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Intervention de Cécile Rilhac

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 15h02
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Rilhac, rapporteure :

Nos sociétés et nos économies sont devenues dépendantes des solutions spatiales. Pour autant, aucun cadre réglementaire international ou européen contraignant ne régule aujourd'hui le trafic en orbite. Aux quelque 8 900 satellites déjà opérationnels en 2023, s'ajouteront d'ici à 2030 pas moins de 24 000 nouveaux satellites qui devront cohabiter dans le même espace.

Figurez-vous un périphérique tridimensionnel autour de la planète : voici l'espace dans lequel circulent les satellites des différentes constellations. Imagine-t-on une seule seconde sur Terre se passer de règles et de codes en matière de trafic routier ou aérien ? Cela nous semblerait fou, voire irresponsable. Pourtant, c'est aujourd'hui ce qui se passe, à quelques centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes, avec des conséquences catastrophiques sur certaines orbites, et tout particulièrement les orbites basses.

Le sujet de la proposition de résolution européenne que je soumets à votre examen est au cœur de l'actualité européenne. Lors de la dernière réunion du Conseil, vendredi 8 décembre 2023, les États membres ont effectivement adopté des conclusions dressant « un état des lieux de la gestion du trafic spatial ».

Cette prise de conscience est une étape nécessaire, mais insuffisante. En l'absence de norme contraignante à l'échelle internationale, une législation européenne ambitieuse, centrée sur les activités civiles, est devenue nécessaire pour assurer une gestion efficace du trafic spatial.

À l'ère du New Space, les acteurs privés et les projets de mégaconstellations – tels que celui de Starlink – se multiplient, et risquent de transformer l'orbite basse, déjà particulièrement congestionnée, en « corridor de la mort ». L'espace ne peut rester une zone de non-droit.

Les débris spatiaux s'accumulent en orbite basse. En cas de collisions avec des satellites, les conséquences peuvent être catastrophiques pour les applications civiles, notamment les services de télécommunications ou de géolocalisation, civils comme militaires. Nos sociétés sont largement dépendantes des services satellitaires, et les risques sont loin d'être théoriques. En 1996 – alors même que le trafic spatial était beaucoup moins dense – la France a perdu le satellite militaire Cerise, percuté par le lanceur d'une Ariane 1 qui avait décollé dix ans plus tôt.

L'Agence spatiale européenne (ESA) estime que le nombre de débris spatiaux d'une taille comprise entre 1 et 10 centimètres dépasse désormais le million. À titre d'illustration, en orbite, un débris en acier d'un diamètre de 2 centimètres, bien que trop petit pour être suivi, possède une énergie cinétique comparable à celle d'une voiture lancée à 130 kilomètres/heure.

Pour toutes ces raisons, une coordination plus efficace du trafic spatial est une nécessité, qui a d'ailleurs été qualifiée en 2023 par l'Organisation des Nations unies comme l'un des défis majeurs « pour l'humanité tout entière ».

Ainsi que l'ont souligné les représentants auditionnés du Centre national d'études spatiales (CNES), la gestion du trafic spatial repose sur deux grands piliers. Elle dépend, d'une part, de l'adoption d'un socle de règles communes, recouvrant un aspect réglementaire et, d'autre part, d'une plus grande coordination entre les acteurs en matière opérationnelle.

Sur le plan réglementaire, la future loi européenne sur l'espace – dont la présentation est espérée sous la présidence belge du Conseil au premier semestre 2024 – devrait promouvoir un socle normatif répondant aux enjeux de sécurité et de durabilité.

L'industrie spatiale européenne est demandeuse d'une telle régulation, pour des questions de compétitivité. En effet, les fournisseurs de services spatiaux menant leurs opérations depuis le port spatial européen de Kourou doivent se conformer au régime d'autorisation administrative prévu par la loi française de 2008 relative aux opérations spatiales, dite « LOS ». C'est pourquoi les opérateurs européens doivent bien souvent tenir compte de l'impact de leurs lancements sur la production de débris spatiaux et la densité du trafic spatial, contrairement à leurs concurrents issus de pays tiers, qui choisissent plus volontiers d'autres sites de lancement. Il importe, comme le relève la proposition de résolution européenne, que ces mesures soient réciproques, tant dans une logique de durabilité que de compétitivité pour l'industrie européenne.

Le représentant de la Direction générale des entreprises (DGE) que j'ai auditionné suggère ainsi la généralisation à l'échelle européenne d'un mécanisme de certification imposant le respect d'exigences techniques et de standards, sur le modèle des procédures d'autorisation prévues par la LOS.

La future législation européenne sur l'espace s'imposera donc à tous les fournisseurs de services spatiaux opérant dans l'Union européenne, y compris ceux issus de pays tiers.

Par ailleurs, des incitations devraient également être prévues pour inciter au développement des technologies innovantes d'évitement des collisions et de retrait actif des débris. Un label « espace sûr » pourrait être attribué aux entreprises et opérateurs respectant les critères de sûreté et de viabilité des opérations spatiales.

Cet alliage de mesures contraignantes et incitatives a suscité une large adhésion des interlocuteurs auditionnés pour ce rapport.

Sur le plan opérationnel, afin de renforcer la coordination entre les acteurs, le renforcement des capacités européennes de surveillance et de suivi de l'espace, dites « SST », est un prérequis.

Le programme EU SST, renforcé par le règlement du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne, réunit désormais 15 États membres, additionnant leurs moyens. Néanmoins, la capacité européenne de surveillance est estimée à seulement 5 % de celle des États-Unis. La quasi-totalité des pays européens a signé des accords bilatéraux pour avoir accès au catalogue américain répertoriant les objets spatiaux ; cette situation de dépendance n'est pas satisfaisante pour l'Union.

La future loi européenne sur l'espace doit contribuer à la réduction des dépendances technologiques. EU SST pourrait ainsi jouer un rôle en tant qu'investisseur public sur des capteurs commerciaux innovants, et mobiliser le levier de la commande publique afin de renforcer les capacités européennes pour contribuer in fine à l'autonomie stratégique européenne.

Le cadre fixé à l'échelle européenne pourra servir de base pour des négociations à l'échelle internationale. L'adoption d'un modèle européen pour la gestion du trafic spatial, selon une démarche proactive, servirait de base de négociation pour parvenir, à terme, à un accord de niveau international.

Pour fonder sa crédibilité, cette proposition de résolution demande également que l'Union européenne accepte les droits et obligations découlant des principaux traités et conventions des Nations unies sur l'espace extra-atmosphérique.

Cette proposition s'inscrit dans la logique d'une résolution adoptée il y a déjà plus d'un an par les eurodéputés, qui appelaient à l'époque à la présentation d'une proposition de législation européenne avant 2024.

La discussion sur cette proposition de résolution a une autre vertu, celle que le Parlement se saisisse d'un sujet trop peu souvent débattu, alors qu'il revêt pourtant des enjeux très concrets pour nos concitoyens, et stratégiques pour la France et l'Europe. Aussi, je vous remercie de l'intérêt que vous avez porté à ce texte, par le biais de vos amendements que j'ai lus avec attention, et auxquels je m'attacherai à répondre sur le fond.

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