Lorsque j'étais député, les fréquences de la bande autour de 700 MHz ont été libérées et les opérateurs télécoms étaient prêts à dépenser 3,5 milliards d'euros pour la récupérer. On voit donc que ces fréquences radioélectriques valent très cher : ainsi, la gratuité de leur attribution par la puissance publique a un coût pour la collectivité. Il faut garder cela en tête, car j'ai parfois l'impression que les opérateurs s'étant vu attribuer une fréquence dans le cadre d'une convention s'en sentent un peu propriétaires ; ils invoquent le coût de leur activité d'édition de services de médias audiovisuels, mais ils ont obtenu pour ce faire la permission d'utiliser des fréquences radioélectriques qui représentent un capital. Il conviendrait de mettre davantage en avant cette question financière dans les discussions relatives à l'attribution des fréquences de télévision numérique terrestre (TNT). Je le répète, et je n'ai pas changé de point de vue depuis que j'intéresse moins aux sujets audiovisuels : la puissance publique n'accorde pas suffisamment d'importance à cet élément. Des gens semblent s'être appropriés un capital sans payer d'intérêts.
J'ai quelques reproches à faire au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'une certaine époque. J'hésite à citer des noms, mais je pense en particulier à M. Michel Boyon. Depuis lors, M. Olivier Schrameck a essayé de redresser la barre, dans une situation très difficile ; quant à M. Roch-Olivier Maistre, que je connaissais par ailleurs, il me semble de la même trempe que son prédécesseur. Je ne suis plus l'actualité de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), bien que j'aie été membre du collègue de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) jusqu'à la fusion de cette dernière avec le CSA, mais j'ose espérer que le fonctionnement de cette institution s'est amélioré. Ainsi, j'ai critiqué, dans des rapports que j'ai rédigés en tant que député, la façon dont fonctionnait le CSA à l'époque de M. Boyon. Je n'étais pas le seul à avoir cet avis, que partageaient notamment Martine Martinel et d'autres collègues, de gauche comme de droite.
Prenons l'exemple de W9, qui était une chaîne de télévision musicale. Vous la regardez peut-être de temps en temps, comme moi, mais pas pour la musique car je ne sais pas à quelle heure elle est diffusée – peut-être entre deux et quatre heures du matin, mais certainement pas aux heures de grande écoute ! La tendance générale des chaînes a été d'attirer la publicité et donc de devenir plus généralistes. Je déplore un défaut de surveillance de la part de la puissance publique, plus particulièrement de l'Arcom et, en tout état de cause, du CSA à l'époque. Je parlerai même d'une insuffisance grave de la puissance publique dans le suivi du respect des conventions conclues avec les éditeurs.
Prenons un autre exemple, dont j'ai d'ailleurs discuté avec Nonce Paolini quand il était président-directeur général (PDG) du groupe TF1. Le 12 décembre 2012 à douze heures, douze minutes et douze secondes, M. Boyon a appuyé sur le bouton pour lancer la diffusion de six nouvelles chaînes gratuites de la TNT. LCI était alors une chaîne de la TNT payante – un modèle qui n'a pas prospéré – et le groupe TF1 se plaignait de ses faibles audiences. Il aurait été normal que la fréquence utilisée par LCI sur la TNT payante, soit remise dans le pot commun, c'est-à-dire rendue au CSA, et que TF1 propose cette même chaîne au titre des six nouvelles de la TNT gratuite qui s'apprêtaient à être lancées. Or ce n'est pas ce qui s'est passé : le groupe TF1 a tout bonnement gagné gratuitement une chaîne diffusée sur la TNT gratuite. Je comprends bien qu'il n'ait pas eu envie de laisser tomber une chaîne qui représente de l'argent, mais la décision prise à l'époque n'est pas normale.
Les travaux que j'ai menés dans le cadre de la commission d'enquête sur les conditions d'octroi d'une autorisation d'émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente sont parfaitement édifiants. Ils illustrent le dysfonctionnement permanent du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Rachid Arhab a notamment raconté dans un livre qu'après sa nomination comme membre du collège, il a cru pendant un mois que M. Pascal Houzelot faisait partie du personnel du CSA parce qu'il avait un bureau dans les locaux du Conseil et qu'il parlait à tout le monde ; or il n'était que le représentant de TF1. Il n'est pas anormal que des personnes extérieures pilotent les nombreux groupes de travail mis en place par le CSA, mais elles devraient le faire depuis leurs propres bureaux et non dans les locaux du Conseil.
Que s'est-il passé pour la chaîne Numéro 23 ?
Le Gouvernement a chargé M. Boyon de conduire une mission relative aux normes de diffusion – là encore, ce n'est pas normal car il aurait fallu s'adresser au CSA –, après avoir décidé d'attribuer aux opérateurs historiques une « chaîne bonus » sur la TNT. J'imagine que TF1 et M6, qui n'étaient peut-être que modérément favorables à l'arrivée de Canal+ sur la TNT gratuite, ont alors plaidé – c'est une hypothèse que j'émets ici – pour que la norme DVB-T2, préconisée par M. Boyon dans son rapport, s'applique aux nouvelles chaînes. Seuls 3 à 5 % des récepteurs étaient compatibles avec cette norme : on accorderait donc au groupe Canal+ une chaîne de la TNT gratuite visible par à peine 5 % des téléspectateurs.
Les choses ont changé lorsque Canal+ a racheté à Bolloré les deux chaînes D8 et D17, pour un prix de l'ordre de 200 millions d'euros. Retenez bien ce montant, auquel le prix d'une chaîne de la TNT a été d'un seul coup fixé. Dès lors, Canal+ allait donc intégrer la TNT gratuite. Le Gouvernement a alors changé de pied et organisé, le 11 octobre 2011, une réunion interministérielle à laquelle a participé M. Boyon – à titre personnel et non en tant que président du CSA, je le répète car cela a son importance – et au cours de laquelle il a été décidé de lancer les nouvelles chaînes de la TNT avant les élections de 2012. Dès le 18 octobre 2011, un appel à manifestation d'intérêt a été publié pour l'attribution des nouvelles chaînes, en dépit d'un avis de la Commission européenne défavorable aux « chaînes bonus ». Le Gouvernement a décidé de servir tout le monde et il n'est pas resté beaucoup de chaînes à attribuer.
Une fréquence était destinée à une chaîne sportive et il fallait choisir entre RMC Sport et L'Équipe HD. Les responsables de la seconde chaîne ont rencontré le Président de la République et, comme par hasard, on a appris dans la presse que le Comité national olympique et sportif français allait donner son avis sur la question – ce qui est assez étonnant puisque c'est au CSA qu'il revient normalement de faire un choix sans qu'aucune autre instance ne vienne influencer sa décision. L'Équipe HD a finalement été retenue.
Un membre du CSA, dont je tairai le nom afin d'éviter des ennuis judiciaires, a contacté M. Yassine Belattar, qui promouvait une chaîne de télévision un peu décalée consacrée aux cultures urbaines et nommée Urb TV, pour lui conseiller de s'associer avec M. Pascal Houzelot, qui disposait d'excellentes capacités de financement. Cependant, Urb TV s'est fait rouler dans la farine, comme on l'a vu le jour de la présentation de la chaîne de la diversité, qui allait devenir Numéro 23. Je vous ferai remarquer que cette chaîne a changé de nom à trois reprises pendant l'élaboration de la convention, ce qui montre que la ligne éditoriale était déjà en train de changer alors même que la convention n'était pas encore signée.
Le CSA avait déjà eu affaire à M. Houzelot, qui lui avait présenté un projet de chaîne du câble, très parisienne dans un certain nombre d'aspects, sur les cultures gay et lesbienne, avec un financement béton. La ligne éditoriale n'a cependant jamais été respectée, au point que Pink TV est un jour devenue une chaîne porno, que le CSA a dû mettre le holà et que M. Houzelot a délocalisé aux Pays-Bas son activité d'édition de services pornographiques. Comment le Conseil a-t-il pu se laisser avoir une nouvelle fois ? Il savait déjà que M. Houzelot n'avait aucune parole, puisqu'il n'a jamais respecté les conventions signées, ni aucun plan de financement, puisqu'il avait laissé entendre que certaines personnes étaient prêtes à mettre beaucoup d'argent dans Pink TV mais que cela ne s'était pas vérifié. La même chose est arrivée pour la chaîne Numéro 23.
L'un de ceux qui avaient accepté de s'associer avec M. Houzelot – peut-être M. Granjon, je ne sais plus – m'a raconté comment les choses s'étaient passées : « J'étais à un feu rouge, j'ai aperçu Xavier Niel et je lui ai demandé combien d'argent il voulait mettre sur Houzelot. Il m'a répondu 3 millions, alors j'ai dit que moi aussi, je mettrais 3 millions. » C'est pathétique ! J'étais abasourdi.
Le 12 décembre 2012, j'ai fait part à M. Boyon de mon étonnement de voir très peu de chaînes nouvelles. On avait en effet servi les groupes historiques, à qui on avait même proposé de hiérarchiser leurs propositions s'ils en faisaient plusieurs. Autrement dit, on admettait que le CSA n'analyserait pas l'ensemble des offres : si TF1 avait classé telle chaîne en première position, c'est cette chaîne qu'on lui accorderait. M. Boyon m'a répondu en passant – parce que les députés, les manants, n'étaient pas à sa hauteur – qu'il n'avait que cela en magasin. Surpris, je suis allé regarder s'il restait quelque chose en magasin, et c'est ainsi que l'affaire Numéro 23 a commencé.
Après avoir probablement longuement réfléchi à cette question, le CSA a admis la possibilité de revendre une chaîne deux ans et demi après sa création. Pour Numéro 23, ces deux ans et demi couraient à partir de juillet 2012 alors que la chaîne n'a commencé à émettre qu'en décembre. Comment le Conseil a-t-il pu envisager une telle possibilité ? Si une chaîne est vendue deux ans et demi après sa création, c'est qu'elle ne fonctionne pas ; en pareil cas, la fréquence devrait être rendue au CSA.
Jamais le plan de financement de Numéro 23 n'a été appliqué. Cinq, six ou sept actionnaires s'étaient engagés à apporter 3 millions d'euros chacun, ce qui aurait fait une somme rondelette – je ne me rappelle plus les chiffres exacts, à retrouver dans le rapport de la commission d'enquête. On savait bien que ces gens n'étaient pas fiables, d'autant que M. Houzelot était le roi des soirées parisiennes. Je n'ai pas le droit d'en dire davantage car certaines informations recueillies par la commission d'enquête sont confidentielles.
Sur quoi portaient les programmes de la chaîne ? Sur les tatouages, par exemple – je me souviens d'une émission diffusée en prime time, à vingt heures ou vingt heures trente. Puisque Numéro 23 était censée être une chaîne de la diversité, je me suis un jour amusé à faire part à Olivier Schrameck, auditionné par la commission des affaires culturelles, de l'intérêt que j'avais eu à regarder ce reportage sur la diversité des tatouages, des couleurs, des dessins, des pratiques au Mexique ou en Inde… C'était vraiment passionnant ! En deuxième partie de soirée, la chaîne diffusait des émissions ayant trait au paranormal. Il n'est pas normal que le CSA n'ait rien dit !
Par la suite, M. Houzelot a tenté de s'allier à un investisseur russe.
À partir du cas de Numéro 23, j'ai voulu aller le plus loin possible pour libérer la parole et mettre en avant les problèmes de fonctionnement du CSA. Le poids de l'argent est trop important dans les décisions du Conseil, qui n'a pas la possibilité de s'opposer au groupe TF1 ou à M6. Les opérateurs se conduisent comme des propriétaires de leur fréquence, alors qu'ils n'ont signé avec l'autorité publique qu'une convention pour une durée déterminée.