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Intervention de Sophie Jehel

Réunion du jeudi 14 décembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Sophie Jehel, professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis :

On ne peut envisager de suspendre le pluralisme interne : étant donné l'ampleur des conflits sociaux et politiques que nous connaissons, cela aurait de graves conséquences. De plus, il ne serait pas possible de trouver des investissements équivalents à ceux de M. Bolloré pour financer des chaînes d'autres sensibilités politiques. Le pluralisme interne est nécessaire.

J'ai été très inquiète lorsque Cyril Hanouna a voulu devenir l'animateur du second tour de l'élection présidentielle et qu'il a organisé des débats sans respecter strictement le pluralisme. Un de mes étudiants va analyser ce phénomène, mais la recherche prend du temps.

J'ajoute qu'il faut garantir le pluralisme religieux. CNews diffuse des émissions religieuses : c'est possible, à condition de diffuser également des émissions athées et relatives à d'autres religions, comme le font les chaînes de service public, en maintenant un équilibre, dans le cadre de négociations.

S'agissant de la qualité, il est pertinent de s'en tenir à une appréciation déontologique, même si nous aurions besoin d'indicateurs plus exigeants. Il serait compliqué d'intervenir sur la programmation des chaînes, et ce n'est pas souhaitable. L'autorité de régulation doit donc imposer des limites à la liberté d'expression, pour éviter notamment le sexisme, le racisme, les discours haineux et les humiliations. La dignité humaine est une notion délicate sur le plan juridique. Dans le cas de l'émission « Dilemme », le CSA a mis en demeure la chaîne d'en respecter le principe. En droit français, le consentement ne suffit pas à empêcher l'atteinte. C'est essentiel tant le rapport de force entre un candidat et une société de production est asymétrique. La jurisprudence née du lancer de nain a d'ailleurs été validée au plus haut niveau international.

L'Arcom ne sanctionne que très prudemment ; nous devons affermir sa confiance. Les montants finissent par être significatifs parce que les dérives sont graves et répétées, en particulier dans l'émission TPMP et sur CNews. Jamais aucune chaîne n'avait fait l'objet d'autant de sanctions, validées par le Conseil d'État. On ne doit pas critiquer les décisions de justice, toutefois je regrette les suites données à l'affaire du chroniqueur placé en situation d'être accusé de meurtre, et qui a été très perturbé. Encore une fois, il faut prendre en considération l'asymétrie du rapport de force, puisqu'il était économiquement dépendant de l'animateur. De manière générale, la personne du chroniqueur, ailleurs du candidat, n'est pas seule concernée par l'atteinte à la dignité. Même si la télévision ne provoque pas d'effets directs, la répétition entraîne des effets de modélisation.

S'il n'y a pas d'effet direct de la télévision, nous savons qu'il y a quand même des phénomènes de modélisation par répétition. Le fait de banaliser et de considérer comme peu grave ce genre de traitement des chroniqueurs et des participants à des émissions de télévision a bien évidemment des effets de valorisation de comportements, dont on déplore ensuite dans d'autres lieux de la société qu'ils constituent des formes de harcèlement ou de cyberharcèlement.

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