Il est trop tôt pour mesurer les effets de la loi Kasbarian, adoptée en juillet dernier, en particulier pour ce qui concerne les expulsions locatives dont les procédures sont assez longues. En revanche, on peut évaluer les effets d'une disposition de ce texte, qui étend le champ d'application des expulsions de squatteurs sans décision du juge. Cette procédure administrative expéditive était jusqu'alors réservée, en application de l'article 38 de la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi Dalo, à des expulsions de squatteurs de domicile : quand vous trouvez un squatteur chez vous en rentrant de week-end, il est normal de ne pas passer devant le juge. Or cette procédure est étendue au squat de bâtiments vacants, voire à des expulsions de locataires détenteurs ou non d'un bail. Les préfectures ont désormais tendance à expulser sans procès des personnes qui ne sont pas des squatteurs mais des locataires jouissant d'accords tacites ou informels avec le propriétaire. Toutes les précautions qui avaient été introduites dans le droit pour protéger les occupants, quel que soit leur statut, par une procédure et par l'intervention du juge, sont remises en question. Les préfectures ne sont pas toujours armées pour éviter les abus qui peuvent survenir lorsqu'on se passe du juge, et les propriétaires sont parfois habiles pour déguiser des locataires en squatteurs.
J'ai dit que nous avions connu un record d'expulsions locatives en 2022. Jusqu'à présent, l'action de l'État consistait à prévenir les expulsions autant que possible. En effet, sur 150 000 jugements d'expulsions pour impayés, seules 17 500 expulsions ont été exécutées. Bien sûr, entre-temps, des personnes ont pu partir d'elles-mêmes mais surtout, des problèmes ont pu se résoudre parce que les créanciers ont accepté de laisser le temps au locataire de régler ses dettes ou que des solutions transitoires ont été trouvées. En revanche, accélérer la procédure ou se méfier du juge et lui supprimer la possibilité d'accorder des délais supplémentaires pour rembourser le bailleur, ne peut aboutir qu'à augmenter le nombre d'expulsions locatives. Or nous ne savons pas héberger et encore moins reloger les personnes expulsées. Si 8 000 personnes n'ont pas reçu de réponse en appelant le 115 aujourd'hui, elles risquent d'être bien plus nombreuses encore demain, du fait de l'inflation qui aggrave le risque d'expulsion pour impayés.