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Intervention de Jérôme Guedj

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Guedj, rapporteur :

Une audition devant le Parlement en vue d'une nomination est tout sauf symbolique : c'est un moment essentiel pour notre commission, à plus forte raison lorsqu'il s'agit, comme c'est le cas aujourd'hui, d'un renouvellement, car ce n'est plus seulement un projet mais aussi un bilan qu'il faut alors examiner. En l'espèce, dans la mesure où vous étiez directrice adjointe de l'ANSM depuis 2016 avant d'en devenir la directrice générale, c'est sur sept années de votre parcours qu'il nous faut revenir.

Mes questions porteront sur quatre points que, à l'exception du premier, vous n'avez absolument pas mentionnés dans votre exposé liminaire, ce qui m'a beaucoup surpris : les pénuries de médicaments et la souveraineté pharmaceutique ; les scandales sanitaires en lien avec l'industrie pharmaceutique, dont on nous parle énormément en circonscription ; le dérèglement climatique et la décarbonation du secteur de la santé ; enfin, les suites de la crise sanitaire et la gestion des pandémies futures.

Il y a quelques semaines, ma collègue Valérie Rabault a interpellé le Gouvernement sur la pénurie de médicaments que connaît à nouveau la France. Citant les chiffres de votre agence, elle a fait état de l'accroissement du nombre de médicaments en tension, qui sont passés de 700 en 2018 à plus de 3 700 en 2022, ce qui a conduit le ministre de la santé à déclarer qu'il était favorable à un renforcement des compétences de police sanitaire de l'ANSM. De votre point de vue, pourquoi l'ANSM n'est-elle pas en mesure, à l'heure actuelle, de lutter contre ces pénuries ?

À la fin du mois d'octobre, Philippe Besset, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, faisait état quant à lui de tensions au niveau national et de pénuries dans de nombreuses pharmacies, notamment rurales, d'amoxicilline, de cortisone et de flécaïnides. J'ai bien pris connaissance du plan hivernal de votre agence mais, alors qu'approche l'époque des épidémies saisonnières, comment comptez-vous assurer la disponibilité de ces produits essentiels dans toutes les officines du territoire ? Plus globalement, que comptez-vous faire pour éviter des situations de ce type, dans lesquelles notre système de santé doit espérer une trajectoire épidémique clémente pour ne pas craindre d'être submergé ? Des modifications législatives vous semblent-elles nécessaires ?

À l'article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, un amendement de la rapporteure générale a donné pouvoir à votre agence, en cas de rupture d'approvisionnement d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur ou d'un vaccin, de prendre toutes les mesures de police sanitaire nécessaires pour garantir l'approvisionnement. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement, pour vous ? Comment interprétez-vous cette responsabilité d'un point de vue opérationnel et, le cas échéant, comment comptez-vous appliquer les mesures qui en découlent ?

Au sujet de la pénurie d'amoxicilline, la présidente de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (Otmeds) a fait part de sa colère : elle alertait depuis plusieurs mois sur ce risque et s'inquiète d'un effet domino sur d'autres substances actives. Durant la crise liée à la covid-19, on a manqué de midazolam et de curares dans les services de réanimation. Si l'on avait tiré tous les enseignements de cet épisode, pensez-vous que la pénurie d'amoxicilline se serait produite ? Au-delà de la charte sur les obligations des parties prenantes du secteur des médicaments que vous avez signée, quelle est la stratégie de l'ANSM pour mettre fin à la pénurie d'amoxicilline, l'antibiotique le plus consommé en France, et éviter un effet domino sur d'autres médicaments ? Quelle est par ailleurs votre position sur le cas spécifique des pilules abortives ? En mai, le planning familial, ainsi que l'Otmeds et le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes nous alertaient sur la rupture de misoprostol à travers le pays, substance active utilisée dans 76 % des procédures médicamenteuses d'interruption de grossesse.

J'en viens à mon deuxième point, sur l'industrie pharmaceutique et les scandales sanitaires. Je dois dire que j'ai été très surpris de ne pas vous entendre prononcer les mots de Dépakine, Androcur, Essure ou Levothyrox, car c'est à propos de ces médicaments que la presse a parlé de l'ANSM ces derniers temps. Lorsque vous avez été auditionnée en 2020, l'agence était mise en examen pour blessures et homicides involontaires par négligence, dans l'affaire de la Dépakine. Depuis, elle a été mise en examen pour tromperie dans l'affaire du Levothyrox. L'avocat de plus de 3 000 victimes dans ce dossier, Me Christophe Lèguevaques, a déclaré : « Dans l'affaire du Levothyrox, quand les premières plaintes sont apparues après le changement de formule, l'agence a fait le dos rond. Elle n'a pas sanctionné Merck qui n'avait rien indiqué sur la boîte de médicaments. Elle a préféré croire l'industriel plutôt que les milliers de malades qui manifestaient leurs troubles. Cette connivence peut s'expliquer parce que des experts dits indépendants, voire des membres de l'agence, avaient été rémunérés par Merck quelques années auparavant. » Pouvez-vous revenir sur cette substitution forcée du Levothyrox, à propos de laquelle nous sommes constamment interpellés dans nos circonscriptions ? Vous aviez vous-même pris une position plutôt proactive à ce sujet : qu'est-ce que cela vous fait d'être à la tête d'une agence qui est mise en examen pour tromperie sur ce dossier ?

L'ANSM a également été assignée en justice par des victimes des implants Essure, des bandelettes périnéales et de l'Androcur. En juin 2022, une association de patients, victimes du produit de chimiothérapie 5-FU, a également assigné l'ANSM en justice, lui reprochant de ne pas avoir opéré de surveillance sur la toxicité de ce produit pendant dix-sept ans. Plus récemment encore, en mars 2023, un collectif de patients a porté plainte contre plusieurs médecins et contre X pour blessures involontaires et tromperie aggravée, du fait de prescriptions systématiques de fluoroquinolones – le Tavanic ou le Monoflocet. Selon ce collectif, 6 millions de personnes ont été empoisonnées en France et l'ampleur de ce scandale sanitaire est encore mal connue. Vous avez aussi reçu, comme nous tous, une lettre ouverte de la part de l'Alliance nationale des associations de victimes de produits de santé, qui déplore que le sort des victimes de ces dysfonctionnements semble n'intéresser aucune autorité sanitaire française.

Que rien de tout cela n'ait été mentionné dans votre propos liminaire est un peu heurtant. D'après les données des CRPV, en 2018, 212 500 personnes ont été hospitalisées après avoir fait l'expérience d'effets indésirables médicamenteux, contre 144 000 en 2007, soit une augmentation de 47 % en l'espace de dix ans. Ces chiffres sont-ils le signe que l'ANSM est un acteur incontournable, ou l'illustration de ses défaillances ? On attend en tout cas un électrochoc. La confiance des patients et du grand public est une condition sine qua non de l'efficacité de l'action de l'agence. C'est l'affaire du Mediator qui avait conduit à la suppression de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et à son remplacement par l'ANSM. Pourtant, les scandales sanitaires se sont multipliés depuis. Que comptez-vous faire pour mettre enfin un terme aux pratiques dangereuses, voire illégales, de certains laboratoires ? De quels moyens aurez-vous besoin pour y arriver ?

Il me reste peu de temps pour évoquer mes deux derniers points, pourtant essentiels. Le dérèglement climatique impose une décarbonation rapide du secteur de la santé et l'ANSM sera en première ligne pour mettre en œuvre une politique publique de santé à la hauteur des enjeux climatiques. Quelle est votre feuille de route pour assurer, dans les prochaines années, vos missions d'information, de contrôle et de régulation en tenant compte des enjeux climatiques ?

Enfin, différentes études font état d'une augmentation du risque des zoonoses. Selon plusieurs responsables scientifiques français, la question n'est plus de savoir si une nouvelle pandémie aura lieu, mais quand. Qu'en dites-vous ?

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