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Intervention de Sarah Tanzilli

Séance en hémicycle du mercredi 24 janvier 2024 à 14h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Tanzilli :

Il y a près d'un demi-siècle, cette assemblée légalisait le droit à l'interruption volontaire de grossesse sous l'impulsion de Simone Veil, marquant le commencement d'une nouvelle ère pour les femmes : celle de la maîtrise de leur corps et de leur destin.

Depuis cet acte fondateur pour les droits des femmes dans notre pays, que de chemin parcouru ! Le droit à l'avortement a été renforcé et facilité et son remboursement a été obtenu. Les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes dans notre pays auraient été impossibles sans ce pas décisif.

Il appartient aujourd'hui à cette législature de consacrer un droit qui représente un pilier de l'édifice législatif émancipateur des femmes en inscrivant dans notre Constitution la liberté garantie à la femme de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.

Plusieurs groupes parlementaires – que je salue – ont pris l'initiative de déposer une proposition de loi constitutionnelle tout en soulignant la nécessité de privilégier le recours à un projet de loi. Ces textes eurent le mérite de permettre à nos deux chambres de débattre sereinement. Puis, au terme d'une première navette, le Président de la République a déposé, comme il s'y était engagé, un projet de loi constitutionnelle en Conseil des ministres.

À ce stade, je salue l'engagement constant de M. le garde des sceaux en faveur de l'inscription dans la Constitution du droit de recourir à l'IVG ainsi que votre détermination sans borne, madame la ministre déléguée. Nous nous souvenons tous du discours sincère et combatif que vous aviez tenu ici, en votre qualité de députée, il y a un an, lors de l'examen d'une première proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l'IVG.

Je salue aussi la qualité de votre rapport, monsieur le rapporteur. Sa lecture et celle de l'avis particulièrement éclairant du Conseil d'État expliquent les conséquences juridiques de l'inscription de l'IVG dans la Constitution.

Ces deux textes présentent une réponse à ceux qui arguent que celle-ci est superfétatoire.

Le Conseil d'État rappelle sans ambiguïté qu'en l'état actuel de notre droit, il n'existe pas de garantie supralégislative à la liberté donnée aux femmes de recourir à l'avortement. Certes, le juge constitutionnel a consacré la conformité à la Constitution de la législation actuelle en matière d'IVG mais il n'a jamais affirmé qu'une loi qui viendrait réduire ou faire disparaître ce droit de l'ordonnancement juridique serait contraire à notre loi fondamentale. Il est donc essentiel d'introduire dans la Constitution une disposition claire qui consacre cette liberté.

Vos travaux, monsieur le rapporteur, ainsi que ceux du Conseil d'État, sont également précieux pour apprécier la formulation retenue, selon laquelle : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Je fais miennes les observations du Conseil d'État sur l'usage du mot « liberté » plutôt que du mot « droit », lorsqu'il indique : « Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne retient pas une acception différente des termes de droit et de liberté, le Conseil d'État considère que la consécration d'un droit à recourir à l'interruption volontaire de grossesse n'aurait pas une portée différente de la proclamation d'une liberté. »

La Constitution consacre la liberté d'expression ou la liberté de conscience, qui sont des droits fondamentaux dont nul ne conteste la portée, quand bien même il ne s'agit pas de droits à proprement parler.

L'avis du Conseil d'État est tout aussi éclairant sur le choix du mot « femme » : si la désignation d'un bénéficiaire de cette liberté est indispensable pour donner un caractère personnel à celle-ci, l'usage du mot « femme » – somme toute assez légitime lorsqu'on parle de droits reproductifs – n'empêche pas de faire de toute personne en état de grossesse un bénéficiaire de cette liberté.

Enfin, le choix du gouvernement de reprendre les travaux du Sénat sur l'inscription de cette liberté à l'article 34 de notre Constitution tout en précisant que la liberté de recourir à l'IVG est « garantie » aux femmes est pertinent et susceptible de proportionner avec justesse le niveau de protection de cette liberté. Cet équilibre consacre les prérogatives du législateur pour délimiter les contours et les modalités d'exercice de ce droit, tout en renvoyant à la Constitution pour en protéger le caractère effectif.

L'adoption de ce projet de loi n'entraînera ni la nécessité de faire évoluer notre cadre législatif ni une remise en cause d'autres droits et libertés – en particulier de la liberté de conscience des médecins. Il n'en résultera pas un droit à l'interruption volontaire de grossesse en dehors du cadre législatif actuel. Il ne sera en revanche pas possible pour un législateur réactionnaire d'interdire l'avortement ou de le limiter de manière excessive.

Fruit d'un premier échange entre les deux chambres de notre parlement, cette rédaction de compromis est d'une redoutable efficacité : elle permet la mise en place d'un bouclier protecteur non régressif et empêche tout retour en arrière qui viendrait priver d'effectivité le droit des femmes de recourir à l'IVG.

À ceux de nos collègues, très engagés sur ce sujet, qui seraient tentés de vouloir améliorer la rédaction proposée, je voudrais dire que les deux chambres ont déjà eu l'occasion d'exprimer leur volonté, que le mieux est l'ennemi du bien et qu'à partir du moment où le terme « garantie » a été ajouté à la formulation du Sénat, il ne fait aucun doute qu'elle offre un niveau de protection suffisant.

Parce que toute modification du texte nous éloignerait de la perspective d'une constitutionnalisation, il nous faut en tirer les conclusions appropriées et le voter sans rien y ajouter et sans rien y retrancher, pour tendre la main à nos collègues sénateurs. C'est ce que feront les députés du groupe Renaissance.

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