Intervention de Christine Arrighi

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, députée, rapporteure :

Je souhaite exprimer mon profond regret de ne pas être aux côtés d'Angèle Préville pour vous présenter les conclusions de cette audition. Nous connaissons tous en effet sa grande implication sur ces sujets et son attachement sincère aux questions écologiques et environnementales.

La thématique des micropolluants de l'eau est particulièrement d'actualité. Un très grand nombre d'articles de presse lui ont été consacrés récemment. Par ailleurs, au sein de l'Assemblée nationale, le groupe écologiste, par l'intermédiaire du député de Gironde Nicolas Thierry, a engagé une action sur ce sujet : 14 députés, dont je faisais partie, se sont ainsi vus prélever une mèche de cheveux, dont l'analyse devait permettre de détecter la présence éventuelle de PFAS. Il apparaît que les membres de ce panel, dont les lieux de résidence et les âges sont différents, sont tous contaminés, dont certains à des degrés extrêmement importants qui tiennent probablement à leurs lieux de résidence actuels ou passés. En effet, parmi les sujets les plus contaminés figurent des personnes résidant dans les vallées chimiques du Rhône, mais aussi d'autres habitant dans des zones en principe protégées des PFAS, mais ayant passé leur enfance dans des endroits extrêmement pollués chimiquement. Cette analyse va se poursuivre par un tour de France des PFAS, afin de réaliser des tests similaires sur des habitants de nos circonscriptions et de les sensibiliser à cette question grave, qui concerne l'eau.

L'Office s'était intéressé en début d'année 2022 à la gestion quantitative de l'eau, dans le cadre d'une audition publique organisée avec la délégation sénatoriale à la prospective. Mais les pressions exercées sur l'eau sont également d'ordre qualitatif, en raison du très grand nombre de substances chimiques introduites dans l'environnement par les activités humaines. Les récents rapports de l'Office sur la pollution plastique ou l'impact de la chlordécone aux Antilles en témoignent parfaitement.

Le perfectionnement des techniques d'analyse chimique permet aujourd'hui de détecter des substances qualifiées de « micropolluants », présentes à de très faibles concentrations, mais susceptibles d'engendrer des effets néfastes sur les organismes vivants. En raison de la menace que ces composés représentent pour la santé et l'environnement, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a saisi l'Office pour lui demander d'étudier les enjeux associés à ces micropolluants.

Dans ce contexte, j'ai organisé avec ma collègue sénatrice Angèle Préville une audition publique consacrée à ce type de pollution et articulée autour de deux tables rondes : la première portait sur la surveillance mise en place à l'échelle nationale, la seconde sur les conséquences sur l'environnement et la santé humaine.

Les micropolluants de l'eau sont essentiellement d'origine anthropique. Ils concernent de très nombreuses substances et proviennent de produits variés tels que cosmétiques, médicaments, pesticides, utilisés dans divers secteurs d'activité (agricole, industriel, médical, domestique, etc.).

Une fraction de ces produits chimiques, dont la production a fortement augmenté au cours de la seconde moitié du XXe siècle et continue de croître, est rejetée dans les différents compartiments de l'environnement et converge vers les milieux aquatiques. La pollution résulte à la fois de rejets directs provenant de sources ponctuelles et identifiées, comme les installations industrielles et les stations de traitement des eaux usées, mais aussi de sources plus diffuses, comme le ruissellement et l'infiltration des eaux pluviales en milieu urbain et agricole. La typologie des micropolluants trouvés varie en fonction de ces sources. Alors que les rejets agricoles sont principalement constitués de résidus de produits phytosanitaires, les eaux usées domestiques contiennent majoritairement des résidus de médicaments.

Cette problématique est devenue mondiale : plusieurs études ont montré l'existence de micropolluants sur l'ensemble de la planète, y compris dans les endroits les plus reculés. On estime ainsi que la « cinquième limite planétaire », qui correspond à la quantité d'entités chimiques introduites dans l'environnement, est aujourd'hui dépassée, avec des conséquences écologiques considérables.

La surveillance des micropolluants est essentielle pour prévenir les conséquences néfastes qu'ils peuvent emporter. Ce fut l'objet de la première table ronde.

Nous disposons aujourd'hui de méthodes et d'instruments analytiques permettant de détecter et de quantifier des présences toujours plus faibles de polluants.

Pour autant, la surveillance des micropolluants continue à se heurter à plusieurs difficultés pratiques. La première repose sur le nombre de substances susceptibles d'être présentes dans l'environnement. En effet seule une fraction d'entre elles peut être suivie de manière routinière. Un travail de priorisation est donc nécessaire afin d'identifier les principales molécules à rechercher et quantifier. La surveillance des produits de dégradation des substances mises sur le marché pose également des difficultés car elle présuppose de connaître la structure chimique de ces molécules ; or cette dernière n'est pas toujours publique. Elle nécessite également de disposer de molécules étalons qui sont insuffisamment disponibles ou à des coûts prohibitifs. Enfin, le développement de méthodologies d'analyse adaptées, nécessaire pour certaines molécules particulièrement difficiles à détecter du fait de caractéristiques physico-chimiques spécifiques, représente une autre difficulté.

Les variations spatiales et temporelles des concentrations en micropolluants constituent également un obstacle. Des stratégies d'échantillonnage, c'est-à-dire la définition de modalités de collecte de données adaptées, sont donc nécessaires afin d'obtenir des résultats à la fois fiables et représentatifs des éventuelles pollutions.

En raison de ces écueils pratiques, l'intégration de nouveaux polluants dans les programmes de surveillance et de contrôle peut exiger de la part des laboratoires agréés une période de montée en compétences, nécessaire pour s'approprier pleinement les techniques d'analyse et obtenir des résultats fiables. Cela explique notamment pourquoi l'ajout des PFAS aux analyses sanitaires de l'eau de consommation ne sera rendu obligatoire qu'à partir de 2026.

Le dispositif de surveillance qui est en place repose sur deux piliers : le suivi des milieux aquatiques naturels et celui des eaux destinées à la consommation humaine. Pour les milieux aquatiques, la directive-cadre sur l'eau impose à l'ensemble des États membres la mise en œuvre de programmes de surveillance de l'ensemble des masses d'eau, superficielles et souterraines, et fixe des obligations de résultat. En 2019, 43,1 % des masses d'eau superficielles françaises étaient identifiées comme en bon état écologique (ce qui signifie en creux que 56,9 % ne l'étaient pas) et 44,7 % en bon état chimique (contre 55,3 % en mauvais état). 70,7 % des masses d'eau souterraines étaient par ailleurs reconnues comme étant en bon état chimique, ce qui fait que près de 30 % ne l'étaient pas.

À l'heure actuelle, la quasi-totalité des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux prévoient que l'objectif de « bon état » ne sera pas atteint pour la totalité des masses d'eau en 2027.

Le suivi de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est encadré par la directive « eau potable » et repose d'une part sur la surveillance par les personnes responsables de la production et de la distribution d'eau, d'autre part sur un contrôle sanitaire exercé par les Agences régionales de santé.

En 2021, 82,6 % de la population française étaient alimentés par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité réglementaires pour les pesticides. Pour la quasi-totalité de la population alimentée par une eau non conforme, les dépassements se sont avérés limités en concentration et dans le temps, ne nécessitant pas de restrictions de l'usage de l'eau du robinet.

La Direction générale de la santé s'emploie également à rechercher de nouvelles pollutions, en confiant au laboratoire d'hydrologie de l'Anses la réalisation de campagnes nationales exploratoires de recherche de « micropolluants émergents » dans les eaux brutes et distribuées. Les résultats obtenus permettent de faire évoluer les contrôles sanitaires. Dans le cadre du système d'information sur l'eau, un effort est effectué pour mettre à disposition des citoyens l'ensemble des résultats des analyses, par l'intermédiaire de diverses plateformes.

L'eau étant à la fois une ressource pour l'être humain et un milieu de vie pour une multitude d'espèces, sa contamination est susceptible d'entraîner des conséquences tant pour la santé humaine que pour l'environnement.

La seconde table ronde, consacrée à cette thématique, a mis en exergue le fait que l'évaluation de ces impacts sanitaires et environnementaux se heurtait à un état des connaissances très parcellaire. Bien qu'essentielles pour évaluer les risques associés aux micropolluants, les données toxicologiques font souvent défaut. Ainsi, le règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques (REACH) prévoit que les analyses de toxicité ne concernent que les substances produites ou importées en quantité supérieure à une tonne par an, excluant de fait un nombre élevé de composés.

Ces données sont par ailleurs souvent incomplètes car les systèmes d'évaluation ne peuvent prendre en compte la totalité des impacts éventuels. Ainsi, j'ai été particulièrement surprise d'apprendre lors de l'audition que les « effets cocktail » résultant de l'exposition à des mélanges chimiques, tout comme les conséquences des expositions chroniques, n'étaient que rarement pris en considération.

Enfin, même lorsque les données existent, leur non mise à disposition par les industriels ou les très grandes difficultés rencontrées par les scientifiques pour y avoir accès limitent souvent les possibilités d'évaluation des risques environnementaux et sanitaires liés aux différentes substances.

Face à ces difficultés, les méthodes de biosurveillance, qui quantifient les effets sur le vivant à différents niveaux d'organisation biologique et tiennent compte de l'ensemble des contaminants présents et de leurs éventuelles interactions, offrent une perspective intéressante, pour ne pas dire impérieuse, en tant qu'outils complémentaires à l'analyse chimique.

Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les systèmes écosystémiques (IPBES), la pollution est le quatrième facteur de déclin de la biodiversité. Le dérèglement climatique pourrait aggraver la situation et rendre les espèces encore plus vulnérables aux pollutions chimiques, en raison de facteurs de stress liés aux changements de température, de salinité, etc.

Les micropolluants, par définition faiblement concentrés, n'engendrent généralement pas de mortalité massive de la faune et de la flore, mais génèrent de nombreux effets sublétaux de natures très diverses, susceptibles d'avoir des conséquences importantes au niveau populationnel. À titre d'exemple, la féminisation des poissons mâles engendrée par certains perturbateurs endocriniens impacte la reproduction et peut entraîner le déclin de communautés. Signalons également le cas des PFAS et des microplastiques. Je rappelle qu'un excellent rapport, dont Angèle Préville était co-rapporteure, a été produit par l'Office sur ce dernier sujet.

Si tous les impacts associés à ces polluants sont encore mal connus, plusieurs études font état d'effets particulièrement nocifs. En raison de la multitude de substances concernées et de la variété des mécanismes susceptibles d'être impliqués, le niveau d'incidence global des micropolluants sur la biodiversité n'est à ce jour pas clairement établi. Des études complémentaires, dotées de moyens suffisants, sont donc nécessaires pour mieux évaluer et ainsi mieux prévenir l'ensemble de ces effets.

Parallèlement, les micropolluants de l'eau sont susceptibles d'engendrer diverses conséquences en termes de santé humaine. L'alimentation, incluant l'eau de boisson, constitue généralement la principale voie d'exposition à ces éléments. En raison de l'accumulation de certaines de ces substances tout au long de la chaîne alimentaire, les humains peuvent être exposés à des doses relativement élevées et subir des impacts variés. Un nombre croissant d'études épidémiologiques montre par exemple une association entre l'exposition environnementale aux perturbateurs endocriniens et diverses pathologies chez l'humain.

Par ailleurs, les effets des micropolluants sur la biodiversité peuvent avoir des conséquences indirectes sur la santé humaine. Ainsi, les résidus d'antibiotiques rejetés dans l'environnement créent une pression de sélection sur les populations bactériennes et entraînent l'apparition de souches résistantes, faisant peser une importante menace sur la santé mondiale.

En conséquence, une meilleure prise en compte de l'exposome et l'adoption d'une approche « Une seule santé » (One Health) sont essentielles pour saisir pleinement l'ensemble des risques sanitaires liés aux micropolluants.

En conclusion, il faut retenir que les micropolluants regroupent un grand nombre de substances provenant de l'ensemble des activités humaines et sont présents dans une part importante des milieux aquatiques.

Au cours des dernières années, les progrès techniques réalisés et les campagnes de surveillance mises en place ont permis de lever le voile sur cette pollution, jusqu'alors invisible. Cependant, le nombre de molécules potentiellement dangereuses excède largement les capacités d'analyse actuelles. Si prétendre à l'exhaustivité ne paraît ni souhaitable ni envisageable, la lutte contre ce type de pollution ne peut passer que par une meilleure caractérisation et quantification des substances concernées. Ainsi, le développement des capacités d'analyse et le perfectionnement des méthodes utilisées paraissent prioritaires. À ce titre, les méthodes innovantes de biosurveillance permettant notamment d'appréhender les effets mélanges doivent être mobilisées.

Du fait de données toxicologiques insuffisantes et faiblement disponibles, de mécanismes nombreux et d'interactions complexes, les connaissances relatives aux impacts de cette pollution, que ce soit sur l'environnement ou la santé humaine, souffrent d'importantes lacunes. Il conviendra donc de poursuivre les recherches, afin de prioriser efficacement les substances pertinentes à suivre et ainsi protéger au mieux les humains, la faune et la flore.

Pour lutter contre cette pollution, la réduction des émissions à la source, plus économique, plus facile à mettre en œuvre et plus efficace que les solutions de traitement, doit être privilégiée. La sensibilisation et l'accompagnement de l'ensemble des usagers de produits chimiques, particuliers comme professionnels, semblent absolument nécessaires pour changer les comportements et aller vers des pratiques et des usages plus sobres et écologiques.

Cette orientation, déjà mise en avant par le Plan national micropolluants 2016-2021, est au cœur du quatrième Plan national santé-environnement (PNSE) présenté par le Gouvernement en 2021. On peut toutefois regretter que malgré cette volonté et en dépit des objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement en 2008-2009 et les plans Écophyto successifs, l'indice d'utilisation des produits phytopharmaceutiques agricoles ait augmenté de près de 8 % entre 2009 et 2021.

Les actions de réduction à la source pouvant nécessiter de nombreuses années avant de produire leurs effets, l'utilisation de solutions de traitement doit également être considérée dans les cas où des sources ponctuelles de pollution sont identifiées.

J'en viens à présent aux recommandations que je vous propose de formuler dans ce rapport :

- Créer, à l'image du GIEC et de l'IPBES, une plateforme scientifique internationale sur la thématique des pollutions chimiques, afin d'encourager une action concertée à l'échelle mondiale ;

- Poursuivre, amplifier et affiner la surveillance des micropolluants de l'eau, intensifier la recherche et le recours aux outils de détection innovants, issus notamment des méthodes biologiques ;

- Mieux encadrer l'autorisation des substances chimiques, par exemple en renforçant les exigences de fourniture de données, dans le but de prévenir les risques liés aux micropolluants et d'inciter les producteurs à l'écoconception ;

- Sensibiliser et accompagner les usagers de produits chimiques, du grand public aux communautés professionnelles, vers des pratiques et des usages plus écologiques, afin d'aboutir à une gestion raisonnée de ces produits, dans une démarche de réduction des émissions à la source ;

- Lorsque les sources ponctuelles de pollution sont identifiées et en complément des solutions de réduction des émissions à la source, mettre en place des techniques de traitement adaptées aux micropolluants pour limiter leur transfert ;

- Demander au Gouvernement que le prochain Plan national micropolluants soit rapidement établi et suffisamment ambitieux pour faire face au défi de l'accroissement des pollutions ;

- Décider que l'Office effectuera un suivi régulier de cette thématique majeure pour la santé et l'environnement.

Je vous remercie de votre attention.

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