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Intervention de Amélie Oudéa-Castéra

Réunion du jeudi 16 novembre 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques :

Je vous remercie de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur ces questions cruciales pour l'avenir du sport.

Depuis les premiers pas de votre commission, les témoignages que vous avez recueillis, en particulier les plus poignants d'entre eux, renforcent chez moi une double conviction. La première, c'est que le sport, à l'instar d'autres composantes de notre société, est le théâtre de violences, de dérives qui sont en elles-mêmes inacceptables et qui doivent être combattues avec d'autant plus de volontarisme qu'elles peuvent jeter l'opprobre sur tout un secteur, en abîmant parfois ou en décrédibilisant ce que le sport a d'essentiel à apporter à notre société. Ma seconde conviction, c'est que pour mettre un terme à ces violences, à ces dérives, mais aussi à leurs complices de toujours, l'omerta, la passivité, parfois même la complaisance et souvent l'inertie, nous devons rassembler les forces vives déterminées à lutter, appeler chacun à prendre ses responsabilités et ne rien laisser passer. C'est ce que je m'efforce de faire sans relâche depuis mon premier jour à la tête de ce ministère, le 20 mai 2022, et je sais que c'est aussi ce que vous vous efforcez de faire, à votre façon, depuis le 20 juillet dernier.

Votre commission a auditionné de nombreuses personnalités sur plusieurs enjeux majeurs qui sont autant d'impératifs pour le sport français : la lutte contre les violences, et tout particulièrement les violences sexuelles, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la lutte contre d'autres formes d'atteinte à l'éthique ou à l'intégrité, sur le plan moral ou financier, et l'amélioration de la gouvernance des fédérations. Je rappellerai quelques-uns des combats qui ont été les miens, les avancées obtenues et la manière dont j'entends poursuivre mon action, en commençant par la bataille la plus vitale, la plus urgente, qui est celle contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).

Ces dernières années, la déflagration « #MeToo » a permis d'amorcer une libération de la parole. Les pionnières qu'ont été Catherine Moyon de Baecque et Isabelle Demongeot ont été rejointes par Sarah Abitbol, Angélique Cauchy, Sébastien Boueilh et beaucoup d'autres victimes plus anonymes, à qui je veux redire mon admiration pour le courage qu'elles ont eu d'oser, un jour, briser le silence. Certaines de ces victimes ont témoigné devant vous, pour faire en sorte que d'autres n'aient plus à vivre, à leur tour, la solitude, la peur, la douleur, l'incompréhension, la colère, le cauchemar qui ont été les leurs. Merci à elles.

Leur combat est devenu notre combat. Face à ces révélations, l'État a pris ses responsabilités. Depuis 2020, sous l'autorité du Président de la République, les gouvernements successifs, ceux d'Édouard Philippe, de Jean Castex et aujourd'hui d'Élisabeth Borne, se sont mobilisés comme jamais sur ces questions. Je veux, bien sûr, rendre tout particulièrement hommage à ma prédécesseure, Roxana Maracineanu, pour avoir engagé comme elle l'a fait cette bataille.

Même s'il reste beaucoup de travail à faire, je veux souligner qu'une véritable révolution a été réalisée entre 2019 et 2022, avec la création de la cellule Signal-sports, la désignation d'une déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, les conventions organisées chaque année dans ce domaine, la constitution dans les fédérations sportives et les établissements sportifs d'un réseau de référents spécialisés, le développement et l'outillage du contrôle d'honorabilité, ainsi que l'inscription dans la loi de l'obligation de formation en matière de VSS dans le cadre de tous les diplômes d'État délivrés dans le champ de la jeunesse et des sports.

Dès mon arrivée, j'ai fait mien ce combat, en suivant une ligne claire, la tolérance zéro, en érigeant la lutte contre les violences sexuelles au rang de priorité pour mon ministère et en obtenant des moyens humains inédits – vingt effectifs supplémentaires en 2023 et trente-six dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, afin que les enquêtes aillent plus vite et que le contrôle des établissements sportifs soit renforcé.

J'ai fait preuve d'une fermeté totale lorsqu'il s'est agi de traiter des situations de crise au sein des fédérations, y compris les plus puissantes d'entre elles, comme la Fédération française de football (FFF), lorsqu'il a fallu taper du poing sur la table pour que les instances prennent leurs responsabilités, pour interpeller leurs présidents, pour lancer ou parfois relancer des inspections, en sollicitant plus que jamais l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et en saisissant la justice, par la voie de l'article 40 du code de procédure pénale chaque fois que nous le jugions nécessaire. J'ai également milité pour une amélioration de l'articulation entre les procédures judiciaires, administratives et disciplinaires. Nous avons ainsi, avec le garde des sceaux, déployé pour la première fois des référents sport au sein des parquets grâce à la circulaire de mars 2023. J'ai, par ailleurs, impulsé la création de temps renforcés de prise de conscience, de mobilisation avec tous les acteurs du sport et les professions qui l'entourent, par exemple en ajoutant aux conventions annuelles un séminaire dédié à la question de l'enfant face aux violences dans le sport, qui a eu lieu début 2023.

Grâce à tout cela, nous avons déjà des acquis. Le 2 novembre, Signal-sports avait traité plus de 1 800 signalements, qui mettaient en cause plus de 1 200 personnes et ont donné lieu à 266 arrêtés d'interdiction d'exercer pris en urgence, à 126 arrêtés d'interdiction d'exercer pérennes et à 134 notifications d'incapacité d'exercer à la suite d'une condamnation pénale. Par ailleurs, nous avons amélioré la portée du contrôle d'honorabilité, en le systématisant de manière beaucoup plus rigoureuse pour tous les éducateurs sportifs professionnels et en l'étendant de manière plus effective à tous les bénévoles, notamment ceux en contact avec des mineurs. Le 6 novembre, plus de 1,2 million d'identités de bénévoles avaient déjà été contrôlées. J'ai en outre décidé de faire passer le nombre de contrôles d'établissements d'activités physiques et sportives (EAPS) de 3 900 à 6 000 en 2024, grâce aux renforts obtenus, ce qui représentera une hausse de 54 %.

Bien sûr, nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, tant s'en faut. Le travail doit se poursuivre, suivant cinq axes prioritaires.

Il faut continuer à marteler l'obligation de signalement, pour que chacun comprenne que signaler ce type de violence n'est pas une option, mais une obligation, et responsabiliser chaque acteur de la chaîne, dans le sport amateur ou professionnel.

Nous devons mieux faire connaître le canal de Signal-sports, partout et tout le temps : c'est l'un des enseignements que nous tirons des travaux de votre commission.

On doit continuer à assurer une meilleure articulation entre les procédures et faire en sorte d'engager nos fédérations à aller au bout de leurs responsabilités en matière disciplinaire.

Il est nécessaire de parachever le système du contrôle d'honorabilité, pour mettre fin aux derniers angles morts, aux contournements qui peuvent encore exister çà et là.

Enfin, on doit mieux accompagner les victimes, tant dans leurs démarches judiciaires que dans leur reconstruction, en lien avec les associations et l'environnement familial, dont le rôle et la place doivent être respectés.

Au-delà des violences à caractère sexiste et sexuel, j'ai souhaité mener une action déterminée, résolue, contre toutes les formes de dérives dans le sport.

Cela concerne, d'abord, les maltraitances. Nous devons faire en sorte qu'elles soient éradiquées de notre culture de la haute performance, comme je l'ai exigé avec force dans la gymnastique.

En ce qui concerne la lutte contre les violences dans les stades, de nombreuses actions ont été engagées depuis un an en lien avec le ministère de l'intérieur, la Ligue de football professionnel (LFP), notamment grâce à une relance de l'Instance nationale du supportérisme, au renforcement du rôle des référents supporters et des policiers référents supporters visiteurs, à la systématisation des interdictions judiciaires de stade pour les infractions les plus graves en lien avec les manifestations sportives – violences physiques, provocation à la haine ou à la violence –, et à la création de deux nouveaux délits, l'entrée par force ou par fraude dans les enceintes et l'intrusion sans motif légitime sur l'aire de compétition.

J'ai souhaité, en outre, renforcer la lutte contre toutes les formes de discrimination en veillant à ce que les faits soient systématiquement relevés, les auteurs identifiés et les sanctions les plus sévères prononcées, et en formant 100 % des éducateurs sportifs à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine.

S'agissant de la lutte contre les violences dont sont victimes les personnes LGBT dans le sport, j'ai présenté le 17 mai un plan d'action extrêmement volontariste, reposant sur un appel à la mise en place d'instances dédiées au cœur des fédérations pour lutter contre ces discriminations, sur le modèle de la commission antidiscriminations et égalité de traitement (Cadet) dans le rugby, et la remontée systématique sur la feuille de match de tous les actes discriminatoires qui se produiraient dans les tribunes ou sur le terrain. J'ai écrit, le 12 octobre, à tous les dirigeants des clubs pour leur demander d'agir plus fortement afin de prévenir l'homophobie dans les stades, en lien avec les associations de supporters. J'ai demandé que les protocoles prévus lors des rencontres soient activés chaque fois que nécessaire, y compris en suspendant les matchs ou en les arrêtant en cas de chants homophobes. J'ai veillé, dans le même temps, à ouvrir la pratique sportive au plus grand nombre, dans une logique d'inclusion, par exemple en remettant le 9 septembre un agrément ministériel à la Fédération sportive LGBTQI+. Je ne laisserai donc pas dire un instant, par quiconque, que mon action en la matière serait partielle ou superficielle. J'ai fait, dans ce registre, beaucoup plus qu'aucun dirigeant sportif avant moi.

En ce qui concerne le harcèlement, j'ai souhaité que le sport prenne toute sa place dans le plan interministériel qui a été présenté le 27 septembre par la Première ministre, en y impliquant cinq familles d'acteurs : les éducateurs sportifs, les fédérations, l'IGESR, les centres d'entraînement et de formation, ainsi que les plateformes numériques.

Afin de promouvoir une intégrité totale dans le sport, j'ai œuvré dans deux autres domaines qui sont au cœur des missions de service public : en ce qui concerne la prévention et la lutte contre le dopage, j'ai veillé à doter l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) de moyens inédits et à parachever notre édifice juridique de protection ; j'ai également renforcé la lutte contre la manipulation des compétitions sportives.

Même si vos travaux ne portent pas spécifiquement sur ce point, j'ai souhaité qu'une action ferme et déterminée soit menée contre toutes les dérives séparatistes, grâce à un rehaussement des moyens affectés à cette question partout dans le champ sportif.

J'en viens à la question de la gouvernance des fédérations. Juste avant mon arrivée au ministère, une réforme importante avait été réalisée par la loi du 2 mars 2022, qui a prévu plusieurs améliorations relatives à la limitation des mandats, à la transparence, à la déontologie et à la vitalité démocratique, par le vote direct des clubs. J'ai accompagné chacune des fédérations dans la mise en œuvre effective de ces mesures. Dans le même temps, j'ai opéré une clarification des rôles et des responsabilités de l'ensemble des acteurs en recentrant mon ministère sur ses missions régaliennes et d'évaluation et en rendant beaucoup plus claires les frontières des compétences de la direction des sports et de l'Agence nationale du sport, notamment grâce à des protocoles détaillés.

Lors des crises que j'ai eu à traverser, je suis intervenue à chaque fois pour m'assurer du respect par chaque acteur de ses obligations et responsabilités et pour appeler au bon fonctionnement éthique et démocratique des instances. Nous avons mené collectivement un retour d'expérience sur ce qui peut, dans la vie fédérale, conduire à des défaillances ou au contraire les prévenir et les faire cesser.

Les crises de nature et de causes diverses que nous avons connues m'ont conduite à approfondir la réflexion sur le renforcement des institutions sportives. J'ai ainsi pris l'initiative d'installer, dès le 29 mars dernier, un Comité national pour le renforcement de l'éthique et de la vie démocratique. Sa présidence a été confiée à Marie-George Buffet et à Stéphane Diagana, à qui j'ai demandé des recommandations pour assurer une gouvernance du sport plus éthique, une meilleure vitalité démocratique et une protection renforcée des pratiquantes et des pratiquants, notamment contre toutes les formes de violence et de discrimination. Les préconisations de ce comité me seront transmises prochainement. Elles serviront, avec les conclusions de vos propres travaux, à apporter les modifications souhaitables au cadre juridique du sport français, en lien avec ses acteurs.

Sans préempter les conclusions de ce comité, je peux partager avec vous quelques-uns des principes directeurs qui, à mon sens, doivent guider les efforts pour améliorer la gouvernance des fédérations. Nous devons renforcer les comités d'éthique, nous assurer qu'il y a des contre-pouvoirs effectifs au cœur des instances, inscrire la protection des licenciés et la préservation de l'éthique, de l'intégrité au frontispice des missions des fédérations et au cœur du dialogue de gestion que nous avons avec elles, mais aussi améliorer les voies de résolution des conflits grâce à de bonnes cordes de rappel, démocratiques et juridiques, en cas de blocage des institutions ou de défaillance majeure de leurs dirigeants, et enfin mieux accompagner les petites fédérations, tout en renforçant le rôle du CNOSF.

En conclusion, vous l'avez compris, ma détermination est totale : je ne lâcherai rien, dans aucun des combats qui sont aussi les vôtres, qu'il s'agisse de lutter contre les violences et les discriminations ou de remédier aux défaillances observées dans la gouvernance ou le pilotage de nos fédérations. Je continuerai à regarder en face tout ce qui, dans notre modèle, mérite d'être réparé, corrigé ou amélioré, y compris au cœur de mon ministère, pour que le sport puisse tenir ses promesses, pour le libérer des maux qui le rongent encore trop souvent. La lutte pour l'éthique et l'intégrité est depuis des années au fondement même de mon engagement dans le sport.

Je souhaite aussi que nous ayons collectivement, dans cette démarche, le discernement ou la justesse nécessaire pour souligner ce qui va bien, ce qui va déjà beaucoup mieux et même ce qui est fort dans la gouvernance du sport français. Il y aurait beaucoup à dire, en effet, de l'engagement de nos 3,5 millions de bénévoles, de la vitalité de nos 180 000 clubs, dans les territoires, de la performance parfois exceptionnelle de nos équipes de France, du dévouement, de la probité et de l'engagement de tant de dirigeants dans les fédérations, les ligues, les comités et les clubs. Je continuerai, aux côtés de la représentation nationale, à fortifier le modèle sportif français. Il en a besoin et il le mérite.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, après avoir précisé que je suis légalement tenue de ne pas évoquer des affaires judiciaires en cours et de ne pas méconnaître les obligations de déport qui sont les miennes.

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