Le travail à temps partagé aux fins d'employabilité est né d'une initiative de terrain, lancée il y a un peu plus de dix ans. Conçu pour favoriser l'accès à un emploi stable d'un public confronté à la précarité professionnelle, depuis l'entrée en vigueur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, il est mis en œuvre dans le cadre d'une expérimentation supposée prendre fin le 31 décembre 2023.
À l'approche de cette échéance, la question de l'avenir du dispositif – issu d'un amendement déposé par Mme Fadila Khattabi – se pose de façon pressante.
Avant d'évoquer le contenu de la proposition de loi que le groupe Démocrate a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de sa journée réservée, je voudrais présenter brièvement ce dispositif.
À l'instar du travail à temps partagé de droit commun, le travail à temps partagé à des fins d'employabilité repose sur une relation triangulaire de travail entre un salarié, un entrepreneur de travail à temps partagé (ETTP) – auquel le salarié est lié – et une entreprise utilisatrice – auprès de laquelle le salarié est mis à disposition pour l'exécution d'une mission.
En revanche, contrairement au travail à temps partagé de droit commun, il s'adresse à des personnes qui rencontrent des difficultés particulières d'insertion professionnelle, et plus précisément aux demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins, aux bénéficiaires de minima sociaux, aux personnes handicapées ou âgées de plus de 50 ans ainsi qu'à celles qui ont une formation de niveau égal ou inférieur au certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou au brevet d'études professionnelles (BEP) – ce qui correspond aux niveaux de formation V, V bis ou VI
À tous, le dispositif offre un certain nombre de garanties.
Il leur permet d'être titulaires d'un CDI, baptisé contrat de travail à temps partagé aux fins d'employabilité (CDIE), signé avec l'ETTP, mais aussi d'être rémunérés à hauteur du dernier salaire horaire de base pendant les périodes dites d'intermission.
Les salariés sont en outre formés durant le temps de travail, l'employeur étant tenu de prendre en charge les actions de formation et d'abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié à temps complet à hauteur de 500 euros supplémentaires par an.
Le dispositif est régi par des règles juridiques peu contraignantes.
Il peut y être recouru en l'absence de motif particulier, ce qui limite le risque de requalification du contrat. Du reste, la durée des missions accomplies pour le compte de l'entreprise utilisatrice n'est pas limitée par la loi, pas plus que le nombre de renouvellements de celles-ci.
Sur l'ensemble de ces points, le travail à temps partagé se distingue du travail intérimaire, autre mécanisme de prêt de main-d'œuvre à but lucratif auquel il ne peut être fait appel que dans un ensemble de situations énumérées par les textes – le remplacement d'un salarié ou l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, par exemple – et pour un temps donné – même si tel n'est plus le cas pour la mission effectuée par un salarié titulaire d'un CDI intérimaire.
En résumé, le dispositif présente des avantages.
D'abord pour le salarié, auquel est proposé un CDI et une formation qualifiante – soit le contraire exact de ce que subissent les personnes éloignées du marché du travail, auxquelles il est au mieux proposé des CDD et qui n'ont pas accès à des formations leur permettant d'accéder à des emplois mieux rémunérés ; ensuite, pour l'entreprise utilisatrice, en raison de la durée relativement longue de la mise à disposition du salarié et du faible risque juridique de requalification du contrat. C'est le point de vue qu'ont exprimé notamment les représentants de La Poste et de Renault, que j'ai auditionnés.
Mon constat confirme celui de nos collègues Fanta Berete et Stéphane Viry, rapporteurs d'une mission « flash » chargée d'évaluer cette expérimentation. Comme eux, j'observe avec regret que les données sur le déploiement du dispositif sont peu nombreuses, l'autorité administrative n'ayant été destinataire – en dépit de ce que prévoyait la loi – ni du nombre de contrats signés par les ETTP, ni d'aucun autre élément sur le parcours des personnes recrutées. Cette situation résulte de l'impossibilité technique pour les employeurs de transmettre ces informations par l'intermédiaire de la déclaration sociale nominative (DSN). Cela est évidemment regrettable.
Toujours est-il que, selon l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) – qui a rédigé un rapport qui n'a pas encore été publié –, 5 000 CDIE environ auraient été conclus depuis 2018 et 1 500 étaient en cours d'exécution à la fin du premier trimestre de l'année 2023. Il faut relever que ces chiffres sont inférieurs à ceux communiqués par le Syndicat des entreprises d'emploi durable, qui rassemble l'essentiel des ETTP.
Quoi qu'il en soit, d'après les observations de l'Igas, près de 80 % des titulaires d'un contrat de ce type seraient inscrits à Pôle emploi depuis six mois au moins ou auraient une formation de niveau égal ou inférieur au CAP-BEP au moment de l'embauche. Très peu seraient bénéficiaires de minima sociaux ou en situation de handicap.
La très grande majorité appartiendrait à la catégorie socioprofessionnelle des ouvriers, et un sur dix seulement à celle des employés. Ils exerceraient surtout dans le secteur de l'industrie – métallurgie, plastique, chimie – et, de plus en plus, dans celui des services – tri et distribution du courrier, principalement.
Près de 45 % des titulaires d'un CDIE seraient embauchés en CDI à l'issue de leur mission, dans l'entreprise utilisatrice pour la quasi-totalité d'entre eux – ce qui est encourageant.
Après avoir rappelé ces éléments de contexte, il me faut maintenant évoquer les deux articles de la proposition de loi dans la rédaction retenue au moment du dépôt du texte.
L'article 1er pérennise le dispositif du travail à temps partagé aux fins d'employabilité. Il s'adresserait au même public que celui qui y est actuellement éligible et accorderait à ses bénéficiaires des garanties inchangées.
Le dispositif serait par ailleurs expressément soumis au régime juridique du travail à temps partagé de droit commun, ce qui signifie que seraient applicables les articles du code du travail qui régissent cette forme de travail.
L'article 2 prévoit des sanctions à l'encontre d'un ETTP ou d'une entreprise utilisatrice qui méconnaîtrait la législation applicable au travail à temps partagé aux fins d'employabilité.
Sans attendre la discussion générale et l'examen des amendements, je dois reconnaître que la pérennisation du dispositif semble prématurée compte tenu de l'insuffisance des données disponibles sur sa mise en œuvre et de l'impossibilité d'en faire une évaluation en bonne et due forme. Comme un certain nombre d'entre vous, il me semble préférable de proroger l'expérimentation pour une durée suffisamment longue, afin que son déploiement se poursuive dans de bonnes conditions.
Je veux dire également très clairement qu'il ne me semble pas judicieux – à l'inverse de certains d'entre vous – d'y mettre un terme, à plus forte raison dans le contexte d'une hausse du taux de chômage, même légère. Cela ne serait pas cohérent avec l'action que conduit la majorité présidentielle depuis 2017.
Cela étant dit, je considère que la prorogation de l'expérimentation doit être mise à profit pour apporter quelques corrections au dispositif.
À l'instar des rapporteurs de la mission « flash » précitée, j'estime que les critères d'éligibilité sont définis de façon trop large, ce qui a pour effet d'étendre la possibilité de conclure un CDIE à des personnes qui ne rencontrent pas toujours des difficultés particulières d'insertion professionnelle. Or cela ne correspond pas à l'esprit de la loi. J'observe que plusieurs amendements de réécriture de l'article 1er proposent de faire passer de six à douze mois la durée minimale de l'inscription à Pôle emploi nécessaire pour pouvoir conclure un contrat de ce type. Cette modification va dans le bon sens et j'y suis favorable, mais il faudra peut-être aller plus loin dans la voie du resserrement des critères au moment de l'examen du texte en séance publique.
Avec les services du ministère du travail, nous réfléchissons par ailleurs à la question des garanties supplémentaires qui pourraient être données aux titulaires d'un CDIE, afin de sécuriser davantage leur parcours professionnel.
Enfin, il est impératif qu'une solution soit trouvée pour que les données relatives à la mise en œuvre du dispositif parviennent effectivement à l'autorité administrative et qu'il puisse être évalué le moment venu. À défaut, nous nous retrouverions demain dans la situation dans laquelle nous sommes et ne serions pas en mesure de nous prononcer sur la pertinence de son éventuelle pérennisation. J'ai insisté sur ce point auprès du ministre du travail et je le ferai de nouveau dans l'hémicycle le 18 janvier.
Je forme le vœu que notre commission adopte cette proposition, en lui apportant les modifications que je viens d'évoquer.