Comment continuer à renforcer la lutte contre les actes discriminatoires, notamment homophobes ? S'agissant du foot, je demande régulièrement un r eporting chiffré, ligne par ligne. On a ainsi recensé 202 sanctions prises par la commission de discipline, sur 175 matchs – 106 rappels à l'ordre, 61 amendes avec sursis, 34 amendes fermes et une fermeture de tribune, 95 % des faits sanctionnés étant des discriminations homophobes. Je m'intéresse en particulier au taux de complétude, car c'est ce qui compte.
J'agis. Il y a des protocoles, y compris, même si on les critique souvent, du côté de la Fédération internationale de football (Fifa) et de l'Union des associations européennes de football (Uefa). En cas de paroles, de chants, de cris indécents dans les tribunes, on interrompt le match et le speaker appelle les gens à faire preuve de décence, puis le match peut reprendre. Si cela recommence, un nouveau rappel à l'ordre a lieu et le match peut s'arrêter dès ce moment-là. Après un troisième rappel à l'ordre, le match est définitivement arrêté.
J'ai pris des positions fermes après le match entre le Paris Saint-Germain (PSG) et l'Olympique de Marseille (OM). On se souvient tous de ce funeste dimanche soir, où ces chants ont duré un quart d'heure – un quart d'heure ! Qu'ai-je dit ? Qu'on appliquait les protocoles. Combien de gens m'ont alors ri au nez, combien ont écrit à mon cabinet pour dire : « Mais pour qui se prend-elle ? Elle veut nous apprendre la vie ? » Ces protocoles sont faits pour être appliqués.
J'ai également passé du temps avec les associations de supporters. Je les ai écoutées, j'ai compris leur perspective, leurs dilemmes, leurs combats et la manière dont on pouvait réussir à atteindre des objectifs qui sont partagés, en s'y prenant de manière intelligente, pour que ça passe, pour qu'un changement culturel se produise. Voilà ce que j'ai construit avec les associations. C'est dans le respect, dans le dialogue qu'on fait avancer les choses. Des membres de l'assemblée générale de l'Association nationale des supporters – des leaders de formations – m'ont écrit dans la foulée plusieurs SMS pour me dire que c'était la première fois qu'ils avaient, enfin, des échanges de cette nature, et ils m'ont remerciée d'avoir fait bouger les lignes.
Je ne vais rien lâcher. Je vais continuer à faire remonter les signalements par les feuilles de match, à faire ce que j'ai dit que je ferai en ce qui concerne la mise en place, dans les grandes fédérations, de commissions spécialement dédiées à ces questions, à l'image de la CADET, dans le rugby, et à prendre contact avec les clubs pour leur demander d'exercer leurs responsabilités, en désignant des référents chargés de la lutte contre l'homophobie et en assumant leur rôle en matière d'interdictions commerciales de stade. Il faut continuer à agir, parce que ce n'est plus possible ainsi.
Je me réjouis que Kévin N'Doram, qui s'était comporté comme un idiot, qui avait été irrespectueux, indécent dans ses propos, ait encadré une session d'entraînement avec les PanamBoyz & Girlz United, à Paris, il y a deux jours. Je suis heureuse qu'il ait dit qu'il se sentait un peu moins bête grâce à cela, qu'il avait le sentiment de réparer un peu l'erreur qu'il avait commise, et qu'il se rende compte de celle-ci. Je veux poursuivre ce dialogue, ce vivre-ensemble qui vient.
J'enchaîne avec la question concernant Rouge Direct. J'ai reçu des membres de ce collectif au ministère le 31 août. J'ai été heureuse de cet échange, long et constructif, dans lequel je leur ai demandé de m'exposer leurs solutions. Ils m'ont parlé des expériences qu'ils avaient analysées à l'étranger, etc. Une de leurs solutions a tout de suite retenu mon attention, celle qui consiste à mettre des observateurs dans les tribunes, parce que parfois, quand des chants homophobes sont entonnés dans les gradins, l'arbitre ne les entend pas, car il est sur le terrain, loin des tribunes, et concentré sur autre chose. Je leur ai dit qu'il fallait évidemment appliquer cette proposition, qui va complètement dans le sens de ce que j'avais précédemment demandé, à savoir qu'il y ait une remontée, sur la feuille de match, de tous les incidents, pour qu'ils soient retracés et comptabilisés. Seulement, la question était de savoir ce qu'on pouvait faire quand on n'avait pas entendu ces chants. Je me suis donc tout de suite trouvée complètement alignée avec les recommandations de Rouge Direct. Sur ce point, nos combats sont aussitôt devenus communs. Je ne leur ai pas seulement dit que c'était bien, que ça allait, pour moi, dans le sens de l'histoire : j'ai demandé à mon cabinet d'enchaîner, et il a tout de suite pris contact avec les équipes de Metz et de Saint-Étienne – deux des quatre endroits recommandés par Rouge Direct – et nous avons enclenché le travail.
Là non plus, je ne vais pas lâcher. On va avancer. Des observateurs indépendants dans les tribunes feront remonter les faits à l'arbitre pour qu'il les reporte sur la feuille de match, y compris lorsqu'il n'a pas entendu ce qui se passait, parce que c'était partiel ou furtif. Même quand ils sont furtifs, ces actes doivent être punis.
Que s'est-il passé avec Rouge Direct ? J'ai écrit une lettre, dans laquelle j'avais réussi à embarquer, ce qui était historique, le président de la FFF, celui de la LFP et ma collègue Bérangère Couillard. Nous y exigions des dirigeants des clubs qu'ils agissent, en désignant des référents, en faisant cesser, en lien avec les associations de supporters, quand c'est nécessaire, les chants homophobes et en supprimant certaines paroles. Mais qu'ai-je donc eu le malheur d'écrire ? J'ai souligné que des ateliers de sensibilisation pouvaient être utiles. Ne le sont-ils pas, quand on voit ce que font Yoann Lemaire et Foot Ensemble, ou Kévin N'Doram, et quand on sait les effets que cela produit sur le terrain ? Que me reproche-t-on ? Est-ce d'avoir évoqué ce levier-là ? On s'est mis soudainement à dire que je ne tenais pas mes engagements, mais pourquoi ? Je veux travailler avec tout le monde, moi. Quand on s'appelle « collectif Rouge Direct », on ne doit pas diviser. Il faut additionner les forces, les leviers, les mobilisations, parce que c'est ainsi qu'on atteindra l'objectif d'éradiquer de nos stades et du sport les actes discriminatoires. Or Rouge Direct s'est mis à dire pendant des semaines que je ne tenais pas mes engagements et que je ne faisais pas ceci ou cela… Je ne me laisse pas dicter les modalités de mon action, car je suis une femme politique. Je mets les choses sur la table, j'étaie mes propositions, j'écoute ce qu'on me dit et ensuite je fais ce que j'ai dit.
Lorsque les membres de Rouge Direct ont été victimes d'attaques absolument inadmissibles sur les réseaux sociaux, j'ai demandé, dans l'heure qui a suivi, qu'on prenne contact avec eux, ce qui a été fait dans l'après-midi, pour voir si cela allait à peu près, s'ils n'étaient pas trop traumatisés. On leur a dit qu'il y avait une façon de signaler un tel cyberharcèlement, en s'adressant à Pharos, et ils ont répondu que leurs avocats avaient déjà cet élément en tête. Quand la plateforme Pharos est saisie, c'est l'équivalent, s'agissant des effets vis-à-vis de la justice, d'un recours à l'article 40, et je n'avais donc pas à faire un signalement. Par ailleurs, cette procédure ne sert pas à exiger d'une autorité publique qu'elle témoigne de certains faits, on peut saisir soi-même la justice. Je me suis assurée – c'est la première chose que j'ai faite – que Pharos avait effectivement pu être saisie, pour que les voies pénales soient activées.
Je me suis tenue aux côtés des membres de Rouge Direct, et je continuerai à le faire pour que les recommandations qu'ils ont impulsées, et auxquelles je crois, puissent être mises en œuvre. Je continuerai également à faire en sorte que des ateliers de sensibilisation aient lieu, car c'est tout aussi important. Les attaques dont les membres de Rouge Direct ont été l'objet sur les réseaux sociaux sont inadmissibles, je l'ai dit dans un tweet. J'ai également indiqué que je ne les avais pas laissé tomber, car c'était inexact, et j'ai mentionné Pharos parce que c'est une voie à suivre pour saisir la justice. Je les appelle à persévérer. Je veux qu'ils continuent leur action, comme l'ensemble des associations qui ont décidé, depuis des années, de se mobiliser. Aucun de nous ne doit céder au découragement. En tout cas, ma détermination à agir, à leurs côtés et aux côtés des autres acteurs, restera pleine et entière.
Je comprends, par ailleurs, que la question de la création d'une grande autorité placée au-dessus des fédérations se pose. Cependant, avec l'expérience et le recul qui sont les miens, compte tenu des situations de crise que j'ai eu à gérer, je pense que le meilleur service à rendre aux fédérations, c'est d'exiger d'elles qu'elles aillent jusqu'au bout de leurs responsabilités en matière disciplinaire, dans tous les domaines. En cas de violences à caractère sexiste et sexuel, il ne faut pas se contenter de licencier des gens ou de les muter, parce qu'on ne fait ainsi que déplacer les problèmes. On doit aller jusqu'au bout des procédures disciplinaires, en lien avec l'administration et la justice.
Dans la même logique, des dispositions exigent, depuis 2017, des présidents des fédérations qu'ils déclarent leurs éventuels conflits d'intérêts. La loi du 2 mars 2022 a renforcé le dispositif en l'étendant aux vice-présidents, aux trésoriers et aux secrétaires généraux des fédérations, que j'accompagne pour que cette mesure soit effective. Nous avons, par ailleurs, la loi Sapin 2, l'Agence française anticorruption (AFA), la brigade de répression de la délinquance économique, celle de répression de la délinquance fiscale, les audits financiers réalisés par l'IGESR et, s'il le faut, par l'Inspection générale des finances (IGF), et il y a aussi la Cour des comptes, les comités d'éthique et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nous sommes donc bardés d'institutions qui peuvent traiter, quand on le leur demande, les questions qui se posent. Faisons en sorte que chacun prenne ses responsabilités, en occupant toute sa place dans la chaîne, avant d'imaginer la création de machins qui auraient pour effet de retarder un certain nombre d'actions et de reporter, de diluer les responsabilités. Ce n'était pas forcément vrai il y a quelques années, quand tout cet édifice n'avait pas été construit, mais je pense que nous avons aujourd'hui tout ce qu'il faut pour que le sursaut nécessaire puisse se produire dans la vie fédérale. Par ailleurs, n'oublions pas que les responsabilités sont bien exercées dans bien des endroits, par des gens qui font leur métier avec probité, décence et dévouement.
Je comprends très bien, encore une fois, qu'une question puisse se poser, car nous avons connu trop de crises, et je suis sûre que cela fera partie des points abordés par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana, comme l'avait fait le CNOSF, mais il me semble que la priorité est plutôt de faire jouer aux instances tout le rôle qui leur revient.