Je tiens d'abord à remercier mon collègue Philippe Juvin, qui a suggéré cette mission.
Nous avons pris le temps d'auditionner plus d'une vingtaine de personnes, parmi lesquelles des professionnels de santé, des représentants d'instituts nationaux, de directions ministérielles, des scientifiques, des professeurs d'université, des représentants d'associations, etc.
Ce sujet est particulièrement douloureux puisqu'il concerne le décès de nourrissons de moins d'un an. Il convient donc de l'aborder avec prudence et sérieux au regard des éléments factuels statistiques dont nous disposons. Je rejoins mon collègue sur son constat selon lequel si nous disposons de chiffres et de facteurs de risque, il n'existe aucun chaînage de l'ensemble des informations nécessaires à fournir une vision précise de la situation. Nous disposons de données éclatées, complexes à appareiller, entre état civil, certificat de naissance et données hospitalières issues du programme de médicalisation des systèmes d'information, mais il serait nécessaire d'établir un registre complet contenant des informations sur la grossesse, l'état de santé de la mère, son âge, son suivi, ainsi que des données relatives à l'état de santé du bébé pendant ses premiers jours de vie. Un tel registre existe pour les mortalités maternelles qui, certes, concernent quatre-vingt-dix décès par an. Cela nous conforte dans l'idée qu'il importe d'œuvrer à la réalisation de cette première préconisation relative à la création d'un registre.
À défaut, il est néanmoins possible de formuler des hypothèses et des facteurs de risque.
En premier lieu, les caractéristiques et la santé de la mère sont identifiées de longue date comme pouvant avoir un impact sur la mortalité infantile, notamment le recul de l'âge des mères à l'accouchement à plus de 40 ans et son incidence sur le diabète gestationnel et sur les grossesses multiples. Si ce constat constitue un facteur de risque, il convient néanmoins de nuancer cette donnée puisque l'âge des mères a reculé dans l'ensemble des pays d'Europe alors que le taux de mortalité infantile diminue dans ces mêmes pays.
D'autres facteurs de risque augmentent, qu'il s'agisse du surpoids pendant la grossesse, du diabète gestationnel ou des maladies chroniques. Ces facteurs sont susceptibles d'entraîner des risques de malformations congénitales et un risque accru de mort in utero. La santé des mères doit donc appeler toute notre attention.
Il en va de même pour des comportements tels que la consommation de tabac, qui reste à un niveau élevé en France. Il est surprenant de constater que 17,8 % des femmes enceintes fument toujours au troisième trimestre de leur grossesse. Une enquête de Santé publique France de 2015 estimait que sur une année, 158 000 nouveau-nés sont exposés au tabagisme de leur mère. La proportion est d'autant plus élevée chez les femmes jeunes et chez les femmes moins diplômées. À titre de comparaison, en Suède, ce taux serait de 4 %. Cette différence de comportement interroge. Les effets du tabagisme sont considérables sur le développement du fœtus et donc sur le risque de prématurité.
Parmi les autres facteurs de risque, il convient de souligner également le poids des inégalités économiques et sociales. La précarité a des conséquences sur l'état de santé des mères et induit un risque accru de mortalité infantile. Les pathologies maternelles sont plus fréquentes ; le suivi de la grossesse est plus parcellaire et distendu. Ce constat peut être lié à une moins bonne compréhension du système de soins, à une difficulté d'accès aux soins et à la prévention ou encore, pour certaines mères nées à l'étranger, à la barrière de la langue.
Une étude de 2015 a analysé le lien entre les caractéristiques socio-économiques des communes de résidence des mères et la prématurité et le poids du bébé. Les facteurs de risque semblent plus fréquents lorsque la mère est de milieu modeste, qu'elle est moins diplômée et qu'elle dispose d'un faible niveau de revenus.
Une autre étude, plus récente et plus proche de nous géographiquement, établit un constat édifiant sur les pathologies et la santé des mères. Elle a été menée en Seine-Saint-Denis et elle a mis en exergue le constat selon lequel la moitié des nouveau-nés décédés étaient nés de mères en surpoids et obèses.
Il s'avère également impossible d'obtenir des chiffres précis sur les accouchements effectués sous aide médicale de l'État, mais nous savons qu'ils augmentent en proportion. On peut supposer que si la grossesse est vécue pendant le parcours migratoire, si l'arrivée en France est très proche de l'accouchement, si les conditions d'hébergement sont précaires, cela impacte le début de la vie des nourrissons. Cela mériterait également d'être estimé et consigné dans les futurs registres. En tout cas, je mentionne les propos tenus par M. Patrick Daoud, que nous avons auditionné, selon lequel la grossesse est souvent un révélateur et un amplificateur des difficultés qui conduisent notamment à un risque d'augmentation de la mortalité infantile.
Il importe également de mentionner la mort subite du nourrisson ainsi que les violences dont peuvent être victimes les enfants et notamment le syndrome du bébé secoué. Nous disposons dans ces domaines de chiffres relatifs au taux de mortalité très parcellaires. Il s'élèverait néanmoins à environ 13 %.
Nos recommandations portent également sur des actions qui pourraient être plus rapidement mises en œuvre dans le domaine de la prévention. Nous avons évoqué les effets extrêmement marqués du message relatif aux pratiques de couchage dans les années 1990 sur la diminution de la mortalité et sur les morts subites du nourrisson. Il semble clair que ces pratiques se sont un peu relâchées. Les industriels ne nous aident pas non plus en diffusant des photos de bébés mignons qui dorment sur le ventre, entourés de leurs doudous. Il s'avère donc urgent et indispensable que les industriels s'emparent de ce sujet et que les agences gouvernementales soient également plus vigilantes quant à la diffusion de certaines photos sur les sites.
Le professeur Martin Chalumeau, que nous avons auditionné, proposait de faire également figurer des messages sur les paquets de couches, ce qui pourrait être une façon de rappeler sans cesse ce message de prévention susceptible de sauver de nombreuses vies. Il serait d'ailleurs souhaitable de faire figurer des messages de prévention contre le tabagisme, car le taux de consommation de tabac par les femmes enceintes est très important en France. Cette action nous semble facile à mettre en œuvre pour éviter des décès.
Avec des outils pertinents, nous pourrions agir pour diminuer cette mortalité infantile. Nous espérons que notre modeste contribution à ces travaux saura convaincre de l'urgence d'agir en ce sens.