C'est une vaste question, dont je ne possède pas tous les éléments de réponse car je n'ai pas conservé les documents à même d'expliciter cette situation. Le ministre des transports de la période précédente cherchait un effet volume, qui consistait à chasser tous les trafics possibles pour maximiser le chiffre d'affaires ; et il s'est produit ce qui devait se produire : à partir du moment où l'activité sur un marché n'est pas bénéficiaire, accroître les volumes ne fait qu'augmenter les pertes. Quand je suis arrivé, le chiffre d'affaires était un peu inférieur à 2 milliards d'euros et les pertes s'élevaient à 450 millions : voilà la sanction de l'effet volume.
Nous nous sommes demandé quels étaient les trafics pour lesquels l'activité était bénéficiaire ou en passe de l'être au prix de quelques mesures d'ajustement et nous avons abandonné ceux pour lesquels aucune perspective de rentabilité n'existait, donc le volume total s'est contracté.
Nous avons réduit fortement le nombre de locomotives : deux mille locomotives pour faire 2 milliards de chiffre d'affaires, ce ratio extravagant ne s'expliquait que par le vieillissement du parc ; nous avons détruit environ huit cents locomotives au fur et à mesure qu'arrivaient les nouvelles unités produites par Alstom. Quant aux wagons, la plupart des quarante mille que nous possédions étaient stationnés dans des gares de triage et ne produisaient rien : là encore, nous en avons éliminé beaucoup. Lors d'une année de grande sécheresse, le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), M. Jean-Michel Lemétayer, cherchait des moyens de transporter du foin dans une zone du pays particulièrement touchée et nous a lancé un appel au secours, auquel nous avons répondu en mobilisant tous les wagons disponibles.
L'objectif de notre politique d'attrition du volume était l'amélioration du résultat d'exploitation – nous sommes parvenus à le faire progresser de 200 millions d'euros. Pour atteindre l'équilibre quand les pertes s'élèvent à 450 millions, plus de trois ans sont nécessaires. Un redressement d'une telle ampleur n'a rien d'automatique. J'ignore ce qu'il s'est passé après mon départ, mais l'effet d'un certain nombre de mesures s'est fait attendre ou n'est intervenu que plus tard. Il me semble que le parc des locomotives a été complètement renouvelé et que l'outil informatique de suivi des trafics et d'information du client a été déployé.
Néanmoins, la filialisation du fret n'a pas été opérée. Comme il n'existait pas de bilan d'une société filialisée du fret, la vente des terrains exploités par le fret n'a pas profité à celui-ci. Un bilan de 1,5 milliard d'euros paraît important, mais celui-ci était en grande partie consommé par des investissements productifs – machines, wagons. Les terrains avaient une grande valeur grâce à leur emplacement, mais c'est la SNCF qui bénéficiait de leur vente et non le fret. Comme ces biens étaient exploités par le fret, il aurait fallu passer par l'obtention d'une autorisation de capitalisation délivrée par les instances européennes, alors que la simple cession évitait ce type de désagrément. Il y avait là une incohérence. Au total, l'absence de bilan consolidé s'est révélée hautement préjudiciable.
Il n'est pas étonnant que tout n'ait pas pu être accompli en trois ou quatre ans : il faut du temps pour produire les machines et les wagons, ils n'apparaissent pas comme par magie. En outre, l'absence de filialisation nous pénalisait : les cessions et les achats n'étant pas intégrés dans un bilan, il nous fallait constamment réclamer des aides, dont l'octroi dépendait de Bruxelles.