Si cela vous fait plaisir : cher Sacha.
…monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, « Les filles comme moi gâchaient la journée des médecins. [...] elles les obligeaient à se rappeler la loi qui pouvait les envoyer en prison et leur interdire d'exercer pour toujours. Ils n'osaient pas dire la vérité, qu'ils n'allaient pas risquer de tout perdre pour les beaux yeux d'une demoiselle assez stupide pour se faire mettre en cloque. »
C'est par ces mots que la narratrice du roman L'Événement, d'Annie Ernaux, se remémore les circonstances de son avortement clandestin en janvier 1964. Ces mots pourraient être ceux de nos mères, de nos sœurs, de nos grands-mères, de nos tantes, de nos amies. Ces mots pourraient être ceux de toutes les femmes qui ont vécu dans leur chair l'interdiction de l'avortement, ce sentiment de ne pas pouvoir disposer de leur corps, d'être à la merci d'une grossesse qu'elles ne désiraient pas.
Ces mots et la souffrance qu'ils définissent nous obligent. Ils nous rappellent un fait simple : il n'y a pas de démocratie digne de ce nom lorsque la moitié de sa population ne peut s'émanciper. Non, une démocratie ne peut pas maîtriser son destin si les femmes qui y vivent n'ont pas la liberté de maîtriser le leur. La liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) n'est pas une liberté comme les autres, car elle permet aux femmes de décider de leur avenir.
L'histoire regorge d'exemples de libertés et droits fondamentaux, conquis au prix du sang et des larmes, que tous – je dis bien : tous – croyaient définitivement acquis, et qui, dans la stupeur ou l'indifférence, ont été balayés d'un revers de manche. C'est d'ailleurs l'histoire de la femme qui nous en offre les plus cruels exemples. Oui, les premiers droits qui disparaissent sont souvent ceux des femmes. C'est ce que nous a rappelé récemment la décision de la Cour suprême des États-Unis. Cet exemple rend plus que jamais criants de vérité les mots de Simone de Beauvoir rapportés par Claudine Monteil : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Nous avons désormais la preuve irréfutable que plus aucune démocratie, pas même la plus grande d'entre toutes, n'est à l'abri.
Je suis particulièrement fier d'être parmi vous pour défendre le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Si je parle d'un projet de loi, c'est bien parce que ce texte est présenté par le Gouvernement, mais je dois à la vérité de dire qu'il s'agit plutôt d'une forme de troisième lecture, tant les initiatives parlementaires ont été nombreuses et tant le sujet a été débattu au Parlement ces derniers mois. Je veux ici rendre solennellement hommage à l'ensemble des initiatives parlementaires, de celle de l'ancienne présidente Bergé – ma chère Aurore – à celle de la présidente Panot,...