Madame Brulebois, le rapport du COI et les déclarations de la Première ministre ont marqué un tournant pour le financement des infrastructures dans notre pays. Nous suivons depuis un certain nombre d'années une trajectoire manifestement insuffisante ou, en tout cas, qui avait essentiellement bénéficié, depuis quarante ans, au TGV. Nous avons senti une inflexion forte qui doit se traduire budgétairement par un investissement croissant de l'État. C'est, semble-t-il, le cas actuellement, puisque nous devrions voir dans le cadre de la loi de finances le budget de l'Afit France porté à 4,6 milliards d'euros, ce qui est un montant sans précédent et en croissance sensible. Par ailleurs, la contribution de l'État est en progression assez forte dans le cadre des contrats de plan – elle s'établira à 8,6 milliards d'euros. Là aussi, la tendance est positive, même si le choc du financement des infrastructures qui nous attend est considérable : il appellera des financements croissants.
Nous avons tous conscience – cela a été dit par les uns et par les autres – que les infrastructures sont essentielles pour l'aménagement du territoire, la qualité de vie de nos concitoyens et la trajectoire que notre pays ambitionne de suivre en matière de neutralité carbone. Logiquement, les financements dédiés à l'Afit France devraient augmenter dans les années qui viennent. L'attribution à l'agence d'une nouvelle taxe sur les infrastructures de transport de longue distance est finalement une bonne nouvelle, mais je crains que cela ne suffise pas pour les années qui viennent et qu'il soit donc nécessaire de se poser quelques questions – nous avons tous en tête, notamment, celle de la fin des concessions autoroutières et de l'affectation des péages dans quelques années, à partir de 2030-2031, le mouvement devant ensuite s'accélérer. Un vrai choix politique devra être fait, et c'est à vous qu'il incombera en tant que représentants de la nation, plus qu'à moi-même, évidemment, si je deviens président de l'Afit France.
Parmi les questions que devront se poser l'Afit France et la représentation nationale – parce qu'elle est membre de l'Afit France et doit constituer, selon moi, un partenaire permanent en matière de dialogue et de réflexion –, il y a effectivement le sujet des moyens qu'on se donnera pour s'assurer que le retard, considérable, qui a été pris au cours des quarante dernières années en matière d'infrastructures sera comblé. Des pays voisins, comme l'Italie et l'Allemagne, qui ont été ou sont confrontés à ce problème, ont su mobiliser des moyens extrêmement importants.
L'organisation en étoile dans notre pays est historique, mais je crois à la nécessité de développer des relations directes de province à province sans passer par Paris. C'est une question qui revient régulièrement : j'ai notamment à l'esprit la liaison, dans ma région, entre Luxembourg, Metz, Nancy et Lyon, qui existait auparavant et bénéficiait même d'un TGV, mais a été interrompue. L'ensemble des élus, quelle que soit leur sensibilité politique, se battent pour rétablir de telles liaisons, qui sont absolument fondamentales parce qu'elles s'inscrivent dans la réalité des corridors de transport européens qui traversent notre pays. Il faut travailler sur ce point avec les territoires et mobiliser l'État dans le cadre des lignes d'équilibre du territoire quand c'est nécessaire. Je ne suis pas désireux qu'il y ait des TGV partout, d'abord parce que ce sont des infrastructures considérables et ensuite parce que des trains d'équilibre du territoire (TET) performants, qui nécessitent donc un certain niveau d'entretien et d'investissement dans les infrastructures, sont également essentiels pour nos territoires. Je sais, madame la députée, que la question a pu se poser dans le vôtre.
Monsieur Prud'homme, je suis un homme, je ne peux pas le nier. J'observe que les hommes sont assez majoritaires dans cette salle… Néanmoins, la culture évolue beaucoup en matière de représentation, au Parlement comme dans d'autres assemblées – je suis membre d'un conseil communal et d'un conseil régional où la parité est la réalité. J'aspire évidemment à voir les femmes prendre toute leur place dans nos institutions. Quand j'ai démissionné de la mairie d'Épernay, j'ai eu la grande joie d'installer à ma place, pour la première fois dans l'histoire de la ville, une femme, et je trouve qu'elle fait un travail absolument remarquable.
Vous considérez, et vous n'êtes pas le premier à le dire, que l'Afit France est une boîte noire qui échappe aux parlementaires.
Je répondrai d'abord à cela que des parlementaires sont présents au sein du conseil d'administration. Il est constitué, grosso modo, de 50 % d'élus, des parlementaires et des élus territoriaux, et de 50 % de représentants de l'État : c'est donc une instance plutôt paritaire.
Par ailleurs, l'Afit France existe sous d'autres formes dans d'autres pays. Ce genre d'agence est assez courant, ce qui révèle très certainement l'existence d'un besoin. Quel est l'intérêt de l'Afit France ? Dédier des financements à une agence dont le budget est distinct de celui de l'État est, en premier lieu, le moyen de sanctuariser des financements. En matière d'infrastructures de transport, ils courent sur cinq à douze ans. Que ces financements soient fléchés, par l'intermédiaire d'une agence, est la garantie que les infrastructures ne subissent pas des coups de rabot budgétaires qui pourraient avoir lieu, au fil du temps, si les sommes dédiées aux infrastructures étaient incluses dans le budget relevant du ministre des transports. Je n'accuse pas celui d'aujourd'hui, mais vous savez tous que, quels que soient les gouvernements, les besoins budgétaires peuvent conduire à des coups de rabot qui sont autant de signaux négatifs, non seulement pour les territoires concernés par les infrastructures, mais aussi pour tous les industriels qui en dépendent.
Je vais citer un exemple que tout le monde connaît : quand des signaux négatifs ont été émis au sujet de la filière nucléaire française, celle-ci a perdu une partie de ses ressources humaines, car elle n'avait plus l'assurance de rester prioritaire à moyen et à long terme. Or le nucléaire est encore plus une affaire de long terme que les transports. Si demain ces derniers sont victimes d'aléas budgétaires – si on annonce 100 milliards d'euros pour les dix-sept prochaines années, mais qu'on réduit ensuite la voilure parce que la situation budgétaire se complexifie –, on enverra à l'ensemble des acteurs territoriaux et de la filière, qui doit investir et innover, des signaux extrêmement négatifs, alors que les acteurs travaillent sur le temps long. Il est donc important qu'on puisse sanctuariser les crédits dédiés aux infrastructures de transport dans une agence.
Qui plus est, celle-ci peut aisément démontrer que ce sont pour l'essentiel les transports routiers, donc carbonés, qui financent les transports qu'on peut dire alternatifs par rapport à la route. C'est un message fort, que nos concitoyens ne connaissent peut-être pas suffisamment : le transfert modal passe par ce type de financement. On ne l'a peut-être pas dit d'une manière suffisamment explicite, et il est donc important de le rappeler.
Je souligne aussi que l'agence coûte assez peu : elle est peu dotée en personnel, même si nous avons des agents de qualité. Le rapport entre le travail fait par l'Afit France, les financements qu'elle apporte et le nombre d'agents à son service est plutôt à porter à son crédit.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, il s'agit d'une instance paritaire : les parlementaires et les élus territoriaux y ont, je l'ai dit, toute leur place. Je souhaite que l'Afit France soit une instance de dialogue et d'échange, afin de relever les défis absolument colossaux qui nous attendent. L'avenir du monde des transports et la résilience de nos infrastructures face au changement climatique sont des questions absolument essentielles qui peuvent affecter très durement et longuement nos concitoyens si nous n'avons pas une réflexion partagée sur le devenir de nos transports.
Monsieur Meurin, vous m'avez interpellé sur les mandats qui sont les miens. Sans vouloir vous contrarier, je ne siège plus dans la plupart des organismes que vous avez cités. Lorsque j'ai changé de responsabilité au sein de la région, j'ai ainsi démissionné de la quasi-totalité de ces structures pour me consacrer pleinement à mes mandats. Je crois que la région Grand Est est membre de 3 000 ou 3 500 conseils d'administration : les élus siègent parfois dans cinquante ou soixante-dix organismes. Certains élus, pour des raisons qui leur sont propres ou parce qu'il s'agit d'organismes qui ont une activité assez réduite, participent à ces derniers une fois par an. J'ai tenu, en ce qui me concerne, en devenant président de région, à m'épargner toutes ces présences, ou en tout cas à éviter d'être absent partout. Je ne fais donc plus partie de la plupart des conseils d'administration au sein desquels je siégeais. J'ai fait des déclarations en ce sens auprès des autorités compétentes. Il faudra donc actualiser vos fiches.
Je reste, en revanche, un élu local : je suis premier adjoint au maire de la ville d'Épernay. Si j'étais confirmé dans les fonctions auxquelles je suis candidat à l'Afit France, je redeviendrais simple conseiller municipal. D'abord, mon successeur fait le travail en faisant preuve de beaucoup de qualités et il faudra ensuite que je libère un peu de temps pour mes nouvelles responsabilités, même si l'activité de l'Afit France n'est pas comparable à celle de l'Agence de la transition écologique (Ademe), par exemple, qui nécessite une présence au quotidien. L'Afit France n'est pas un organisme exécutif qui gère une administration importante et statue sur tous les sujets du quotidien dans le domaine des transports. J'adapterai néanmoins mon emploi du temps de façon à être présent à tous les rendez-vous importants pour l'Afit France et à tous ceux que nous pourrons avoir avec la représentation nationale, puisque je considère que l'Afit France doit être un interlocuteur régulier des commissions, notamment la vôtre. Quand on travaille sur les infrastructures de transport, j'imagine qu'on croise assez régulièrement les réflexions qui sont les vôtres.
M. Maquet a évoqué la succession des présidences, qui a effectivement été assez rapide. Je n'ai pas l'intention de faire un passage court à l'Afit France, même si vous me reverrez dans trois mois, puisque la fin du mandat précédent fait que je devrai représenter ma candidature.
La question du modèle de financement est centrale. Comment financera-t-on demain les infrastructures de transport ? On pense, à cet égard, aux concessions autoroutières et à la nouvelle taxe qui a été affectée à l'Afit France. Il est souhaitable que cette agence ait une certaine autonomie, qu'elle ne dépende pas du budget de l'État, comme c'est le cas depuis quelques exercices. Par ailleurs, l'Afit France a pu résorber intégralement son endettement, ce qui la rend beaucoup plus autonome. Il serait sans doute souhaitable que la part de TICPE ne soit pas trop flottante, c'est-à-dire qu'elle soit affectée d'une manière fixe pour que, même si cette taxe est sans doute appelée à décroître à moyen ou à long terme, l'Afit France ait la garantie de pouvoir financer, d'une manière quasi pluriannuelle, les infrastructures de transport. La trajectoire depuis 2022 est à la hausse, ce qui est plutôt rassurant, mais je pense qu'il faudrait que notre pays se dote de nouveaux outils de financement pérennes qui garantiront, quelles que soient les majorités et les ambitions du pouvoir, la remise à niveau de nos infrastructures, qui est aujourd'hui une vraie difficulté.
Vous avez également évoqué la question des territoires et des petites lignes. Ce qu'on appelle la desserte fine a été très directement victime d'un manque de financement, et nous avons aujourd'hui sur les bras la question du fret capillaire, par exemple pour les coopératives agricoles. Même s'il n'y a qu'un train par jour, voire par semaine, cela représente des milliers de camions sur les routes départementales. Nous devons donc veiller à la durabilité de ces infrastructures de transport. L'État y contribue, comme les régions, les départements et les communautés de communes, mais nous avons aussi besoin d'un horizon dégagé en la matière.
Nous avons la chance que le réseau ferré soit encore important et même exceptionnel dans notre pays, bien que des voies aient parfois été supprimées. Pour avoir auditionné, en tant que président de la commission mobilité de Régions de France – fonction à laquelle je renoncerai si je suis nommé à la tête de l'Afit France –, des porteurs de projets dans le cadre de l'appel lancé par l'Ademe en ce qui concerne les trains du futur, je crois beaucoup au développement de nouveaux modes de transport ferré. Je puis vous assurer qu'il existe dans plusieurs régions des réflexions très poussées sur des trains légers, décarbonés, fonctionnant grâce à des batteries et circulant sans difficulté à 100 ou 110 kilomètres heure – on n'a pas besoin d'aller plus vite dans le monde rural. Cela devrait permettre de faire revenir le train dans nos campagnes et nos espaces ruraux. Les coûts d'exploitation seraient infiniment moins importants qu'à l'heure actuelle et des transformations profondes de nos infrastructures de transport ne seraient pas nécessaires.
La présence de passages à niveau, encore assez nombreux, fait partie des handicaps auxquels se heurte la desserte fine du territoire : il faudrait théoriquement effacer ces passages à niveau, par des sauts-de-mouton. Grâce aux qualités propres à l'électricité, les trains du futur pourront ralentir et accélérer assez vite, ce qui leur permettra de passer au ralenti sur les passages à niveau : on évitera ainsi des coûts d'infrastructure extrêmement importants. Ces trains auront suffisamment d'autonomie pour circuler sur des lignes rurales qui ne sont pas souvent très longues mais nécessitent d'être desservies régulièrement.
Les coûts d'exploitation remettront le train au goût du jour. Je suis persuadé que nous verrons assez vite circuler les trains du futur : les premiers devraient être en service d'ici douze à quinze mois, de manière expérimentale, sans doute pour une durée de deux ans. Je souhaite, en tout cas ce sera le cas dans ma région, que de tels trains puissent rapidement retourner sur les voies dans les secteurs ruraux. Ce sera un message d'espoir pour notre ruralité, qui a eu le sentiment, très largement partagé, d'être abandonnée en matière de transport. J'ai tenu hier une réunion sur la ruralité à Bouxwiller, en Alsace : la première question portait sur les mobilités.
On ne peut pas condamner les territoires ruraux à utiliser la voiture. Ce que j'appelle le train du futur a toute sa place dans le paysage des infrastructures. Je souhaite faire en sorte, à l'Afit France, que l'on soutienne puissamment une vision de l'aménagement du territoire se traduisant par le retour du train dans nos campagnes.
Bruno Millienne s'est réjoui de la mise en place de la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance. La question de la TICPE se pose aussi : c'est aujourd'hui la ressource principale de l'Afit France – à hauteur de 2 milliards d'euros, grosso modo. Nous devrons, je l'ai dit, travailler très vite sur ces sujets, et je pense que le Parlement aura un rôle à jouer en assurant le financement pérenne des infrastructures de transport. À cet égard, l'effort budgétaire à réaliser est encore plus important que ce que l'on imagine en général : les chiffres du COI étaient de l'ordre de 175 milliards d'euros, me semble-t-il. Un premier objectif d'investissement, de 100 milliards d'euros, tous financements confondus, a été retenu par la Première ministre. Il faudra, pour l'atteindre, des moyens supplémentaires.
Qu'en est-il d'une éventuelle taxe sur les poids lourds ? La région Grand Est a souhaité, avec l'Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, que les routes nationales soient mises à sa disposition, tout en demandant à pouvoir prélever une écoredevance. Notre région a une particularité : elle compte 760 kilomètres de frontière avec quatre pays, qui pratiquent tous l'écotaxe. Cela signifie qu'une bonne partie des camions qui viennent chez nous – jusqu'à 80 % sur l'axe formé par l'A30 et l'A31 – viennent de territoires où ils ont payé l'écotaxe. Sur certains tronçons de l'A31, 80 % de la taxe, qui serait calculée en fonction de la norme thermique des camions, serait ainsi payée par des routiers étrangers. Il faut se saisir de cette source de financement.
Nous avons tous en tête ce qui s'est passé lors du mouvement des bonnets rouges, il y a une dizaine d'années : on avait alors voulu généraliser ce type de taxe, y compris dans des régions où le trafic des transporteurs étrangers n'était pas aussi important, et c'est de là qu'était partie la fronde. Je puis vous assurer, en revanche, que le transport transfrontalier est extrêmement important dans les Hauts-de-France et dans le Grand Est. Toutes les régions ne sont pas partantes à l'heure actuelle, mais nous souhaitons, pour notre part, mobiliser une écotaxe au service de la modernisation des infrastructures routières. Nous le ferons d'une façon différente de ce qu'on avait imaginé il y a dix ans, puisque l'infrastructure routière sera davantage sécurisée par des investissements et que le covoiturage et le transport de type cars express seront bénéficiaires : nous créerons des voies qui leur seront réservées sur l'A31. L'investissement dans la route ne va pas nécessairement à l'encontre de la neutralité carbone : ces deux dimensions peuvent être conciliées.
Le projet que nous avons conçu devrait voir le jour avec la mise à disposition officielle des routes nationales, à partir du 1er janvier 2025, et commencer à s'appliquer aux alentours de 2027 – il faudra un peu de temps pour que le dispositif soit prêt. Afin de ne pas pénaliser les transporteurs, nous prévoyons de les aider à verdir leur flotte, c'est-à-dire à passer à des motorisations – hydrogène ou autre – qui permettront aux véhicules d'avoir une empreinte carbone plus faible, ce qui signifie moins de taxes à payer. C'est une question que nous suivons avec les syndicats de transporteurs.
M. Petit a évoqué ce qu'il pense être mon opposition à une loi de programmation. Ce n'est pas du tout ma position. Seulement, si on me demande s'il faut tout de suite un texte de cette nature, j'ai tendance à être un peu prudent, parce que les infrastructures sont financées par l'État et les collectivités territoriales. Il est donc important d'établir une feuille de route commune. Une fois qu'elle aura vu le jour, une loi de programmation pourra graver dans le marbre, si je puis dire, l'investissement qui reviendra à l'État. Donner l'impression que ce dernier décide seul en matière d'infrastructures reviendrait à négliger les collectivités, alors qu'elles investissent, quelles qu'elles soient – dans des systèmes de circulation et de mobilités actives, comme le font les communes et les intercommunalités, dans des transports en commun, tels que les bus urbains et interurbains, mais aussi, en ce qui concerne les régions, dans des infrastructures ferroviaires.
Il importe d'avoir une visibilité partagée, région par région, de ce qu'il faudrait faire pour mettre notre pays à niveau dans le domaine des infrastructures. Une loi de programmation se justifiera ensuite. Si on commence par elle, je le répète, on donnera le sentiment que l'État décide seul, alors que la réalité commande de travailler avec les collectivités. Aucune, quelles que soient les sensibilités politiques, ne néglige la question des transports et des infrastructures. J'ai simplement émis une petite réserve, qui vise à ce qu'on ne considère pas les collectivités territoriales, dont je viens, comme quantité négligeable ou comme la cinquième roue du carrosse, alors que leur rôle est extrêmement important en la matière.
Je voudrais dire à M. Thiébaut que mon souhait est évidemment d'être attentif, en tant que président du conseil d'administration de l'Afit France, à toutes les formes de mobilité.
La notion de Serm a émergé dans le paysage il y a un an, à la suite de déclarations du Président de la République, et vous avez ensuite eu à l'examiner. Il se trouve que nous étions des précurseurs, puisque nous étions, en travaillant sur ce que nous avons appelé le « Reme », le réseau express métropolitain européen, en train de construire un Serm sans le savoir.
Notre ambition était d'accroître le nombre de trains autour de Strasbourg – et je ne parle pas de la banlieue, mais de territoires situés jusqu'à 45 kilomètres de distance et parfois davantage. L'offre de transport devait augmenter de 1 000 trains supplémentaires par semaine – 150 trains chaque jour de semaine, 120 le samedi, de mémoire, et 110 le dimanche. L'objectif est évidemment de fiabiliser une offre de transport qui ne concerne pas que le ferroviaire, mais aussi le tram, les cars express et les mobilités actives – Strasbourg est la ville de France où la part modale de ces dernières est la plus forte – en ayant un système intégré extrêmement performant.
On approche actuellement de 700 trains supplémentaires par semaine : c'est un demi-succès, parce que les premiers mois ont été un peu chaotiques. La SNCF a reconnu, lors du premier rendez-vous que j'ai eu avec elle après ma prise de fonctions, qu'elle avait très largement sous-estimé la difficulté, qui tient au fait qu'il faut trouver des conducteurs de train en nombre important, que faire le plein de motrices qui sont encore diesel nécessite des allers-retours qui prennent du temps, et que la gare de Strasbourg est sans doute trop petite désormais – c'est celle qui, en dehors des gares parisiennes, voit le plus de mouvements par semaine en France. Pour vous donner un ordre de grandeur, cela représente 50 % de mouvements de plus qu'à la gare de Bordeaux, qui est pourtant une ville de taille comparable.
Le défi des Serm est complexe, mais il s'agit sans aucun doute de la meilleure manière de réduire l'empreinte carbone des déplacements autour des métropoles. Il n'y a pas que ces dernières, néanmoins. Le transport transfrontalier est également important : 20 % des passagers de nos trains passent la frontière tous les jours. Nous modernisons donc sept lignes avec les pays voisins, essentiellement l'Allemagne et le Luxembourg. Par ailleurs, les dessertes fines du territoire sont indispensables : sinon, on acte définitivement le fossé entre les territoires urbains, bénéficiant des moyens de transport les plus modernes, et le monde de la ruralité. On ne peut pas ne pas envisager un avenir par la mobilité pour nos territoires ruraux – mais je ne reviens pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure.
Monsieur Iordanoff, le fret est effectivement une question essentielle, et il est assez désespérant de voir qu'il est à ce point en difficulté en France. Nous avons tous rêvé, il y a vingt-cinq ou trente ans, d'autoroutes ferroviaires transportant des camions du nord vers le sud de l'Europe, mais tout cela est resté lettre morte, faute d'investissements importants dans les infrastructures. Dans bon nombre de régions, la problématique du fret consiste à venir au secours d'une infrastructure totalement vétuste, mais qu'il faut absolument préserver parce qu'on ne peut imaginer des camions supplémentaires en nombre sur nos routes, dans la durée.
S'agissant des projets de liaison ferroviaire Lyon-Turin et d'autoroute A69, je ne crois pas que le rôle du président de l'Afit France soit de contester des décisions prises par les autorités publiques, confirmées par le Conseil d'État ou par un tribunal administratif, et dont l'utilité est considérée comme stratégique.
Il est vrai que toute création d'infrastructure consomme de l'espace ; je note néanmoins avec satisfaction qu'il est prévu, dans les décrets d'application de la loi du 20 juillet 2023 dite « ZAN », de ne pas tenir compte de l'empreinte des pistes cyclables. Je crois beaucoup au développement des mobilités actives, en particulier du vélo. J'ai pu constater, lors d'une rencontre récente en Belgique avec les représentants d'une trentaine d'agglomérations, que nous avons sans aucun doute des progrès à faire en matière d'infrastructures cyclables : alors que les conditions climatiques y sont moins favorables qu'en France, la part modale du vélo y atteint 30 % à 40 % dans certaines villes de 300 000 habitants, contre 2 % ou 2,5 % à Nice par exemple ! Selon moi, les blocages sont d'ordre culturel, parce qu'à une époque, nous avons cédé au tout-voiture, la voiture étant associée à la liberté de circulation. Ce faisant, nous avons occulté les atouts de la mobilité cyclable en matière de qualité de vie, de santé et de pouvoir d'achat. Je rejoins donc en partie vos remarques à ce sujet, monsieur Iordanoff.
L'adaptation de nos infrastructures de transport au changement climatique est, selon moi, une question essentielle. D'après le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), c'est la région Grand Est qui devrait subir à l'horizon 2050 les pics de canicule les plus élevés, jusqu'à 55 degrés Celsius. Or, à une telle température, l'ensemble des systèmes de transport se retrouveraient quasiment à l'arrêt pour des raisons diverses : on ne pourrait plus circuler en ville en raison de la détérioration de la qualité de l'air, les rails et les caténaires ne résisteraient pas et le niveau d'eau risquerait de devenir insuffisant pour le trafic des péniches sur les fleuves. Ainsi, la sécheresse de 2022 a réduit, parfois de moitié, le tonnage acceptable sur le Rhin. Dans une telle situation, il faut soit doubler le nombre de péniches, soit déporter le fret vers d'autres modes de transport – idéalement le train, mais parfois aussi le transport par camion, ce qui soulève une vraie difficulté.
La résilience des infrastructures mériterait de faire l'objet d'une loi de programmation ou, à tout le moins, d'être soutenue par une ambition nationale : alors que le changement climatique s'accélère, il ne faudrait pas que nos infrastructures soient mises à l'arrêt voire dévastées, comme elles l'ont été récemment dans le Pas-de-Calais. Nous devons évidemment mener ensemble une réflexion sur le sujet.
Guy Bricout m'a demandé enfin en quoi mon programme se distinguerait de celui de mes prédécesseurs. Il m'est difficile de répondre à cette question, d'abord parce que je n'ai pas suivi leur action au quotidien. Certains, comme Christophe Béchu et Patrice Vergriete, étaient élus à la tête de métropoles, lesquelles jouent un rôle important dans le financement des infrastructures de transport. D'autres étaient d'anciens présidents de région qui avaient quitté leurs fonctions, comme Gérard Longuet ou Philippe Duron. En proposant ma nomination alors que j'étais président de la commission mobilité, transports et infrastructures de Régions de France, le Président de la République a sans doute voulu adresser un signal aux régions, qui seront appelées à financer davantage les infrastructures à l'avenir. Ma candidature est cohérente avec l'objectif de l'Afit France, visant à susciter un dialogue entre élus de la nation, élus des territoires et services de l'État. Si je ne cherche pas à me distinguer de mes prédécesseurs, j'ai néanmoins ma propre personnalité et une certaine indépendance d'esprit. Sans doute aurai-je parfois le même discours qu'eux, parce que l'intérêt général le commande et parce que je partage leur avis sur la nécessité d'investir davantage et de sécuriser les financements de l'agence. J'espère que nous pourrons très vite évoquer ces sujets ensemble ; il vous appartiendra, en tant que parlementaires, de statuer sur l'évolution des modes de financement, un sujet crucial pour les dix années à venir.