C'est précisément en raison du vote de la loi « immigration » que je suis seul ce soir face à vous : la rencontre a été boycottée par les autres associations – j'avoue que nous y avons réfléchi aussi – tellement cette loi transgresse des tabous politiques et franchit des lignes rouges que nous pensions partagées.
Sur le principe, remettre en cause l'hébergement inconditionnel ou instaurer une forme de préférence nationale pour les prestations sociales sont des dispositions très choquantes – qui ont d'ailleurs largement choqué. C'est pourquoi nous manifesterons dimanche, aux côtés de nombreuses personnalités et d'organisations. Cela étant dit, qu'est-ce que la loi changera précisément ? Nous ne savons pas ce que le Conseil constitutionnel décidera.
En ce qui concerne l'hébergement inconditionnel, c'est le grand flou : le Président de la République a déclaré vouloir conserver l'accueil inconditionnel et Patrice Vergriete a annoncé qu'il restait au Gouvernement – s'il est reconduit – parce qu'il avait obtenu la garantie qu'il n'y aurait pas de remise en cause du caractère inconditionnel de l'hébergement. Or la loi qui a été adoptée prévoit un accueil inconditionnel, « sauf ». Il ne l'est donc plus. La question, c'est de savoir sauf quoi ou sauf qui ? Ce n'est pas clair. Ce serait : « sauf les personnes faisant l'objet d'une OQTF le temps de leur éloignement ». Qu'est-ce que cela signifie ? Personne ne le sait vraiment, cette disposition ayant été rédigée rapidement, sans étude d'impact.
Comment faut-il interpréter la mention « le temps de leur éloignement » ? Nous pourrions la prendre au pied de la lettre : avant d'être éloigné, vous avez le droit à un hébergement ; après avoir été éloigné, vous n'y avez plus droit. Toutefois, si vous êtes éloigné, vous n'êtes plus en France ! Il est alors logique que vous n'ayez pas droit à l'hébergement. Je pense que l'intention du législateur – qui a travaillé dans la nuit, donc on ne sait pas très bien ce qu'il en était – était de s'inspirer de la jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle vous n'avez pas le droit de réclamer un hébergement à l'État si vous faites l'objet d'une OQTF et que l'on vous a simplement laissé le temps d'organiser votre départ – c'est-à-dire un mois. On pourrait donc penser que telle est l'intention du législateur : vous avez droit à l'hébergement d'urgence pendant un mois, le temps de faire vos bagages et de vous organiser. Ensuite, vous êtes censé quitter le territoire et vous n'avez plus le droit à l'hébergement. C'était, je pense, l'idée sous-tendue derrière l'amendement qui a introduit cette disposition. Ensuite, quelles seront les conséquences de la loi, telle qu'elle est rédigée ? Ce n'est pas clair.
J'ajoute que cette disposition est très inquiétante, car elle ouvre la porte à des contrôles d'identité, puisque l'accueil en hébergement serait conditionné à la régularité du séjour. Surtout, si les personnes craignent d'être expulsées en fonction de leur titre de séjour, elles auront évidemment très peur d'aller en hébergement – cela se comprend.
Je ne développerai pas la question des prestations sociales. Toutefois, cela signifie que certaines personnes ne percevront plus ni allocations familiales ni APL, ce qui peut représenter une perte de 700, 800, voire 900 euros par mois. Il leur était déjà difficile de payer un loyer, même un loyer HLM, cela leur deviendra impossible. Des centaines de milliers de personnes sont concernées. Où iront-elles ? En hébergement d'urgence ? Peut-être mais il n'y a plus de places. En logement privé ? Sans doute pas. Nous lançons donc une alerte rouge sur ce point, si le Conseil constitutionnel le valide.