Intervention de Hubert Védrine

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Hubert Védrine, ancien secrétaire général de la présidence de la République, ancien ministre des affaires étrangères :

Je n'ai aucun doute sur le fait que la plupart des Africains veulent maintenir des relations étroites avec la France, voire les développer. Les contacts que j'ai gardés au cours des dernières années le confirment. Ils ne veulent pas d'une France arrogante, ni d'une France – l'actuelle – qui rase les murs, ce qui les met mal à l'aise, tant notre repentance ne les intéresse pas. Ils veulent une France moderne, pragmatique, présente, capable de réagir, disponible.

Ce n'est pas à nous de dresser ex ante la liste de nos partenaires. Elle découlera des contacts du président de la République, de ses ministres et des parlementaires. Ce qui importe, c'est d'être en phase avec l'Afrique d'aujourd'hui. Au demeurant, les Africains font aussi partie du monde global et les désaccords au sein de l'UA sont légion. Selon les domaines – agricole, économique en général, technologique –, nous bâtirons des partenariats à géométrie variable. Il ne faut pas s'enfermer dans des schémas préconçus.

En matière de perspectives, l'Afrique ne sera sans doute jamais unifiée. Je doute qu'un pouvoir africain global émerge un jour et peser en tant que tel dans les affaires du monde. Prétendre que l'Afrique sera demain le centre du monde au motif que sa population atteindra 2 milliards d'individus au milieu de ce siècle est simpliste.

Le seul problème un peu compliqué à gérer qui en résultera - mais nous y arriverons -, sera l'immigration. L'Europe finira par prendre le sujet au sérieux, constatant qu'il lui faut des gens, mais pas n'importe qui, et que le regroupement familial ainsi que le droit d'asile ont été détournés de leur vocation première. Un jour ou l'autre, nous nous lancerons alors dans une négociation sérieuse avec les pays de départ et de transit, sur la base de quotas par métier. Les Scandinaves ont la meilleure politique possible.

Au début, nous nous disputerons. Les Africains crieront à l'Europe forteresse alors que c'est l'inverse. Après trois ou quatre ans, nous aurons établi une relation saine et structurante entre une Europe aux accords de Schengen redynamisés et les pays africains partenaires. Je suis certain du point d'arrivée mais y arriver peut prendre dix ans. Entre-temps, il est inévitable que des tensions surgissent. Tel a, par exemple, été le cas lorsque le président Macron a réagi à l'attitude des pays du Maghreb consistant à ne pas reprendre des gens condamnés par OQTF. Il a serré la vis sur les visas, à raison, ce qui a provoqué des crises bilatérales aigues dont nous sortons à peine. La même chose se produira avec les pays d'Afrique subsaharienne. Au demeurant, les trois-quarts des Africains qui émigrent pour vivre mieux vont plutôt au Nigeria, et si possible en Afrique du Sud, qui se dit elle-même envahie par les flux migratoires incontrôlés.

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