Il est toujours intéressant de lire ce que les administrations disent d'elles-mêmes. Or dans son rapport, l'Arcom distingue régulation économique et technologique d'une part, et régulation sociétale et démocratique d'autre part.
Le choix a été fait de confier à une autorité publique indépendante des pouvoirs de régulation classiques auxquels s'adjoignent des méthodes nouvelles. Ces pouvoirs classiques sont tout simplement un pouvoir de police – il y a trente ou quarante ans, on aurait parlé d'une police spéciale de l'audiovisuel –, lequel se traduit par des sanctions. S'il faut distinguer, au niveau individuel, la mesure de police de la sanction, la sanction administrative est quant à elle une expression du pouvoir de police. Ce pouvoir est toutefois confié à une autorité publique indépendante, la personnalité morale, conformément à l'équilibre voulu par le Conseil constitutionnel. Lors de la libéralisation des médias, on s'est en effet demandé si leur régulation pouvait être confiée à une autorité administrative indépendante, selon la terminologie de l'époque.
Or, selon l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement dispose de l'administration. Implicitement mais nécessairement, le Conseil constitutionnel a donc accepté que, compte tenu de la nature des libertés en jeu, l'assurance de l'indépendance à l'endroit des puissances publique et privée supposait l'existence d'une autorité administrative indépendante ou était compatible avec elle. De surcroît, un certain nombre de textes européens exigent l'institution d'autorités administratives indépendantes.
La régulation de l'audiovisuel s'étend à proportion de l'influence d'un média sur un public, à la différence du bon vieux régime répressif des libertés publiques, lequel est le plus libéral – je parle de l'État gendarme – où l'autorité publique intervient ex post et non ex ante.
L'intervention ex ante s'applique dans le domaine des autorisations mais, aussi, de la régulation de leur exécution : recommandations, cahier des charges, droit souple, permettent ainsi à l'autorité publique indépendante de suivre le média dans le respect de la régulation sociale, démocratique et républicaine. L'Arcom est la cheville ouvrière de cette intersection. L'autorité administrative indépendante bénéficie donc de ce concours de pouvoir et d'un pouvoir réglementaire assez étendu.
Le droit souple, quant à lui, n'était pas soumis au juge. Il relevait d'un ensemble d'instruments juridiques, qui ressemblaient à des actes juridiques mais qui concernaient une pratique publique ou privée. Suite à plusieurs jurisprudences du Conseil d'État, le droit souple permet de disposer d'instruments pouvant influencer ou accompagner les comportements, ce qui relève de la soft regulation ou régulation douce. Il faut bien comprendre, en effet, que l'autorité publique indépendante agit d'une manière graduée.
Des mises en garde peuvent donc avoir lieu, mais sous le contrôle du juge. Nous sommes donc face à une triangulation du pouvoir : pouvoir politique et administratif, autorité administrative indépendante et juge administratif, lequel joue le rôle de régulateur du régulateur en ouvrant son prétoire à l'ensemble des actes de l'autorité publique indépendante susceptible d'avoir un effet juridique.
Les sanctions relèvent du recours en plein contentieux et le refus de sanctions est soumis au contrôle du juge, avec un pouvoir discrétionnaire.
Le Conseil d'État a également examiné un certain nombre de recommandations. Il vient d'ailleurs de signifier à l'Arcom qu'elle dispose de pouvoirs de police internationale, notamment vis-à-vis de certains médias russes, non sur le fondement de la législation européenne mais sur celui de la convention internationale sur la télévision transfrontière que la France et l'Ukraine ont signée.
Le concours de moyens s'exerce dans le cadre européen, qui s'apprête à se doter d'un règlement sur la liberté des médias, lequel insiste également sur les questions liées à la concentration. Précisément, la question de la régulation de l'audiovisuel soulève celle de l'inter-régulation : régulation de la concurrence, régulation des « tuyaux » et non de leur contenu avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Le non-aboutissement de la fusion, malgré l'entreprise commune admise par le Conseil d'État, soulève la question de la nature des pouvoirs respectifs de l'Autorité de la concurrence et de l'Arcom. Le droit de la concurrence appliqué aux médias est par excellence le lieu de la rencontre entre les deux régulations.
Avec la régulation économique, c'est un concours de libertés qui est en jeu. Celles définies par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à quoi s'ajoutent la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le droit de propriété. Ce sont là, aussi, des objectifs d'intérêt public.
Tant mieux, peut-être, si peu de sanctions sont prononcées. La sanction administrative est certes utile mais elle doit intervenir en dernier lieu. Il est normal d'opposer la liberté et les contraintes d'intérêt public. En l'occurrence, nous nous situons dans le registre de libertés qui nécessitent un cadre pour qu'elles puissent s'épanouir. Elles s'inscrivent dans un ordre public républicain, consubstantiel aux libertés publiques, que j'appellerais l'ordre public « régulatoire » audiovisuel consubstantiel aux libertés. Quelle est donc la part des contraintes et des exigences ? Il convient de veiller à un équilibre. Le verre est à moitié vide ou à moitié plein, c'est selon.
Pour une certaine chaîne, le Conseil d'État a censuré une décision de l'Arcom, considérant qu'il y avait atteinte à la liberté d'expression et qu'il était possible de contester les principes républicains eux-mêmes. En revanche, il a jugé que d'autres propos n'étaient pas admissibles car portant atteinte à des principes substantiels de non-discrimination et de lutte contre les préjugés. Il l'a fait avec l'approbation de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous nous situons toujours sur une ligne de crête.
Les textes européens sont clairs : les autorités indépendantes doivent respecter les organes constitutionnels, donc, le Parlement, qui vote la loi et qui contrôle, aussi bien les autorités publiques indépendantes que le Gouvernement.