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Intervention de Véronique Riotton

Séance en hémicycle du mercredi 24 janvier 2024 à 14h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Riotton, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes :

C'est avec émotion et détermination que je me tiens ici devant vous, cinquante ans après le discours de Simone Veil à cette même tribune, pour garantir la pérennité du droit à l'interruption volontaire de grossesse. En cet instant, j'ai une pensée pour toutes les femmes, connues et inconnues, qui ont œuvré pour faire inscrire dans la loi ce droit fondamental à disposer de son corps, pour toutes celles et ceux qui accompagnent au quotidien les femmes qui ont recours à l'avortement, et aussi pour toutes les Françaises de notre pays qui nous écoutent, avec attention et emplies d'espoir. Comme le disait Simone Veil, « il suffit d'écouter les femmes », premières concernées par l'IVG. Or 80 % des Françaises et des Français sont en faveur de la constitutionnalisation de ce droit. Écoutons-les.

Je le répéterai autant de fois que j'en aurai la force : n'en déplaise à certains dans cet hémicycle, le droit à l'avortement n'est pas une simple tolérance ou une grâce faite aux femmes. L'IVG est un droit humain fondamental : celui de disposer librement de notre corps et de choisir si, oui ou non, nous voulons poursuivre une grossesse. Les droits sexuels et reproductifs sont le socle de tous les droits des femmes. Comme le disait Gisèle Halimi, « il y a dans le droit à l'avortement de la femme une revendication élémentaire, physique, de liberté ».

Je sais que certains d'entre vous, minoritaires, s'interrogent légitimement sur la nécessité de constitutionnaliser ce droit. À ceux qui doutent, je rappelle que l'histoire du droit à l'avortement est jalonnée de victoires, mais aussi de régressions. Qui aurait pu penser, il y a deux ou trois ans, que ce droit serait torpillé aux États-Unis ? Certains me rétorqueront qu'on n'écrit pas la loi en fonction de la situation internationale. À ceux-là, je veux répondre deux choses.

Premièrement, je l'affirme : les mouvements antichoix sont parmi nous. Il n'y a qu'à voir les votes au sein de cet hémicycle, entendre certains propos tenus en commission des lois ou encore constater la mobilisation grandissante autour de la « marche pour la vie » pour se rendre compte que le droit à l'IVG n'est pas une évidence pour tout le monde.

Deuxièmement, c'est précisément parce que le droit à l'IVG n'est pas encore remis en cause en France que nous pouvons et devons l'inscrire dans la Constitution dès maintenant. Soyons humbles : reconnaissons que ce droit qui nous est cher pourrait disparaître. En Europe, on l'observe déjà : les forces politiques qui y sont opposées le remettent clairement en cause dès leur arrivée au pouvoir. Ce qu'une simple loi ordinaire nous a permis d'obtenir il y a cinquante ans, une simple loi ordinaire pourrait le défaire. Ayons la modestie de reconnaître que ce qui arrive chez nos voisins italiens, hongrois ou polonais – qui n'habitent pas des contrées exotiques et lointaines, contrairement à ce qu'on a pu entendre en commission – peut aussi arriver en France.

L'avis du Conseil d'État est très clair et doit servir de base à nos débats : personne ni aucun texte ne peut présentement garantir l'intangibilité du droit de recourir à l'IVG. Que celles et ceux qui refusent d'intégrer le droit à l'IVG dans notre Constitution parce qu'ils estiment qu'il n'est nullement menacé regardent autour d'eux, qu'ils regardent à l'horizon ! Pouvez-vous assurer aux générations futures qu'elles auront accès aux mêmes droits que nous ? Pouvez-vous le leur garantir ? Nous connaissons tous la réponse. Le sujet est trop grave pour ne pas faire preuve d'honnêteté intellectuelle.

Vous qui clamez que les conditions d'accès à l'IVG sont prioritaires, comment justifiez-vous avoir déposé des amendements visant à affaiblir le droit actuel ? Comment expliquez-vous aux Françaises et aux Français votre volonté de réduire de quatorze à dix le nombre de semaines durant lesquelles il est possible d'avorter ? Comment justifiez-vous votre volonté de dérembourser l'IVG ? Et la liste ne s'arrête pas là : en prétendant créer un nouveau droit à « la protection de la vie à naître », vous reprenez les mots des antichoix qui ont défilé ce dimanche dans la rue. Quel choc en lisant vos amendements !

Quelle vision avez-vous, ou plutôt vous faites-vous du droit à l'avortement et des femmes ? Que les femmes seraient trop légères lorsqu'elles ont recours à l'avortement ? Qu'elles ne seraient pas capables de faire ce choix libre et éclairé ? Ces sous-entendus sont d'une violence extraordinaire pour les personnes concernées ; j'ai une pensée pour toutes celles d'entre nous, au sein même de cet hémicycle et au-delà, qui ont eu recours à l'IVG. Disons les choses clairement : ce discours qui vise à culpabiliser les femmes témoigne d'une vision paternaliste et rétrograde qui n'est l'alliée ni des femmes ni de leurs libertés. Vous faites croire qu'il n'existe aucune menace contre le droit à l'IVG, mais vous incarnez vous-mêmes cette menace : vos amendements sont la preuve flagrante de la nécessité de constitutionnaliser le droit à l'IVG.

Chers collègues, n'attendons pas que le droit à l'IVG soit en danger pour agir : agissons maintenant pour qu'il ne soit jamais menacé. Mon cœur, mon corps, mon choix. Constitutionnalisons le droit à l'IVG.

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