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Intervention de Antoine Deruennes

Réunion du jeudi 14 décembre 2023 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor :

Concernant tout d'abord les excellents taux de couverture observés en fin d'année, il convient de noter un effet de loupe lié à notre toute dernière adjudication de moyen et long terme, plus réduite, et qui entraîne donc une élévation mécanique de ce taux. Nos objectifs sont assignés par le Parlement, à qui nous rendons compte chaque année de nos indicateurs de performance, avec un taux de couverture pour les BTF de 200 % et un taux de couverture pour les OAT indexées de 150 %.

Les rapports de performance que nous présentons sont, par ailleurs, bien perçus par les investisseurs. Nous sommes entièrement transparents sur la nature de nos financements, et présentons systématiquement l'intégralité des dépenses financées dans chacune des émissions.

J'en viens ensuite aux secteurs d'activité financés au travers des OAT vertes. On trouve tout d'abord la rénovation énergétique des bâtiments, auparavant sous la forme de crédit d'impôt et désormais sous la forme de MaPrimeRénov'. D'autres dépenses sont concernées, comme les voies navigables de France ou les observations météorologiques. Ces dépenses, qui typiquement ne peuvent être faites que par des États, diffèrent donc des habitudes du marché et sont intéressantes en termes de diversification et d'impact sur l'environnement.

Sur le sujet des OAT indexées, les recommandations de la Cour des comptes nous invitent à réévaluer les travaux initiaux menés au moment de leur lancement, concernant la part acceptable d'obligations annexées sur l'inflation pour un État comme la France. Je vais donc détailler notre modélisation, relativement simple. Une inflation plus importante est à la fois synonyme de plus d'intérêts indexés sur l'inflation et de recettes plus importantes. Cela signifie donc un effet stabilisateur sur le budget de l'État, que seul lui peut avoir. Les proportions optimales issues de nos simulations se situent ainsi entre 10 et 20 % selon les modèles, avec une moyenne à 17 %. Je vous confirme donc que ces études ont été réalisées, et rendues publiques au sein du rapport sur la dette, publié au moment du PLF. Nous faisons ici le choix de retenir la fourchette basse à 10 %, à la fois en termes de prudence par rapport à nos modélisations mais aussi par réalisme par rapport à la demande du marché.

L'Allemagne a d'autre part effectivement annoncé la fin de l'émission d'obligations annexées sur l'inflation. Si je n'ai pas pour habitude de commenter les décisions des autres émetteurs publics, je note néanmoins que la Finanzagentur était face à un dilemme entre le fait d'augmenter ses obligations indexées pour assurer la liquidité, ou d'arrêter compte tenu de son programme de financement. Le programme de financement de l'Allemagne est en effet orienté à la baisse, ce qui n'est pas notre cas.

J'en viens maintenant aux questions sur les primes et décotes, qui ont été nombreuses. L'idée fondamentale derrière ces émissions, c'est d'avoir des OAT très liquides de façon à faire diminuer le coût pour le contribuable. La solution est ainsi de réémettre régulièrement sur les mêmes souches, afin que leur encours soit suffisant. Je précise en outre que l'on adjuge en prix, et non en taux. Ainsi, une obligation dont le coupon est de 4 % lorsque les taux d'intérêt sont de 4 % est adjugée exactement au pair. Mais dans les faits, nous n'émettons jamais à un taux qui soit exactement celui du coupon. Dans le cas où le taux de marché est plus élevé à ce moment-là, l'OAT sera vendue moins cher que le pair, ce qui engendre une décote. À l'inverse, des taux d'intérêt plus faibles que le taux de coupon incitent les investisseurs à payer plus cher que le pair, ce qui donne lieu à une prime.

De 2016 à 2020, les taux étaient non seulement en baisse, mais parfois même négatifs. Comment des obligations peuvent-elles être émises avec un taux d'intérêt négatif ? Cela signifie alors que le flux s'inverse et que ce sont les investisseurs qui paient. Nous avons résolu ce problème justement grâce aux primes et décotes. Avec une obligation à zéro coupon, on s'engageait uniquement à rembourser 100 au terme de l'obligation. Les investisseurs étaient alors prêts à payer plus cher que 100 aujourd'hui, pour être remboursés à hauteur de 100 dans deux, trois ou dix ans. C'est donc grâce à cette prime que nous avons notamment pu mettre en place les taux négatifs. Et dans la mesure où les taux changent tous les jours, on observe tantôt des primes et tantôt des décotes. L'année dernière, ce sont plutôt des décotes qui ont été observées, du fait des réémissions régulières sur des souches anciennes couplées aux taux qui augmentent.

À la fin du troisième trimestre 2023, le stock de primes nettes de décotes s'élève ainsi à 54 milliards d'euros, en diminution par rapport à 2022, du fait des décotes plus nombreuses qu'au cours des années précédentes.

Nous pensons donc que cette assimilation doit être maintenue, dans la mesure où c'est elle qui nous permet d'avoir un coût de financement moins cher. Imaginez un instant que nous émettions des titres différents à chaque fois. Nous faisons trois adjudications par mois, de moyen terme, de long terme, et indexée. Si chaque adjudication s'accompagne de l'émission de trois titres différents, ce sont tous les mois neuf obligations nouvelles qui sont créées, pour un total de cent à la fin de l'année. Un investisseur qui souhaiterait acheter de la signature française rencontrerait ainsi des difficultés à trouver l'obligation qui conviendrait au milieu de cette multitude de petits montants. Il est donc justement préférable d'avoir un nombre d'obligations limité, la multiplication des titres n'étant pas synonyme de gains. Ainsi un investisseur souhaitant acheter de la dette française sera-t-il en mesure de la trouver, et en mesure de la vendre lorsqu'il souhaitera la céder.

Sur le sujet des charges d'intérêt, il convient tout d'abord de distinguer les charges d'intérêt budgétaires, qui sont les coupons, et les charges d'intérêt maastrichtiennes qui tiennent justement compte de l'étalement des primes et décotes. À titre d'illustration, les charges d'intérêts en termes de coupon ne peuvent être négatives, et seront toujours supérieures à zéro. À l'inverse, les charges d'intérêts négatives en maastrichtien s'expliquent par l'étalement de cette prime sur la durée de vie du titre. Si cela peut entraîner une divergence entre les deux, cela permet également d'émettre au meilleur coût pour le contribuable.

Concernant la répartition des investisseurs aujourd'hui en France, il convient tout d'abord de préciser que la dette change de main tous les jours. Cela étant, nous disposons d'informations, communiquées notamment par la Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI). Les titres nominaux sont ainsi détenus à hauteur de 46 % par des investisseurs français, les titres indexés sur l'inflation européenne à hauteur de 61 %, et les obligations indexées sur l'inflation française à hauteur de 78 %. Nous pouvons donc nous réjouir du fait que des investisseurs étrangers achètent des obligations françaises, car cela démontre leur confiance dans la signature de la France. Cette base d'investisseurs diversifiée me permet en outre, en tant qu'émetteur, de remplir les deux objectifs qui m'ont été fixés par le Parlement : émettre la dette au meilleur coût et dans les meilleures conditions de sécurité pour le contribuable. Un nombre d'acheteurs potentiels élevé signifie à la fois un coût moindre pour l'État et une moindre dépendance envers une catégorie spéciale d'investisseurs, qu'il s'agisse d'une zone géographique particulière ou d'une typologie spécifique telle que des banques centrales, des banques ou des assureurs. Une base d'investisseurs diversifiée et donc la meilleure garantie d'avoir des coûts faibles et une dette résiliente.

Nous effectuons par ailleurs, comme je l'indiquais précédemment, des rachats réguliers de maturité courte. Notre cible pour l'année 2024, fixée par le Parlement, est celle des obligations nettes de rachat, c'est-à-dire du montant auquel l'état s'endettera davantage l'année prochaine. Les émissions brutes auxquelles sont soustraits les rachats constituent donc notre cible. La répartition entre les deux peut en revanche évoluer en fonction de la demande, aussi bien du côté de la nouvelle dette émise que du côté des rachats. Nous tenons en outre compte des primes ou décotes qui peuvent être payées au moment des rachats.

J'en viens au sujet du retrait de la Banque centrale européenne, qui a d'ores et déjà débuté. La normalisation monétaire est effectivement un processus à l'œuvre. Cette situation est donc bien prise en compte, aussi bien dans la stratégie d'émissions que par les intervenants de marché, qui prennent en compte, dans la fixation des prix, le fait que la Banque centrale européenne sera moins présente dans les années à venir.

Les trois raisons qui justifient les émissions d'obligations indexées sur l'inflation sont les suivantes.

Tout d'abord, il existe une véritable demande de protection contre l'inflation. En France, la demande domestique est forte, notamment sur le livret A, dont le taux d'intérêt dépend pour partie de l'inflation, le LDDS, et le livret d'épargne populaire. La banque qui commercialise le produit, qui doit donc se couvrir en partie sur l'inflation, va ainsi acheter les produits qui lui permettent de se protéger, typiquement des OATi ou des OAT€i. Il existe ainsi une demande structurelle, à laquelle nous devons répondre.

Il est en outre de mon devoir d'émettre la dette dans des conditions de sécurité optimales, et de disposer pour cela de produits diversifiés permettant d'adapter les émissions en fonction de la demande. Nous sommes ainsi en mesure d'offrir une protection contre l'inflation si c'est le sens de la demande, ou de recourir à d'autres produits dans le cas contraire.

Je souhaite enfin rappeler que, si l'inflation conduit effectivement à une hausse des charges d'intérêt, nous émettons soit des obligations indexées sur l'inflation soit des obligations nominales. Dans le premier cas, l'État s'engage à rembourser à terme un capital plus élevé, et l'argent correspondant à la provision qui est aujourd'hui enregistrée dans les comptes n'est pas immédiatement décaissé. Ce coût existe donc bien, mais il en va de même pour les émissions d'obligations nominales. Les taux nominaux supérieurs à 3 % que nous avons connus l'année dernière s'expliquent par une inflation plus forte, ce qui implique que le taux plus élevé auquel ont été émises les obligations nominales sera payé pendant toute leur durée de vie.

J'ai également été interrogé au sujet de la Cades. Il convient tout d'abord de noter qu'il s'agit d'un établissement public qui a son existence propre, avec un président nommé, M. Jean-Louis Rey. Il existe d'autre part des titres « Cades » qui sont différents des titres de l'État. Afin de créer un pôle d'excellence d'émission de la dette publique, le Gouvernement a fait le choix de gérer cette dette de façon commune au sein de l'Agence France trésor, qui gère ainsi de manière opérationnelle les émissions de dette de la Cades. Mais le titre « Cades » et le titre « État » doivent donc être clairement distingués. Si la gestion est collective, les titres sont bien différents.

L'État est l'acteur français qui bénéficie, à travers les OAT et les BTF, du taux le plus intéressant, dans la mesure où sa signature est à la fois la plus sûre et la plus liquide. Le coût des émissions des autres émetteurs publics est généralement moins intéressant, en ce qu'il tient compte à la fois de la moindre liquidité et d'une moindre qualité de signature. Il existe donc un décalage, pour la Cades comme pour n'importe quel autre émetteur public, en France comme dans les autres pays.

Sur la question de la part des dépenses de fonctionnement financée par dette, je ne suis pas en mesure de m'exprimer sur ce sujet, ne disposant pas aujourd'hui de ce chiffre.

Concernant les émissions à destination des particuliers, nous n'avons pas intégré ce type de produits au programme de financement. Notre situation est différente de celle d'autres pays européens, notamment grâce au livret A et au LDDS, qui offrent des conditions intéressantes. Ce produit très liquide permet ainsi aux ménages d'entrer et sortir rapidement, avec des taux intéressants.

Sur le sujet de la dette des collectivités locales, son émission est du ressort de ces dernières et non du nôtre. Si la taille de l'État lui permet de se financer essentiellement par émissions d'obligations, ce n'est en revanche pas un mode de financement habituel pour des petites collectivités. Une mise en commun de plusieurs collectivités pour l'émission d'obligations peut cependant être envisagée, par exemple via l'Agence France locale, mais cela procède de leur responsabilité.

La question des charges d'intérêt sur les souches anciennes, qui a également été posée, nous ramène au sujet des primes et décotes. Les réémissions sur souches anciennes visent à maintenir la liquidité et nous devons donc être en mesure de répondre à la demande potentielle et de faire face à un besoin important s'il se présente. L'impact sur les taux d'intérêt est quant à lui limité et, en maintenant une forte liquidité, nous permettons à la courbe de rester lisse. Le fait que ces titres anciens aient des taux de coupon différents du marché n'est donc pas à craindre, puisque l'émission avec une prime ou une décote importante permettra d'un point de vue actuariel de payer la même chose que sur les obligations adjacentes. En résumé, il n'y a donc ni coût ni gain particulier à émettre des obligations anciennes, si ce n'est le fait qu'être capable d'offrir de la liquidité sur l'ensemble de la courbe limite le coût pour le contribuable.

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