Intervention de Franck Leroy

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Franck Leroy :

Monsieur Bricout, pendant longtemps, nous avons manqué de visibilité sur le développement des infrastructures. J'ai évoqué le cas du nucléaire et du ferroviaire, mais c'est également le cas du fluvial. Plusieurs canaux ont ainsi été abandonnés et le projet du canal Seine-Nord Europe, qui semble finalement se concrétiser, n'a pas avancé pendant quarante ans. En l'absence de visibilité, les professionnels ne peuvent investir dans les péniches du futur et les industriels qui utilisaient les péniches les ont abandonnées. Le transport fluvial est pourtant indispensable, notamment pour les pondéreux. Nous avons un savoir-faire et nous voyons des formations réapparaître, mais une orientation et des investissements sont nécessaires. Un signal fort en ce sens permettra de voir l'industrie du fluvial renaître en France. Cela vaut d'ailleurs pour le fluvial comme pour tous les autres transports : en envoyant le signal du retour des transports dans les zones rurales, nous verrons fleurir des initiatives et des innovations sur ces territoires.

Plusieurs d'entre vous sont revenus sur les infrastructures routières. Il n'est pas question de les abandonner, car elles restent le premier moyen de déplacement de nos concitoyens et elles doivent donc être modernisées. Il faut également inciter à d'autres usages que l'autosolisme, par exemple en affectant des voies exclusives aux transports publics et au covoiturage. J'ai pu constater dans les différents pays où cela a été fait que les résultats sont assez extraordinaires. La circulation sur ces voies est plus rapide, ce qui incite les automobilistes à prendre le car.

Les budgets de l'Afit France sont aujourd'hui affectés pour les deux tiers à des modes de transport alternatifs à la route, mais le ferroviaire a souffert de sous-investissement pendant des décennies et les infrastructures connectées permettront des performances supérieures sur le plan routier et sur le plan écologique. Cela ne signifie pas pour autant que la route doit être abandonnée. Elle est indispensable dans certains territoires, qui ne seront pas desservis par des voies ferroviaires. L'Afit France continuera donc de financer le transport routier et les contrats de plan État-région continueront à financer les chantiers en cours.

Madame Goetschy-Bolognese, vous avez évoqué les modes de mobilité active. Je vous conseille de visiter Gand ou Anvers, qui nous donnent l'impression d'avoir vingt ans de retard dans ce domaine. Tout y est fait pour inciter le transport à vélo – routes de 4,5 mètres de large où les vélos électriques débridés peuvent rouler à 45 kilomètres par heure, vestiaires équipés de chauffage pour les vêtements mouillés par la pluie – et le taux d'acceptabilité est extraordinaire. Il en résulte une amélioration de la qualité de vie, du pouvoir d'achat et de l'empreinte carbone. Nous avons pris un gros retard et de telles initiatives pourraient être transposées en France, qui dispose, notamment dans le Sud, d'un territoire plus favorable au transport à vélo que celui de la Belgique, de la Hollande ou du Danemark.

La question des lignes de desserte fine des territoires est importante. À chacun de mes déplacements dans les territoires de la région Grand Est – qui, avec 5 152 communes, en compte le plus grand nombre en France –, j'entends le même refrain de l'abandon par les mobilités. Au nom de la cohésion sociale, nous devons redonner espoir au monde rural grâce au transport routier, quand il est la seule solution, au covoiturage et au retour du train quand il est possible. La nouvelle génération de trains permettra de partir à la reconquête des territoires et les lignes rurales existantes doivent être modernisées, ainsi que cela a été fait dans la région Grand Est, où certaines lignes très abîmées ne roulaient qu'à une vingtaine de kilomètres par heure. Les lignes rurales sont également importantes pour le fret : dans la région Grand Est, les coopératives agricoles les plus importantes sont contraintes de transporter leur production sur des routes départementales qui sont peu à peu détruites par des charges allant jusqu'à 40 tonnes alors qu'une remise à niveau des lignes ferroviaires existantes permettrait de rediriger ce trafic vers un transport décarboné. C'est une question d'investissement de l'État, mais également des régions, des départements et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

L'écoredevance, malgré un vote à la quasi-unanimité au Parlement il y a dix ans, n'a pu se mettre en place au niveau national, mais nous l'avons fait dans la région Grand Est. Nos voisins, qui génèrent un flux important sur nos axes, ont imposé la taxe carbone. Cette anomalie doit être corrigée, mais, en tant que président de l'Afit France, je ne prônerai pas la généralisation de l'écotaxe ; je la défends pour des situations particulières, comme c'est le cas dans le Grand Est. Nous ne pouvons attendre des années les financements de l'État pour répondre aux besoins des usagers. Je rappelle que 120 000 Mosellans et Meurthe-et-Mosellans font tous les jours le trajet par route pour aller travailler au Luxembourg et mettent une heure pour parcourir 30 kilomètres en raison des bouchons, qui concernent aussi les camions. Les transporteurs sont peu enthousiastes vis-à-vis de l'écotaxe, mais quand ils comptabilisent le temps perdu dans ces bouchons, ils deviennent plus enclins à écouter nos arguments pour le financement de nouvelles infrastructures et la modernisation d'infrastructures existantes, surtout quand ils apprennent que nous pouvons leur verser des aides pour changer la motorisation des camions afin qu'ils payent moins d'écotaxe. La décision d'appliquer l'écotaxe est un choix politique assumé qui, peut-être au prix de l'impopularité, permet de satisfaire les usagers grâce au développement des capacités des infrastructures de transport. Ce choix ne peut être imposé : il doit passer par un dialogue entre l'État et chacune des régions pour définir les priorités et signer des accords permettant de figer les garanties de financement sur le temps long des infrastructures.

Je ne connais pas les particularités de la ligne des Cévennes, mais, de façon générale, je pense qu'il faut reconquérir ces lignes de fret ferroviaire. Il ne faut pas non plus oublier la route, en prenant en compte l'évolution des usages, qui sont aujourd'hui beaucoup plus vertueux.

La partie française de la liaison Lyon-Turin, qui est actuellement en travaux, fait l'objet de plusieurs recours contentieux. M. Amard a par ailleurs évoqué huit grands projets d'infrastructure n'ayant pas fait l'objet des études requises par la loi. Je manifeste une certaine réserve sur ces questions, car le président de l'Afit France que j'ambitionne d'être n'a pas vocation à donner son avis sur ces projets, qui sont issus de décisions politiques de l'État et des collectivités territoriales, ni à s'immiscer dans des questions qui doivent être traitées par les tribunaux. Le rôle de l'Afit France est de financer les infrastructures de transport décarboné et de veiller aux moyens et à l'autonomie lui permettant de le faire. L'Afit France n'est pas le COI et son rôle n'est pas de conseiller les pouvoirs publics.

Monsieur Leseul, je resterai président de région si je deviens président de l'Afit France. Je pense en effet, très humblement, avoir été choisi en raison de mes fonctions locales, tout comme Patrice Vergriete ou Christophe Béchu avant moi. Il est important qu'un représentant des territoires dirige l'Afit France, car les territoires – région, département et EPCI – prennent de plus en plus de poids dans le financement des infrastructures, aux côtés de l'État et de l'Europe. Les dernières lignes de TGV ont d'ailleurs été financées grâce à d'importantes contributions des régions.

Je suis désolé de n'avoir pu répondre à certaines questions plus précises, qui auraient exigé de ma part une connaissance du territoire que je n'ai pas. Je ferai toutefois l'effort de vous répondre individuellement dès que je serai en capacité de le faire et pourvu que ma nomination soit effective.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion