Intervention de Stéphane Piednoir

Réunion du jeudi 14 décembre 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur :

Après ce compte rendu des propos tenus dans le cadre de ces tables rondes, nous souhaitons vous présenter cinq recommandations, qui prennent en compte un certain nombre des questions soulevées lors des débats particulièrement riches de cette audition.

Notre première recommandation porte sur les moyens alloués à l'ASN et à l'IRSN, indépendamment du projet de réforme de leur organisation. Les instances chargées de la sûreté et de la radioprotection doivent en effet disposer d'un effectif suffisant, en nombre et en qualité, pour accompagner les innovations technologiques, en France, mais aussi en lien avec les autres pays européens.

Leur capacité à répondre dans des délais raisonnablement courts, et surtout prévisibles, tout en ne dérogeant jamais à la rigueur de leur démarche en matière de sûreté et de radioprotection, constitue une condition indispensable à l'innovation dans le domaine des réacteurs, en particulier lorsqu'elle est portée par des start-up, qui doivent être en capacité d'afficher des calendriers clairs et resserrés pour parvenir à obtenir de nouveaux financements.

Aussi bien le directeur général de l'ASN, Olivier Gupta, que celui de l'IRSN, Jean-Christophe Niel, nous ont confirmé sans aucune ambiguïté la nécessité d'un tel renfort. Pour l'ASN, il devrait intervenir à partir de 2025 et se poursuivre dans la durée. Pour l'IRSN, qui travaille légèrement en amont de l'ASN, cet accroissement des moyens apparaît indispensable dès aujourd'hui. Dans le cas contraire, l'IRSN devrait recourir à une solution dégradée, par redéploiement, ce qui se ferait au détriment d'autres dossiers.

Ce renforcement des moyens est une recommandation que l'Office avait déjà formulée dans son rapport du mois de juillet dernier sur l'organisation du contrôle de la sûreté et de la radioprotection, dont je suis, avec Jean-Luc Fugit, le rapporteur, tout comme dans celui de juillet 2021 sur l'avenir de l'énergie nucléaire.

Notre deuxième recommandation rejoint les propos tenus par plusieurs intervenants de l'audition, aussi bien du côté des start-up, des autorités chargées de la sûreté, que d'EDF, sur la nécessité d'un renforcement du soutien à la recherche et à l'innovation. Certes, des progrès importants ont été accomplis ces dernières années, mais l'audition a bien mis en lumière que cet effort doit être poursuivi et sans doute amplifié. Il conviendrait par conséquent de revoir les moyens alloués dans ce domaine au CEA et à l'IRSN, mais aussi de remobiliser le CNRS ainsi que la recherche universitaire.

En lien avec ce besoin de montée en puissance de la recherche, notre troisième recommandation concerne l'approfondissement de la coopération européenne, et au-delà internationale, sur la recherche et l'innovation dans le domaine nucléaire. Ainsi que l'a souligné Bernard Salha, « les enjeux d'innovation sont tellement importants qu'il serait opportun de les partager entre plusieurs pays européens et de fédérer des actions ».

De plus, avec la diversification des pistes technologiques et l'augmentation du coût des plateformes de recherche, la coopération à l'échelle européenne et internationale devient indispensable pour couvrir un champ suffisamment large, tout en modérant ou du moins en optimisant les dépenses. Il ne s'agit pas de contourner Euratom, mais il faut bien constater, après plus de 60 ans, que ce traité n'a pas contribué de façon suffisante à faire progresser sur le continent européen les technologies nucléaires innovantes dans le domaine des réacteurs de fission.

Grâce à sa place dans les sciences et technologies de l'atome, la France a sans aucun doute un rôle de premier plan à jouer, au moins aussi important que dans le développement de l'aéronautique et du spatial en Europe. Une initiative dans le domaine de la recherche et du développement serait d'ailleurs un prolongement naturel de la nouvelle Alliance européenne pour le nucléaire, qu'elle renforcerait, en ouvrant de nouvelles perspectives à nos partenaires. C'est précisément ce que l'OPECST avait proposé dans son rapport de juillet 2021, tout comme l'ouverture d'une telle coopération à des pays proches, comme le Royaume-Uni et l'Ukraine, ou plus éloignés, comme le Japon. À l'époque l'Australie avait aussi été évoquée, mais l'accord de coopération tripartite AUKUS est venu mettre à mal cette option.

Notre quatrième recommandation concerne l'adaptation de la législation et de la réglementation aux besoins particuliers des technologies innovantes. En effet, la loi relative l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ne prend pas spécifiquement en compte les besoins exprimés lors de l'audition. Il conviendrait, en particulier, que le Gouvernement étudie de quelle façon la mise en place de dispositifs expérimentaux sur les sites de recherche nucléaire actuels pourrait être simplifiée ou leur construction anticipée, tout en respectant strictement les règles de protection de la population et de l'environnement.

La cinquième recommandation porte sur la prise en compte de l'impact des nouveaux réacteurs sur le cycle du combustible nucléaire, en anticipant sur les besoins de combustible de ces nouveaux projets, mais aussi en examinant comment ils peuvent permettre d'atteindre l'objectif de fermeture du cycle prévu par la loi de 2006, qui a été laissé de côté depuis la suspension du projet Astrid.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur le besoin, évoqué par plusieurs de nos collègues, de sensibiliser la population à la possibilité que des installations nucléaires soient un jour implantées à proximité de zones industrielles ou densément peuplées. Il nous a semblé qu'une telle démarche serait prématurée, car il reste à ce jour trop d'inconnues sur les conditions dans lesquelles, en termes de sûreté nucléaire, de radioprotection, mais aussi de sécurité, cela pourrait être envisagé.

Il conviendra que l'OPESCT suive avec beaucoup d'attention le développement de ces technologies pour juger du moment le plus opportun pour initier une telle démarche. À cet égard, il serait sans doute utile que l'Office prolonge la mission confiée à la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) sur le suivi du développement des réacteurs avancés et étudie comment celle-ci pourrait être, à terme, inscrite dans les textes.

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