Madame Peyron, vous avez à raison évoqué la prématurité. En effet, 65 % de la mortalité néonatale concerne les prématurés et en France, les taux de survie des grands prématurés ne sont absolument pas satisfaisants. S'agissant des grands prématurés, c'est-à-dire des enfants nés très tôt, à vingt-quatre semaines d'aménorrhée, le taux de survie en France s'élève à 31 %, un tiers, alors qu'il est de 62 % aux États-Unis, soit deux fois plus élevé, et qu'il atteint 79 % en Suède. Le sujet de la prise en charge des grands prématurés en France est donc prégnant, car le taux de survie n'est vraiment pas bon. J'ai mentionné les naissances à vingt-quatre semaines, mais il en est de même pour vingt-huit semaines, etc. Cette problématique relève des services de soins intensifs.
Les grossesses multiples ont en effet augmenté en France jusqu'en 2018.
Madame Mélin, j'adhère à vos propos relatifs à la nécessité de disposer de mesures. Je serais néanmoins plus mesuré qu'Anne Bergantz et vous-même quant à la création d'un registre régional. En effet, les chiffres n'étant pas très élevés, le volume de données serait trop faible alors qu'il est nécessaire de disposer du plus grand nombre possible de données. Dès lors, il est probablement plus pertinent de les traiter sur le plan national. En revanche, il est évidemment indispensable de recueillir des données de vie quotidienne et de mesurer la différence entre les uns et les autres.
Plusieurs d'entre vous ont abordé la question des moyens. Nous avons dit très clairement que l'offre de soins n'était pas satisfaisante, mais ce constat n'explique pas tout. Au-delà du nombre de maternités, la question des soins intensifs de néonatalogie me semble encore plus importante. La Société française de néonatalogie a fait des recommandations intéressantes. Trois quarts des services de réanimation néonatale rencontrent actuellement des difficultés. 80 % des pédiatres néonatologues dépassent leur durée hebdomadaire de travail, ce qui signifie qu'au-delà du nombre de lits, il existe un problème de surcharge de travail. Le taux d'occupation des lits est très important puisqu'il dépasse 100 % en réanimation pour 20 % du temps.
Les moyens alloués à la néonatalogie ne sont donc pas suffisants et leur répartition n'est absolument pas homogène sur le territoire, puisqu'elle se situe entre 0,6 et 1,2 ‰, soit du simple au double sur le territoire. La recommandation consiste à viser l'objectif d'un pour mille sur l'ensemble du territoire. Aux États-Unis, à titre de comparaison, le nombre de lits de soins intensifs se situe entre 1,4 à 5,9 ‰, contre 0,6 à 1,28 en France. La situation a été aggravée, par exemple en juin 2023, quand 5 % des lits de réanimation en soins intensifs de pédiatrie étaient fermés, non pas par volonté des tutelles mais pour des raisons d'indisponibilité de personnel.
Ainsi que l'a indiqué M. Valletoux, il existe un enjeu fondamental de fidélisation du personnel. En effet, plus du tiers de l'effectif infirmier de 80 % des services de soins intensifs a moins de deux ans d'ancienneté. Or ces unités nécessitent du personnel expérimenté.
L'enjeu de fidélisation est d'autant plus important que les jeunes générations ne souhaitent pas travailler au même rythme que les générations qui les ont précédées. Une enquête diligentée par la Société française de néonatalogie auprès des docteurs juniors réanimateurs néonatologues a montré que les trois quarts d'entre eux ne veulent pas assurer autant de gardes que leurs anciens. Or selon les chiffres de la Société française de néonatalogie, certains néonatologues sont de garde trois week-ends par mois. Force est donc de constater que nous rencontrons un problème de fuite des savoir-faire.
Que faire ? Les décrets de 1998 relatifs au temps infirmier s'avèrent désormais totalement inadaptés aux services de réanimation néonatalogie. Des échelles internationales comparent la charge de travail aux besoins infirmiers. Or nous travaillons sous l'empire des décrets de 1998, qui ont beaucoup vieilli. Il est absolument nécessaire de les revoir. Je suggère donc prendre en compte les recommandations de la Société française de néonatalogie.
Madame Autain, nous n'occultons pas les problèmes de moyens, mais ils ne sont pas seuls responsables de la situation. La littérature que nous avons consultée ne fait état d'aucun lien entre la mortalité et le délai d'acheminement vers une maternité et, personnellement, je n'en connais pas. Évidemment, spontanément, nous comprenons que plus le trajet est long, plus les risques augmentent, mais il convient d'identifier un équilibre satisfaisant. Comme l'a indiqué M. Isaac-Sibille, il est nécessaire qu'une maternité dispose de fortes capacités de sorte que les professionnels aient une expérience suffisante. En effet, il importe de pratiquer des accouchements pour acquérir une expérience. En même temps, il existe des impératifs de disponibilité. Malheureusement, nous ne disposons d'aucune donnée relative à la mortalité et à la morbidité.
Monsieur Bazin, vous avez évoqué les PMI. Vous avez absolument raison : la décentralisation ouvre le champ du financement des collectivités territoriales qui, aujourd'hui, malheureusement, voient leurs ressources fondre. Il me semble qu'une véritable décentralisation devrait permettre aux collectivités d'assurer leurs recettes, mais ce sujet me dépasse.
Madame Petit, vous soulevez la question des campagnes de prévention. Comme je l'ai indiqué précédemment, il y a trente ans, il a été démontré que les enfants couchés sur le dos dans une turbulette, sans tour de lit et sans couverture, dans leur propre lit débarrassé de tout objet, étaient davantage protégés contre les risques de décès. Cependant, en 2023, 25 % des femmes, deux mois après la naissance, affirment ne pas connaître ces recommandations. Le champ de progression est considérable pour ce qui concerne les messages de prévention. Or formellement, nous ne diffusons plus de messages de prévention de santé. Vous vous souvenez tous des derniers grands messages de prévention : « Les antibiotiques, c'est pas automatique », « Un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts ». Depuis, plus aucun message n'a été produit et nous avons perdu l'habitude de ces messages de prévention. Certes, des messages ont été diffusés sur le port du masque pendant la pandémie de covid, mais c'était très conjoncturel. Il s'avère nécessaire de renouer avec les messages de grande prévention, et notamment sur le mode de couchage de l'enfant, qu'il est indispensable de répéter, voire de rabâcher.
Récemment, une équipe française a analysé les images qui figurent sur les paquets de couches. Certains paquets affichent des photos d'un bébé qui dort avec son papa. Ce n'est pas pertinent, car un adulte ne doit pas dormir avec un bébé au risque de l'étouffer. Certaines photos montrent un bébé couché sur le ventre avec un grand sourire, ce qui n'est pas souhaitable non plus.
Madame Garin, vous nous reprochez de ne pas évoquer la précarité. Nous avons souhaité être honnêtes et ne pas vous asséner des vérités que nous ne connaissions pas. Or à ce jour, personne ne connaît les raisons de l'augmentation de la mortalité infantile. Il importe donc de la mesurer, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est pourquoi nous préconisons la constitution d'un registre.
Madame Levavasseur, vous évoquez une question en effet abordée par certaines des personnes auditionnées, qui soutiennent la thèse selon laquelle l'accouchement par voie basse serait un facteur de traumatisme crânien qui pourrait expliquer un certain degré de mortalité dans la première année de vie. Il est vrai qu'en France, la politique consiste à essayer de pratiquer un nombre de césariennes le moins élevé possible. Cette observation est très intéressante, mais elle est très contestée. Dès lors, nous souhaitons que le registre national répertorie l'ensemble des données liées non seulement à la grossesse, mais également au mode d'accouchement. Il sera alors possible de procéder à une analyse pertinente, mais dans l'immédiat, il n'est pas possible d'affirmer quoi que ce soit. Cette idée est l'une des hypothèses, défendue par certains et contestée par d'autres. Bachelard, le philosophe des sciences, prétendait que « la science apprend à réfléchir contre son propre cerveau ». Il faut accepter de réfléchir contre soi-même.
Mme Janvier a bien résumé la situation, à savoir que nous avons besoin de données objectives afin d'éviter de mener des discussions stériles. Je conviens également avec elle que le manque de pédiatres représente une difficulté prégnante, mais les moyens ne sont pas la seule cause identifiable.
Le sujet de la mortalité infantile est protéiforme par définition. Décider qu'il relève d'une cause unique ne rendrait pas service à la population.