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Intervention de Christine Arrighi

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, députée, rapporteure :

Monsieur le président, chers et chères collègues, lorsque j'ai découvert voici quelques mois que mon nom était proposé par l'OPECST pour travailler sur le thème de la météorologie de l'espace, j'avoue avoir été quelque peu interrogative puisque j'ignorais tout du sujet.

C'est en interrogeant des scientifiques, notamment au Centre national d'études spatiales (CNES) à Toulouse, que j'ai pu prendre conscience de l'immensité du sujet. Je tiens par conséquent à remercier en préambule l'ensemble des experts que nous avons auditionnés et qui nous ont éclairés sur les enjeux de cette discipline.

Ce n'est pas la première fois que l'Office consacre une note scientifique à l'espace. Nous nous sommes en effet déjà penchés sur le sujet des lanceurs spatiaux réutilisables, ainsi que sur celui des satellites et de leurs applications. Jean-Luc Fugit et Ludovic Haye engagent par ailleurs un travail sur le problème des débris spatiaux.

L'espace a définitivement cessé d'appartenir au domaine des sujets purement spéculatifs ; il en va de même pour la météorologie de l'espace. Il y a un millénaire, l'observation des taches solaires ne passionnait qu'une poignée d'astronomes chinois, prêts à mettre pour cela leur cornée en péril. Aujourd'hui, les esprits contemplatifs ne sont plus les seuls à s'intéresser à la physique solaire et à son éventuel impact sur l'environnement. Entre-temps, notre quotidien a en effet été envahi par des appareils dont le fonctionnement repose sur les communications satellitaires, tandis que les réseaux de transport et de distribution d'électricité se sont développés pour atteindre des dimensions inégalées. Peut-être réalisons-nous ainsi la prophétie de Descartes imaginant l'homme « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Il ignorait alors que ce désir de possession nous conduirait à détruire notre environnement, nous rendant de ce fait plus vulnérables.

Pendant longtemps, les aurores boréales ont été les seuls phénomènes relevant de la météorologie de l'espace à être perçus et enregistrés par les humains. Elles résultent d'éruptions solaires si violentes qu'elles dégagent dans l'espace interplanétaire des particules énergétiques qui pénètrent ensuite dans la magnétosphère, puis dans l'ionosphère terrestre, y induisant des orages magnétiques.

Avec la Révolution industrielle et les développements technologiques ultérieurs, ce phénomène a cessé d'être seulement une joie pour l'œil. Les conséquences néfastes de ces éruptions ont été perçues pour la première fois aux États-Unis en 1859. Cette année-là, à la fin de l'été, une éruption solaire de grande ampleur produisit de très nombreuses aurores polaires visibles jusque dans certaines régions tropicales, aux Caraïbes par exemple. Le réseau de télégraphes électriques fut lui aussi fortement perturbé. On rapporte même que des stations fonctionnant sur batteries auraient continué à fonctionner sans cette source d'alimentation.

On estime que les premières tentatives d'analyse de cet épisode qualifié d'« évènement de Carrington » marquèrent les balbutiements de la météorologie de l'espace en tant que discipline cherchant à comprendre l'influence du soleil sur l'environnement magnétique terrestre.

La France a traditionnellement l'honneur de jouer un rôle important dans le développement et les progrès de cette discipline désormais bien établie. Au niveau mondial, tous les météorologues de l'espace travaillent aujourd'hui à la compréhension de ces phénomènes, en s'appuyant sur la recherche fondamentale en physique solaire pour s'intéresser aux milieux allant du cœur solaire à la croûte terrestre, ainsi qu'à leurs interactions. Sur le plan humain, les progrès de la météorologie de l'espace reposent sur une coopération internationale approfondie entre les spécialistes de différents milieux.

Vous voyez à l'écran le croquis reproduit en page 2 de la note, qui montre l'impact que peut avoir un orage magnétique sur les activités humaines. Ces conséquences potentielles seront d'autant plus importantes à l'avenir que les technologies développées actuellement, en faisant le choix d'un abandon progressif du recours aux énergies fossiles, vont donner une place croissante à l'électricité. Le flux de particules de haute énergie lié à l'activité du soleil et de la magnétosphère peut par exemple accélérer le vieillissement de l'électronique embarquée dans les satellites, provoquer des erreurs informatiques ou réduire la puissance des panneaux solaires qui les alimentent en énergie. Des « bouffées » d'ondes radio émises par le soleil peuvent même perturber les radars de surveillance aérienne.

L'ère technologique fait donc naître le besoin d'une prise en compte de risques nouveaux. Aussi cherche-t-on aujourd'hui à développer une capacité de prévision de ces phénomènes. En quelques décennies, l'horizon de prévisibilité de la météorologie terrestre s'est étendu d'un jour tous les dix ans. Il faut souhaiter que la météorologie de l'espace connaisse une évolution similaire.

L'essor de la science météorologique s'est appuyé sur la compréhension des phénomènes physiques sous-jacents, les observations faites au sol et depuis l'espace, et les progrès de la modélisation. Lentement, mais sûrement, la météorologie de l'espace semble engagée sur la même voie.

Ainsi, un pas important a été effectué en 1995 avec la mission SoHo, menée conjointement par l'Agence spatiale européenne (ESA) et la Nasa, le satellite lancé dans ce cadre étant dédié à l'étude de la structure interne du soleil, de la couronne et du vent solaires.

La mission Solar Orbiter met désormais à disposition des scientifiques un satellite placé en rotation synchrone autour du soleil. Développé avec une participation de la Nasa et lancé en 2020, cet orbiteur de l'Agence spatiale européenne vise à étudier les processus à l'origine du vent solaire, du champ magnétique héliosphérique, des particules solaires énergétiques, des perturbations interplanétaires transitoires et du champ magnétique du soleil. Vous imaginez la difficulté de l'entreprise et l'ampleur des connaissances scientifiques nécessaires pour parvenir à décrypter l'ensemble de ces phénomènes.

Enfin, la mission Parker Solar Probe de la Nasa a, pour la première fois, recueilli en décembre 2021 des particules de la haute atmosphère du soleil. Elle a plus largement pour but de retracer les flux énergétiques et d'étudier les modalités du réchauffement de la couronne solaire, pour mieux comprendre les causes de l'accélération du vent solaire.

Les efforts concernent également l'amélioration des connaissances sur l'environnement terrestre proche et la modélisation. Les chercheurs réfléchissent déjà à des balises qui seraient placées dans l'espace pour mesurer le système en de multiples points, fournissant des données capables de contraindre les modèles actuels. Ils s'inspirent des modèles scientifiques de la météorologie terrestre pour construire des plans de déploiement de constellations de satellites qui permettront de fournir des données en temps réel, dans plusieurs points de l'espace, afin d'affiner les modèles.

Dans le cadre d'un programme de l'ESA, le projet RB-FAN (Radiation Belt Forecast and Nowcast) vise à fournir en temps quasi réel (nowcast) et à un horizon de trois jours (forecast) l'état des ceintures de radiation terrestres.

Dans un domaine marqué par une forte coopération internationale, la France doit garder son rang. Elle est impliquée de manière significative dans toutes ces grandes missions. Les acteurs français s'organisent pour prendre part à la construction d'une offre de services de météorologie de l'espace. Le site internet Sievert permet ainsi déjà à l'aviation civile et au grand public d'évaluer la dose de rayonnement reçue lors d'un vol. Des démonstrateurs de services de météorologie de l'espace ont également été mis en place.

Les prévisions ont une utilité évidente pour les gestionnaires de satellites civils, les communications et les réseaux terrestres, mais l'analyse des perturbations de la météorologie de l'espace a aussi une portée militaire. Si des satellites se trouvent exposés à des particules ionisantes susceptibles de les détériorer ou si les communications hertziennes sont perturbées, les données recueillies doivent permettre de déterminer si la perturbation est imputable à un événement solaire ou à une agression telle qu'un brouillage, un éblouissement, une irradiation induite, etc.

Sur un plan opérationnel, l'Organisation française pour la recherche applicative en météorologie de l'espace (OFRAME) entend répondre de manière efficace et structurée aux sollicitations du monde académique, aux organismes publics et aux industriels. Elle est très impliquée dans l'organisation de réunions-clés, dont la European Space Weather Week, qui se tiendra à Toulouse la semaine du 20 novembre 2023.

Les travaux de l'Office y seront à l'honneur, puisque j'ai été conviée à prononcer une brève allocution lors de la matinée inaugurale de ce colloque. Si nous nous intéressons ici aux sujets scientifiques, les attentes du monde scientifique à notre endroit ne sont pas moins grandes. Devant ce parterre d'ingénieurs et de chercheurs du monde entier, je compte, sur la base du tableau que je viens de brosser, présenter notre vision de cette problématique, ainsi que les enjeux en présence et les actions que nous estimons souhaitables de développer tant au niveau national que dans le cadre européen et international.

Si, au cours de l'échange qui va suivre, vous souhaitez formuler des recommandations ou des vœux, je serai très heureuse de les recueillir et de les transmettre directement dans dix jours à qui de droit.

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