Certains textes sont particulièrement attendus. Celui qui nous réunit aujourd'hui, relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse, en fait partie.
À moins d'un an du cinquantième anniversaire de la loi Veil et à la suite des initiatives parlementaires qui ont été prises au début de cette législature – je tiens à saluer l'engagement et les travaux de nos collègues, notamment Mmes Battistel, Panot, Faucillon, Vogel, Rixain et M. Balanant, ainsi que notre ancienne collègue Aurore Bergé –, je salue le choix du Président de la République de remettre l'ouvrage sur le métier pour aboutir à une adoption rapide et autonome de cette révision, qui doit nous permettre d'introduire dans notre Constitution la reconnaissance de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse et d'en assurer la protection la plus forte possible. Le Parlement a travaillé en bonne intelligence et nous nous devons de poursuivre sur cette voie.
Pour mémoire, en novembre 2022, l'Assemblée nationale a adopté une rédaction, fruit d'un consensus transpartisan, qui reconnaissait la garantie du droit à l'IVG et à un accès effectif à celui-ci. Dans la foulée, le Sénat, qui avait jusqu'alors fait valoir sa réticence à l'inscription de l'IVG dans la Constitution, a également adopté une rédaction qui était certes moins ambitieuse mais dont le sens était néanmoins clair et avait une portée historique : par ces deux votes, les deux chambres ont signalé qu'elles souhaitaient faire aboutir une révision constitutionnelle sur ce sujet.
Que les choses soient claires : si nous combattons ceux qui s'attaquent au droit à l'avortement et aux droits des femmes, nous respectons l'opinion de ceux qui s'interrogent sur l'opportunité d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution. Nous le savons, réformer notre Constitution est un acte fort et exigeant. Il exprime la volonté de nous autres, constituants, d'entériner le choix du peuple présent pour le peuple futur. Réformer notre Constitution, c'est au fond consacrer le présent pour protéger l'avenir.
En outre, pour le bon déroulé de nos débats, je crois qu'il faut circonscrire le périmètre de la discussion. Je veux dire clairement, en préambule de nos débats, ce que ce projet est et ce qu'il n'est pas. Il ne s'agit pas de discuter du cadre législatif en vigueur ni de préparer de futures évolutions législatives visant à élargir la liberté de recourir à l'IVG. Il ne s'agit pas non plus de créer un droit opposable. Nos débats seront scrutés en cas de contentieux et les intentions du Gouvernement et du Parlement doivent être claires : la rédaction soumise à notre examen n'implique nullement une évolution du droit existant et ne saurait être source d'un nouveau contentieux, par exemple par voie de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). L'avis du Conseil d'État est on ne peut plus clair sur ce point.
En revanche, le projet qui nous est soumis remplit l'objectif que nous partageons : faire en sorte qu'il ne soit pas possible de modifier la loi afin d'interdire le recours à l'interruption volontaire de grossesse ou d'en restreindre les conditions d'exercice au point qu'elle se verrait privée de toute portée.
L'adoption du texte nous paraît indispensable pour garantir la reconnaissance réelle de cette liberté et pour renforcer sa protection juridique. La Constitution recense déjà de nombreux droits et libertés, sans distinguer d'ailleurs ces deux notions – l'une valant pour l'autre –, ni dans ses préambules ni dans ses articles : laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, interdiction de la peine de mort, libre administration des collectivités territoriales, droit d'asile et bien d'autres. Il n'y a donc pas d'incohérence ni de risque à reconnaître un nouveau droit. Au contraire, il est même de la responsabilité du législateur constituant d'en prendre la responsabilité, sans attendre que le Conseil constitutionnel reconnaisse ou non ce nouveau droit de manière prétorienne.