt sur le fonctionnement du mix entre dons et dettes. Un créancier n'a en effet pas la même image et l'Union européenne a une grande popularité parce qu'elle réalise des dons même si elle fonctionne de manière bureaucratique et avec une certaine lenteur. Par conséquent, je pense que la bonne voie se trouve entre, d'un côté, des dons et, de l'autre côté, les entreprises privées ou publiques, les partenariats et les co-investissements.

En outre, nous avons créé un peu d'espace sur la dette bilatérale et la Chine se fait une mauvaise réputation en Afrique car elle est un créancier avec lequel il est très difficile de négocier le reprofilage. Elle est observatrice mais pas actrice au Club de Paris. L'Europe est quant à elle assez exemplaire sur les aides bilatérales mais il n'est pas possible de reprofiler les prêts multilatéraux. Or l'Afrique subsaharienne est surtout endettée non pas auprès des marchés mais auprès des organismes multilatéraux et vous n'avez pas le droit de prendre du retard sur des remboursements au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale ou à la Banque africaine de développement.

Par ailleurs, l'annulation de créances a été très efficace dans les programmes relatifs aux pays pauvres très endettés (PPTE), c'est-à-dire qu'on a échangé des remboursements de dettes. Il sera procédé de la même manière pour le climat : plutôt que de rembourser un créancier bilatéral, il sera possible de réaliser des investissements pour la transition énergétique qui tiendront lieu de remboursements. Cela a représenté une bouffée d'air incroyable entre 2000 et 2005 et constitue l'un des moyens d'APD, ce qui n'est possible qu'avec des partenaires bilatéraux, à savoir la France, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, un peu les États-Unis et assez peu la Chine.

Je ne vais pas m'exprimer sur le Bénin devant l'Assemblée nationale française, étant donné que j'y ai joué un rôle politique important. Je suis astreint à une forme de réserve et je ne ferai donc pas de commentaire sur la question des droits des opposants.

Je ne crois pas que les économies en Afrique soient très néolibérales car nous n'avons pas le luxe de l'être, dans la mesure où le secteur privé y est très jeune. La colonisation ne visait pas, en effet, la création d'entrepreneurs et d'un capital autochtone. Par conséquent, le secteur privé africain date plus ou moins des privatisations de la fin des années 1990 : nous avons le capitalisme le plus jeune et, par conséquent le plus faible, du monde. Le rôle de nos États est considérable dans la réglementation, parce qu'il faut créer la législation. En effet, nous avons reçu des pays difficilement gérables : outre le fait que nous n'avions pas de routes, d'électricité et de ports, nous n'avions pas de lois et d'impôts.

Les bonnes âmes nous disent qu'il n'est pas raisonnable de collecter en impôts 18 % du PIB, contre 54 % en France et 36 % dans l'OCDE. Cependant, nous avons reçu une fiscalité romaine de la capitation et non progressive. Nous n'avons donc pas le luxe d'être extrêmement libéraux parce que nous avons énormément besoin de l'État, qui s'est simplement sorti d'un certain nombre de secteurs concurrentiels où il n'était pas très efficace.

Au sujet des ressources, nous sommes au début de l'exploration. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) réalisait en son temps un travail d'exploration et nous sommes loin d'avoir exploré toutes les richesses. Dans l'hydraulique, nous avons un potentiel considérable, de même que dans les matières premières critiques, agricoles et forestières. Ce potentiel consiste en une base d'actifs oisifs tant que nous n'avons pas de capital. Si vous avez des mines et des gisements mais pas de chemins de fer ou de ports et des investisseurs, vous n'avez en effet que des ressources oisives. L'enjeu porte donc sur l'activation des actifs.

Au sujet de l'opération Atalante, il est tout de même intéressant de parler des victoires européennes. En effet, vous avez ici une opération de victoire contre la piraterie et de sécurité dans le détroit de Bab el-Mandeb. Celle-ci est exceptionnelle et essentielle pour le commerce mondial. De plus, un effort débute, même s'il est de moindre ampleur, dans le golfe de Guinée où il y a aussi des phénomènes de piraterie et où la France y est très présente.

Cependant, on ne parle jamais des victoires. Si vous interrogez les Français, Barkhane leur a laissé un goût amer mais personne ne connaît Atalante. Quand vous allez à Djibouti et que vous regardez le Yémen à 19 kilomètres, vous vous rendez compte que la zone est relativement sensible car y sont présentes huit bases militaires, avec notamment les marines française, chinoise, américaine, allemande et saoudienne. Atalante ne luttait pas contre les Houthis mais contre la piraterie somalienne. Ce dispositif peut toutefois être utilisé mais la France ne souhaite pas – et je l'approuve entièrement sur ce point – une extension du conflit à toute la mer Rouge par la création d'une coalition, ce pour quoi elle n'agit pas aux côtés des États-Unis et des Britanniques dans l'opération pour assurer la sécurité contre les missiles et les drones des Houthis. Cependant, elle agit mais elle ne fait pas partie d'une coalition et le président de la République en a parlé hier.

Capitaliser sur la victoire d' Atalante devrait être important mais il existe une espèce de dilection morose de la France pour ne pas parler des succès et pour mettre en avant ses échecs ou ses résultats en demi-teinte. Toutefois, la France est déterminante dans cette région du monde. D'ailleurs, le réchauffement des liens avec Djibouti a été opportun et le président de la République française a été le premier chef d'État français à se rendre à Djibouti. Il était également le premier à se rendre au Kenya et sa visite était importante en Éthiopie, de même qu'au Nigéria. On y est loin du pré carré mais ce sont des zones où l'influence progresse.

De temps en temps, de bonnes âmes se demandent pourquoi le président de la République française va à N'Djaména au moment du deuil du président Idriss Déby ou pourquoi il se rend à Djibouti. Cependant, il y a également des réalités dans la relation entre l'Afrique et la France. Par exemple, les troupes tchadiennes assurent la sécurité d'une partie Tchad, du Nord du Cameroun, de la zone de Maiduguri de Boko Haram et de la zone de Diffa de la République du Niger. Le Tchad est donc le pivot de la sécurité de l'Afrique centrale et a été déterminant au Sahel, les régiments tchadiens ayant été perçus comme les plus puissants et les plus efficaces contre les djihadistes. Il s'agit d'une réalité de fait et le président de la République se rend à Djibouti car il s'y trouve la clé du canal de Suez, qui est absolument essentiel à l'économie mondiale et fondamental pour les équilibres militaires.

De temps en temps, il faut faire, dans la relation africaine et le rapport de la France à l'Afrique, autre chose que de la psychologie et de la sensiblerie pour plutôt regarder où sont les intérêts vitaux.

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