Vos questions sont particulièrement intéressantes. Je débuterai en répondant aux questions sur la coopération universitaire. Comme toujours, la situation est très contrastée. De nombreuses initiatives sont en cours, mais, malgré tout, de nombreux obstacles structurels demeurent.
Tout d'abord, de moins en moins de jeunes étudiants français s'engagent à étudier l'Afrique. Le nombre de doctorants choisissant de travailler sur l'Afrique ou sur des sujets ayant rapport avec l'Afrique est en nette diminution. De moins en moins sont disposés à faire du terrain, c'est-à-dire passer du temps à apprendre des langues africaines, à séjourner auprès des objets d'études, à recueillir des données et à procéder au type d'ethnographie qui était de mise par exemple à l'époque coloniale. Dès lors, le niveau et la qualité des connaissances françaises sur l'Afrique sont en baisse.
Si l'on y ajoute évidemment les obstacles que nous connaissons tous, comme l'obtention des visas en particulier, le potentiel intellectuel et scientifique africain est aujourd'hui happé par des réseaux différents, en particulier les réseaux américains et chinois. Ainsi, le nombre d'étudiants africains en Chine a significativement augmenté au cours des dix à quinze dernières années. La réalité de l'assèchement des flux de connaissances françaises sur l'Afrique est à mon avis un phénomène tout à fait inquiétant, puisqu'il entraînera nécessairement des conséquences sur l'avenir de la politique française en Afrique.
Cela étant, je dois relever un certain nombre d'initiatives qui sont en cours. Mme la députée Lingemann en a cité quelques-unes, mais il en existe bien d'autres, en particulier dans le domaine des sciences dures. Malheureusement, ces initiatives sont plus rares dans le domaine des sciences humaines. À mon avis, il faut réinvestir dans ce domaine, en privilégiant la mise en place, au sein même du continent, de pôles régionaux de production des connaissances et en appuyant tous les projets qui visent à favoriser la circulation intracontinentale des étudiants et des chercheurs.
Ensuite, il est évident que le Sénégal est à un point de bascule. Ce pays a été pendant très longtemps un symbole de fierté pour tous les Africains. Je pense notamment à la contribution sénégalaise à l'intelligence africaine, à travers des personnages comme Léopold Sédar Senghor, Cheikh Hamidou Kane ou Cheikh Anta Diop. Le Sénégal a été également un symbole des avancées démocratiques sur le continent, mais ce n'est plus tout à fait le cas, pour toutes sortes de raisons. Les élections qui auront lieu au début de l'année prochaine constitueront un moment décisif pour l'histoire de ce pays. Elles auront, sans doute, des effets sur ses relations avec la France : qu'elle s'y implique ou non, la France sera de toute manière pointée du doigt. Idéalement, il faudrait que ces élections soient libres et transparentes, afin que les Sénégalais puissent choisir eux-mêmes leurs dirigeants. D'ores et déjà, un débat est en cours entre les candidats et différentes propositions sont sur la table. Mais c'est ici également que la théorie de « la juste distance » pourrait être mise en œuvre ; elle ne suppose ni ingérence ni indifférence.
Par ailleurs, j'ai appris moi aussi que l'armée malienne se trouve désormais à Kidal. Au sein de l'opinion africaine, le sentiment est le suivant : le Mali doit préserver son unité. Ma consultation des réseaux sociaux me fait dire que la présence de l'armée malienne à Kidal est saluée par beaucoup. J'ignore s'il s'agit d'une victoire décisive sur les opposants au régime à Bamako. Comme je l'ai indiqué au départ, nous sommes entrés dans un cycle long et il faut s'attendre à tout. En Afrique, tout est désormais possible, le pire comme le meilleur. Nous assisterons sans doute à des renversements de situation au Mali, au Niger et au Burkina Faso, mais pour le moment, rien n'est clôturé.
Madame Maquet, vous avez évoqué mon dernier livre, La communauté terrestre. Celui-ci s'efforce, en cette ère de combustion du monde, à rouvrir les archives de l'Afrique, souvent négligées, pour essayer d'y trouver des alternatives qui nous permettraient de répondre d'une autre façon aux grands défis planétaires. Ces défis touchent l'ensemble de la communauté terrestre, les humains comme les non humains, afin de repenser ce que l'on pourrait appeler « une politique du vivant ». Je pense que la démocratie, dans sa forme substantive, est le dernier nom du vivant.
M. le député Fuchs parlait dans son rapport d'une « offre stratégique ». Si la France envisageait faire une offre stratégique à l'Afrique, celle-ci devrait être à mon avis nécessairement ancrée dans ce souci du vivant, que ce livre s'efforce de déchiffrer. En effet, la politique de la force en elle-même ne suffit plus. La politique des instrumentalités, qui est le propre des rapports purement économiques, est importante, mais elle ne suffit pas non plus.
La France aura un avenir en Afrique si elle sait lui proposer une offre de sens. S'agissant justement de cette offre de sens, je considère que l'action pour le vivant, en représenterait la quintessence. Autour de cette préoccupation, de ce souci pour le vivant, il serait effectivement possible de réenchanter et de rebâtir un horizon commun. Nous devons nous situer à ce niveau, si nous voulons donner à la France et l'Afrique la chance de se rencontrer et de continuer à écrire une histoire qui est loin d'être terminée.
M. le président, je m'arrête là et vous remercie une nouvelle fois très d'avoir contribué à cette quête.