C'est une excellente question, monsieur le rapporteur. Tout d'abord, permettez-moi d'indiquer que nous sommes à l'aube d'une époque nouvelle. Nous assistons à un changement de paradigme, notamment dans un monde caractérisé par la polarisation, la radicalisation, et surtout, la prédominance du numérique, dont l'intelligence artificielle générative s'impose face aux citoyens. L'État se trouve confronté à d'autres émetteurs de messages, une évolution qui, jusqu'à récemment, était symbolisée par la recommandation classique de prendre avec soi une radio à pile pour s'informer et connaître les gestes appropriés en cas de catastrophe, comme l'a souligné récemment Patrice Dallem. Cependant, nous devons admettre que nous ne sommes plus dans cette époque, qui est révolue.
Le véritable enjeu réside dans la lutte contre la désinformation, dans la manière dont le citoyen peut être influencé, entendre, ou percevoir différents messages. Nous faisons face à des guerres de l'information, des conflits dans lesquels des institutions comme la nôtre sont également attaquées. En tant que dirigeant d'une institution arborant l'un des emblèmes internationaux les plus prestigieux dans le domaine de l'action humanitaire, je suis témoin quotidiennement de cette réalité, que ce soit en Ukraine ou dans d'autres régions du globe. Il est indéniable que nous sommes immergés dans diverses situations complexes.
La première question qui se pose est de savoir si l'État entretient une relation, voire même une relation anticipative, face aux crises. Comme je l'ai mentionné en ouverture de notre échange ce soir, la réponse est affirmative, mais nous pouvons indubitablement faire mieux. Si vos travaux peuvent contribuer à insuffler une logique d'anticipation des crises et à susciter une prise de conscience quant au changement de paradigme, de période, d'époque, et de monde, d'autant plus que la loi de 2006 n'est plus adaptée aux nouvelles crises à venir, cela serait hautement bénéfique. Aujourd'hui, la question ne se limite plus à une spécialisation technique ou à la maîtrise de gestes spécifiques. Elle implique de plus en plus une mobilisation citoyenne, notamment dans la manière dont nous établissons une relation avec la population.
À la tête d'une institution rassemblant 100 000 volontaires, salariés et bénévoles sur les territoires, nous constituons une force considérable. Cependant, il est impératif de construire, avec la puissance publique, la mobilisation de cette force. Dans nos choix d'investissement, nous sommes confrontés à des arbitrages difficiles. Il est parfois nécessaire de supprimer certaines activités pour en privilégier d'autres, en tenant compte du contexte actuel, une problématique à laquelle font face toutes les organisations et associations de sécurité civile. La question cruciale se pose : faut-il investir dans un parc d'ambulances ou dans un autre type de matériel pour faire face aux crises de demain ? La présence de nos ambulances contribue non seulement à l'attractivité auprès de nos bénévoles, mais aussi à un choix d'investissement immobilier significatif. En tant que secouriste à l'âge de 17 ans, j'ai conscience de l'importance d'avoir des moyens d'intervention à disposition à cet âge. C'est également une forme de reconnaissance que notre association soutient.
J'ai dépassé le cadre de votre question pour situer ce nouveau contexte. Évidemment, il est essentiel que les acteurs dialoguent davantage. Je suis particulièrement fier, par exemple, de la collaboration entre la fédération française de secourisme, l'ordre de Malte, l'union nationale des associations de secouristes et sauveteurs (Unass), la Croix Blanche, et la Croix-Rouge française pour répondre aux besoins liés aux Jeux olympiques. Ensemble, nous assumons les trois quarts de notre réponse aux exigences de cet événement, ce qui témoigne de notre volonté de décloisonner des frontières anciennes. Il fut un temps où une certaine concurrence existait entre les associations de sécurité civile, mais cela n'a plus lieu d'être. Nous devons dialoguer et construire ensemble, en respectant l'identité de chacun. Je suis convaincu, en tant que président de la Croix-Rouge française, que cela doit être notre première démarche.
Sur un autre plan, j'ai assisté au congrès des sapeurs-pompiers et j'ai eu l'occasion d'échanger sur la nécessité d'occuper une place différente. En observant le stand de la direction de la sécurité civile, j'ai pu constater que la position accordée aux associations de sécurité civile n'était pas à la hauteur de notre rôle au sein de l'ensemble du dispositif de la sécurité civile nationale.
Dans la relation avec les sapeurs-pompiers, nous sommes actuellement trop centrés sur les hommes, alors que cela devrait être une question d'institutions. Il est nécessaire de redéfinir la relation entre les SDIS de France et la Croix-Rouge française dans leurs rôles respectifs et dans l'accompagnement des populations. Par ailleurs, je dirais que, pour aborder certains sujets, il est crucial de se demander comment parvenir à un décloisonnement entre les acteurs de la sécurité civile. Si nous replaçons le citoyen et l'intérêt général au cœur de nos préoccupations, la Croix-Rouge est prête à jouer un rôle actif dans cette démarche. Vous avez parfaitement raison. Il est impératif que les acteurs acceptent de changer d'époque et tiennent compte des nouveaux risques qui sont, je le souligne, totalement existentiels pour nous tous. Les ruptures auxquelles nous faisons face aujourd'hui, en tant qu'institution de portée internationale, sont nombreuses, et bien que certaines soient mises en lumière, d'autres restent dans l'ombre, avec des répercussions sur le territoire national dans les mois et les années à venir.