Les délais d'examen restreints – le texte fut présenté en Conseil des ministres le 13 décembre – nous ont laissé peu de temps, au corapporteur et à moi-même, pour mener nos auditions, une vingtaine au total. Elles ont néanmoins été très riches en informations, si bien que de nombreux amendements seront sans doute déposés à l'occasion de l'examen du texte en séance publique. J'ajoute que, pour ne pas contrevenir à l'article 40 de la Constitution, il eut fallu que le Gouvernement dépose dans certains cas des amendements – ce qui, chacun le comprendra, fut plus difficile que d'habitude.
Une politique du logement, ce sont des axes, des moyens et des outils. Le présent texte s'inscrit en cohérence avec la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite Élan, défendue à l'époque par le ministre Julien Denormandie. Le principe sur lequel celle-ci est fondée est devenu cardinal : il consiste à accorder la même importance à la production de logements neufs et la réhabilitation de logements anciens. La loi Élan concrétise une démarche en faveur de la réhabilitation du bâti mais aussi en faveur de la redynamisation des centres-villes et centres-bourgs, au travers du plan Action Cœur de ville et du programme Petites villes de demain. Les dispositions relatives à la lutte contre les marchands de sommeil s'inscrivent dans la même logique ; je laisserai mon collègue Lionel Royer-Perreaut, issu d'un territoire où cet enjeu est prégnant, les évoquer.
La loi Élan avait aussi pour objectif de simplifier et de rendre plus efficace la boîte à outils à la disposition des acteurs du logement. Je me réjouis que le présent texte prévoie la ratification de l'ordonnance de 2020 relative à l'harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installation, faisant suite à un rapport que j'avais remis à Édouard Philippe et Julien Denormandie. Le nombre de polices administratives est ainsi passé de treize à deux et le nombre de procédures de vingt et une à quatre.
Il restait néanmoins nécessaire d'enrichir la boîte à outils pour y intégrer notamment la politique de rénovation thermique du bâti, qui mobilise aujourd'hui plus de 5 milliards d'euros et dont il faut savoir gré à la ministre déléguée de l'époque, Emmanuelle Wargon, de l'avoir menée. Son successeur Olivier Klein a confié une mission en ce sens à Mathieu Hanotin et Michèle Lutz. Patrice Vergriete a ensuite accompagné la concrétisation de leur rapport dans le présent projet de loi, que son successeur ou lui-même sera amené à mettre en œuvre.
Ce texte n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique du logement – le Gouvernement a d'ailleurs d'ores et déjà annoncé l'élaboration de trois projets de loi, dont un projet majeur de réorganisation des prérogatives des différents acteurs et de décentralisation des politiques. Il vise simplement à rendre plus efficace, à compléter voire à améliorer la boîte à outils des acteurs du logement. L'un de nos collègues a un jour interpellé le Gouvernement en affirmant que l'efficacité était la négation de la politique. L'efficacité a tout de même du bon lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des dispositions particulièrement techniques.
Ce projet de loi a trois objectifs : anticiper, accélérer et protéger. Il comprend un ensemble de mesures techniques en matière de lutte contre l'habitat indigne et contre la dégradation des copropriétés, dont les auditions ont montré qu'elles étaient attendues par les acteurs. Avec mon collègue et corapporteur, nous avons divisé le texte de manière à ce que chacun se penche sur des questions spécifiques. J'ai approfondi pour ma part les articles visant à prévenir la dégradation des bâtiments, tandis que Lionel Royer-Perreaut se consacrait aux articles concernant les copropriétés, principalement aux aspects de financement et de gestion des syndics. J'ai d'ailleurs constaté qu'il vous avait davantage inspiré que moi pour la rédaction d'amendements !
L'article 1er élargit le champ des travaux pouvant faire l'objet d'une opération de restauration immobilière (ORI). Dans l'objectif d'accroître le nombre d'opérations engagées, le Gouvernement a décidé de remplacer le critère d'habitabilité, qui lui semblait trop flou, par des critères plus objectifs de mise en sécurité et de salubrité. Ayant été alertés sur le potentiel effet contre-productif de cette modification, nous vous proposerons de conserver les notions de sécurité et de salubrité, en plus de celle d'habitabilité. Il s'agit d'éviter qu'une opération qui aurait pu être couverte au préalable ne le soit plus après la modification.
L'article 3, central, vise à ouvrir la voie à l'expropriation dans des situations de dégradation des immeubles encore remédiables, illustrant ainsi la philosophie du projet de loi : permettre que les interventions soient réalisées avant qu'il ne soit trop tard, avant d'être contraint d'en arriver à ce que l'on appelle pudiquement le recyclage du bâtiment – autrement dit sa démolition. En anticipant, on évitera un traumatisme aux habitants et l'on économisera des deniers publics. Très souvent en effet il est beaucoup moins onéreux de rénover que d'attendre que la situation se dégrade. Je souhaiterais quant à moi qu'une forme de démembrement soit possible entre parties communes et parties privatives, mais c'est en séance publique que nous aurons ce débat.
L'article 6 permet à une collectivité publique de confier à un concessionnaire, par un contrat de concession d'aménagement, la réalisation des actions nécessaires à une opération programmée d'amélioration de l'habitat, à un plan de sauvegarde ou à une opération de requalification.
L'article 7 simplifie et précise le droit de préemption urbain de telle sorte qu'il puisse s'appliquer dans ce type de situation et non pas seulement lorsqu'il existe un projet d'urbanisme. Les préventions en la matière sont tout à fait justifiées : il convient de ne pas excéder les prérogatives de la puissance publique sans motif d'intérêt général, au regard du droit constitutionnel de propriété. Ce que propose le Gouvernement, c'est justement que la sauvegarde de la sécurité et de la salubrité constitue un motif suffisant d'intérêt public.
L'article 11 sécurise et renforce la procédure de prise de possession anticipée dans le cadre de la requalification du bâti dégradé, telle que prévue par la loi tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre, dite « loi Vivien ».
L'article 12 facilite l'expropriation des locaux commerciaux attachés aux immeubles concernés. Autant qu'une mesure technique c'est une mesure de bon sens, dans la mesure où la présence d'un commerce peut bloquer la mise en œuvre de la loi Vivien.
Les outils ainsi mis à disposition visent à améliorer la protection des habitants mais aussi celle des propriétaires qui ne sont pas défaillants. Je proposerai en séance la possibilité de signer des baux à réhabilitation d'office pour rénover uniquement un seul ou quelques appartements d'une copropriété. Une grande technicité et une ingénierie poussée étant parfois nécessaires pour sauver certaines copropriétés, nous souhaitons également mettre en place un agrément des syndics, identifiés par les tribunaux, qui se spécialiseraient dans ce type d'opérations.