Les motivations des sapeurs-pompiers volontaires ont sensiblement varié selon les époques. À l'exception des sapeurs-pompiers militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, les corps de sapeurs-pompiers ont longtemps été constitués quasi exclusivement de sapeurs-pompiers volontaires. Les services d'incendie et de secours tels que nous les connaissons aujourd'hui se sont formés dans les années 1980 et 1990. Les sapeurs-pompiers professionnels ont été répartis selon les catégories A, B et C à la faveur de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et de quatre décrets parus en 1990. Auparavant, les sapeurs-pompiers étaient tous volontaires. Ils sont devenus ensuite permanents lorsqu'ils ont été embauchés par les communes et enfin, depuis un peu plus de trente ans, professionnels. La professionnalisation est donc récente dans notre modèle de sécurité civile. Elle est venue combler les indisponibilités des volontaires, lesquels exerçaient souvent une activité professionnelle en parallèle de leur engagement.
L'une des premières motivations des sapeurs-pompiers volontaires fut de ne pas rester impuissants face au malheur de leurs concitoyens. Aujourd'hui, plusieurs profils cohabitent au sein d'un même centre de secours. Certains souhaitent porter l'uniforme pour les valeurs nobles qu'il représente, d'autres cherchent une occupation parce que leur vie professionnelle ou personnelle ne les satisfait pas tout à fait, d'autres encore, et il ne faut pas craindre de le reconnaître, cherchent avant tout un complément à leurs revenus.
La départementalisation des SDIS a peu à peu modifié le management des sapeurs-pompiers. Les sapeurs-pompiers ont longtemps évolué dans des petits corps, dirigés de manière extrêmement paternaliste par un chef de corps, et en lien avec un maire très présent. La départementalisation a inscrit la plupart des sapeurs-pompiers volontaires dans une forme d'anonymat. Nombre d'entre eux, c'est du moins ainsi qu'ils l'expriment, ont l'impression d'être un numéro de matricule, d'être gérés par un chef de service et non plus par un chef de corps, et de dépendre d'un service des ressources humaines au niveau départemental, même s'il existe dans certains départements des services de volontariat. J'estime que ce type de management a considérablement modifié la situation des sapeurs-pompiers volontaires.
Le recrutement s'est lui aussi sensiblement transformé. Plus qu'un examen, il consiste désormais en un concours où seuls les meilleurs sont retenus. Par conséquent, le recrutement est devenu plus difficile et la gestion quotidienne d'un sapeur-pompier volontaire se rapproche davantage de la gestion d'un salarié que de celle d'un bénévole. Par exemple, il est demandé à un sapeur-pompier volontaire de justifier une indisponibilité par un certificat médical, ce qui est une pratique commune dans le cadre d'une activité professionnelle, mais ne l'est pas dans le cadre du bénévolat.
Les traditions subsistent, mais les sapeurs-pompiers volontaires éprouvent souvent le sentiment d'intégrer anonymement l'institution et de la quitter dans un même anonymat, en ayant sacrifié une partie de leur vie de famille et de leur vie professionnelle – voire, pour certains d'entre nous, en ayant sacrifié leur vie tout court. Ils éprouvent, de plus en plus nettement, l'impression d'être devenus une variable d'ajustement dans un système motivé par l'objectif de réaliser des économies, l'impression également d'être tolérés comme exécutants dont on n'attend guère plus. Les compétences qu'ils ont développées dans leur vie professionnelle sont très souvent négligées. D'ailleurs, il leur est rarement demandé de présenter un curriculum vitae lors du concours.
Il est évidemment plus aisé de gérer des sapeurs-pompiers comme on gère des professionnels, mais leur recrutement, la gestion courante et la pérennisation de leur engagement réclament des compétences en termes de gestion, en termes de volonté, en termes d'énergie et en termes de constance.
Nous faisons le constat d'un manque de souplesse de l'organisation des SDIS vis-à-vis des sapeurs-pompiers volontaires. L'individu est sommé de s'adapter à l'institution, et non l'inverse. Je ne citerai comme exemples que les visites médicales et les formations dispensées en journée alors que les sapeurs-pompiers volontaires, le plus souvent, sont requis par leur travail en journée.
Pire encore, les sapeurs-pompiers volontaires subissent l'hostilité d'organisations syndicales souhaitant leur disparition, et se heurtent à un mutisme de leur hiérarchie laissant entendre, sinon une adhésion à ce souhait, du moins un consentement à l'idée que les sapeurs-pompiers volontaires puissent disparaître.
Ainsi, alors que les exigences sont de plus en plus fortes, la vocation, c'est-à-dire ce qui fait vibrer lorsque nous entrons pour la première fois dans un centre de secours, a peu à peu laissé place au désintérêt, à l'absence de reconnaissance, au sentiment d'anonymat et parfois, il faut le dire, à l'incompétence. Le désarroi est également lié à la fragilité du statut, puisque le propre de l'engagement quinquennal suppose qu'il puisse ne pas être renouvelé. Ainsi voit-on des volontaires quitter les rangs des sapeurs-pompiers après une simple mésentente avec un chef de centre.
L'idée même que notre existence puisse être remise en cause nous est insupportable, tant notre institution s'est construite à travers l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Certes les sapeurs-pompiers volontaires constituent une belle vitrine d'un point de vue national. Mais il est permis aujourd'hui de se demander si nos institutions souhaitent réellement pérenniser leur engagement.