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Intervention de Thibault Bazin

Réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThibault Bazin, rapporteur :

« Nous vivons une triple crise de l'immobilier : une crise de l'offre de logements, une crise de la demande de logements, et une crise de l'accès au logement. » Ces mots, recueillis par L'Express le 26 novembre dernier, ne sont ni les miens, ni ceux du président de la commission des affaires économiques, ni ceux des professionnels de la filière : ce sont ceux du ministre chargé du logement.

Nous connaissons les raisons de cette crise, parmi lesquelles l'augmentation rapide des taux d'intérêt, passés de moins de 1 % en décembre 2021 à près de 4 % en octobre 2023. La baisse du pouvoir d'achat immobilier qui en résulte est à mettre en miroir avec les prix qui baissent peu, notamment dans le neuf, qui subit la hausse du coût des matériaux, le niveau élevé des prix du foncier, ainsi que les surcoûts liés à l'instauration incessante de nouvelles normes. À cette crise de la demande, s'ajoute une crise de l'offre plus structurelle, due à la mise en œuvre de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) dans les territoires et à la densification moins bien acceptée dans les centres urbains.

Cet affaissement du marché de la vente, notamment pour le neuf qui est pourtant le plus performant du point de vue énergétique, a des conséquences en cascade sur le marché de la location. Nos étudiants et nos jeunes actifs ne trouvent plus d'appartements à louer. Les files d'attente pour obtenir un logement social ne cessent d'augmenter. Les propriétaires, inquiets face au risque de ne plus pouvoir louer leur logement en raison du calendrier de mise en œuvre des critères de décence énergétique, sont de plus en plus nombreux à jeter l'éponge.

Le diagnostic est posé et nous sommes tous conscients de cette réalité. Mais dans ce cas, comment comprendre que les principales mesures du Gouvernement ne font qu'aggraver la crise ? Comment comprendre l'extinction programmée du dispositif Pinel, accusé de tous les maux, alors que la crise du neuf s'explique pour une majeure partie par la disparition des investisseurs particuliers ? Comment comprendre le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) et la fin de l'éligibilité des maisons individuelles pour le neuf qui excluront des centaines de milliers de ménages dans les zones rurales et périurbaines ? Cela conduira selon les prévisions de la SGFGAS, Société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété, à une émission de seulement 40 000 prêts en 2024, contre 122 000 en 2017. Comment comprendre que le Gouvernement refuse le rétablissement des aides personnelles au logement pour l'accession, pourtant soutenu majoritairement par notre assemblée ? Comment comprendre que le Gouvernement maintienne un calendrier d'application des critères de décence énergétique alors que les propriétaires, notamment dans les copropriétés, sont dans l'impossibilité d'effectuer des travaux de rénovation et que le marché locatif n'a jamais été aussi tendu ?

Mes chers collègues, cette proposition de loi (PPL) propose un chemin diamétralement opposé à celui proposé par le Gouvernement : en temps de crise, on soutient un secteur, on ne l'enfonce pas. On n'adopte pas des mesures procycliques qui aggravent la crise. Il ne s'agit pas seulement de soutenir des entreprises du bâtiment, dans la promotion, dans les études notariales ou dans les agences immobilières – quoique plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'emplois soient en jeu – mais, plus fondamentalement, de répondre aux aspirations légitimes et fondamentales des Français dont le parcours résidentiel a été interrompu brutalement. Dans ce contexte, ma PPL n'a pas vocation à transformer la politique du logement de fond en comble, alors qu'un projet de loi est annoncé en 2024. Elle vise à apporter des solutions de court terme, afin de ne pas voir s'effondrer tout un secteur et anéantir les espérances des Français qui veulent pouvoir se loger facilement et, pour certains d'entre eux, accéder à la propriété.

Faciliter les opérations de rénovation, fluidifier le marché locatif, favoriser la construction et l'achat de logements : voilà plusieurs mesures d'urgence. J'espère que nous en retiendrons certaines.

Les trois premiers articles de ma PPL ont trait à la rénovation énergétique.

L'article 1er part d'un présupposé simple : les copropriétés ne parviendront pas à respecter le calendrier fixé par la loi Climat et résilience. On en connaît les raisons : des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) illisibles et insuffisantes pour les copropriétés, le fonctionnement propre des copropriétés qui induit un certain temps pour effectuer les travaux, l'absence de solidarité entre copropriétaires qui n'ont pas tous la même classe de performance énergétique. De deux choses l'une : soit on fonce dans le mur, et des dizaines de milliers de logements sortiront du marché locatif à partir du 1er janvier 2025, en attendant qu'ils soient rachetés par des fonds d'investissement – j'ai l'impression que c'est ce que souhaite le Gouvernement ; soit on abandonne toute ambition en matière de rénovation énergétique.

En proposant de suspendre le caractère d'indécence énergétique en cas d'adoption d'un plan pluriannuel de travaux (PPT) suffisamment performant, nous pouvons faire le choix de l'ambition et du réalisme. Les propriétaires doivent s'engager dans un calendrier de rénovation, mais il faut leur donner du temps. J'entends déjà certains dire que ce n'est pas assez exigeant, que l'adoption d'un PPT n'entraîne pas nécessairement la réalisation des travaux. Je ferai remarquer que les copropriétaires sont tenus de financer les travaux prévus par le PPT par un fonds de travaux, lorsqu'un PPT est adopté. Se doter d'un PPT, c'est donc se doter d'un plan de financement pour mener à bien des travaux complexes. Libre à vous, chers collègues, de renforcer le dispositif s'il le faut. Le tout est de donner un temps suffisant.

L'article 2 propose de repousser à 2030 l'application du calendrier de rénovation énergétique. Là encore, il ne s'agit pas de repousser pour repousser, mais de prendre acte de la situation actuelle, au-delà de la seule situation des copropriétés. Rien n'est fait pour que les propriétaires puissent engager sereinement des travaux de rénovation. Le système d'aide de l'Anah est illisible et l'Agence connaît des difficultés récurrentes de gestion. La fraude de faux artisans fait la une des journaux. Les diagnostics de performance énergétique (DPE) ne sont pas fiables. Rien ne garantit la classe énergétique du logement une fois les travaux effectués. Les entreprises ayant le label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) sont peu nombreuses. Ce sont autant de problèmes auxquels il faut s'atteler avant d'exiger l'impossible pour les propriétaires.

Par ailleurs, je remarque la tendance typiquement française à la surtransposition. La première échéance de nos engagements dans le cadre des objectifs européens est 2030 : pourquoi imposer à nos concitoyens une échéance préalable, alors que rien ne l'exige ?

L'article 3 propose l'instauration d'un crédit d'impôt sur les dépenses de rénovation énergétique. Il souligne l'insuffisance des aides de l'Anah et leur caractère illisible.

J'en viens au titre II, qui vise à fluidifier le marché locatif.

L'article 4 permet de revenir sur la loi de 1948. Même si les cas sont peu nombreux, des familles sont présentes depuis plusieurs dizaines d'années dans un même logement en se transmettant de génération en génération le droit de maintien dans les lieux, pour un loyer totalement dérisoire. Cette situation inique envers les propriétaires doit être corrigée, d'autant qu'elle empêche souvent d'effectuer des travaux de rénovation énergétique ambitieux, qui ne peuvent se faire qu'avec des revenus locatifs suffisants et dans un logement vide.

L'article 5 est un article de simplification qui permet d'harmoniser les règles de prolongation du bail en cas de mise en copropriété, avec le droit commun qui s'applique au locataire en cas de vente du logement dans lequel il habite.

Le titre III, enfin, concentre les principaux dispositifs de la PPL.

L'article 6 propose d'instaurer un crédit d'impôt sur les annuités des emprunts immobiliers des logements neufs soumis à la réglementation environnementale 2020 (RE2020), afin de soutenir non seulement les contribuables, mais aussi les professionnels du logement. Si le dispositif n'est ouvert que pour une année, son coût sera limité et, surtout, compensé par les recettes fiscales générées par les ventes supplémentaires. Encore plus économe, l'article 7 vise à exonérer de frais notaires les premières transmissions à titre gratuit – donation ou héritage – d'un logement acheté de l'automne 2023 à la fin de l'année 2024. À court terme, les recettes fiscales augmentent avec l'achat de logements neufs. La dépense ne se matérialise souvent que des dizaines d'années plus tard, au moment de la transmission du bien – si l'on y pense encore. C'est une mesure très efficace pour relancer la vente de logements neufs, qui est en train de s'effondrer, et dont le coût est très faible.

L'article 8 propose deux mesures : le dézonage du PTZ et l'indexation de ses paramètres. Cela va dans le sens inverse du détricotage proposé par le Gouvernement. En excluant les zones dites détendues du PTZ dans le neuf et les maisons individuelles, le Gouvernement souhaite une baisse importante du nombre de prêts émis. Disons la vérité : les effets de manche de la communication gouvernementale ne trompent personne ! La majorité souhaite tout simplement réduire à portion de congrue le nombre de PTZ, avec moins de 40 000 prêts émis en 2024, selon les prévisions qui nous ont été transmises. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, plus de 350 000 prêts avaient été émis en 2011. À l'époque, on pouvait parler d'une ambition pour l'accession à la propriété.

L'article 9 propose de prolonger jusqu'en 2027 le dispositif Denormandie. S'il devrait sans doute être simplifié compte tenu du faible nombre de projets menés chaque année, la finalité est la bonne puisqu'il s'agit de rénover un bien existant. Je regrette, encore une fois, le manque de transparence du Gouvernement qui a refusé de nous transmettre le rapport d'évaluation du dispositif, lequel devait être communiqué au Parlement avant le 30 septembre. Ce rapport existe, pourtant, j'en ai eu confirmation. Pouvez-vous appuyer cette demande, Monsieur le président ?

L'article 10 propose de généraliser l'expérimentation du « Pinel breton », dont tous les acteurs s'accordent à souligner la réussite. Tous ! Laisser la possibilité aux préfets de région, en accord avec les élus locaux, de choisir les territoires éligibles permet de maximiser le niveau de construction de logements en luttant contre l'étalement urbain, tout en proposant des loyers moins élevés aux locataires. L'évaluation de mi-parcours transmise au Parlement en 2022 est claire. Le « Pinel breton » constitue un vrai succès. Alors que le ministre chargé du logement ne cesse d'appeler de ses vœux une décentralisation de la politique du logement – encore hier soir –, n'allons pas chercher très loin. Nous avons là un outil qui fonctionne. La déconcentration du dispositif Pinel constitue une mesure de bon sens, qui a fait ses preuves.

L'article 11 propose de rétablir les taux du « Pinel » en vigueur jusqu'en 2022. La baisse de 30 % du nombre de ventes de logements neufs reflète une baisse bien plus importante du nombre de ventes aux investisseurs particuliers – celle-ci est de 50 %. Les taux proposés ne sont plus incitatifs. Et surtout, le « Pinel + » censé maintenir les taux précédents pour les constructions les plus performantes du point de vue énergétique n'est pas du tout opérant. Le respect de la RE2020 dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2025 ne permet pas nécessairement d'atteindre la classe de performance énergétique « A », condition nécessaire pour bénéficier des taux bonifiés du « Pinel + ». Résultat, aucun promoteur ne souhaite commercialiser des logements dans l'incertitude du DPE qui sera réalisé au moment de la livraison du logement, c'est trop risqué. C'est un flop !

Le dernier article, l'article 12, permet de rétablir les APL accession. Des amendements ont été adoptés à plusieurs reprises, lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF), pour les rétablir. Nous pouvons nous retrouver, sur les bancs de cette commission : les ménages modestes qui travaillent mais ne gagnent pas de très hauts revenus ne doivent pas être exclus de la propriété. La suppression des APL accession en 2018 a été une grande erreur de cette majorité. La part des ménages modestes au sein des primo-accédants n'a pas cessé de baisser depuis quatre ans, selon la Banque de France. Il n'est pas trop tard pour s'en rendre compte.

J'espère que nombre des mesures proposées seront retenues par la commission.

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