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Intervention de le lieutenant-colonel Yves Lamaty

Réunion du mardi 14 novembre 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

le lieutenant-colonel Yves Lamaty, commissaire militaire aux chemins de fer :

La commission centrale fer, dont je suis le chef, est au sommet de l'organisation des chemins de fer militaires. Je commencerai par mentionner quelques éléments qui démontrent le caractère très particulier de nos circulations. Nous transportons deux types de fret : d'abord des véhicules souvent très imposants, ce qui nécessite des avis de transport exceptionnel et rend difficile l'attribution de sillons. Un train de chars Leclerc, par exemple, ne peut pas croiser un autre train en raison de sa largeur ; cela implique que la SNCF prenne des dispositions particulières pendant tout son acheminement. Le deuxième type de fret que nous transportons le plus fréquemment est constitué par les conteneurs, dans lesquels on trouve de plus en plus souvent des munitions ; celles-ci étant des matières dangereuses, des gabarits de sécurité et une organisation particulière sont nécessaires.

L'une de nos spécificités par rapport aux autres chargeurs tient au fait que, dans l'année, nous ne faisons jamais voyager deux fois le même train. Contrairement à un céréalier qui demande le transport de la même quantité de céréales entre les deux mêmes gares le même jour, à la même heure, nos circulations se caractérisent par des changements permanents – gare de départ, gare d'arrivée, nombre de wagons ou encore matériel transporté – qui impliquent des avis de transport exceptionnel différents. Cette horlogerie complexe alourdit la charge de travail de la SNCF, qui doit en plus faire appel à des agents plus qualifiés pour ces trains.

Nos circulations se caractérisent aussi parfois par leur imprévisibilité, liée au contexte géopolitique. Au début de la crise à Gaza, nous avons envisagé qu'un train Vannes-Toulon achemine deux régiments basés à Poitiers et à Vannes afin qu'ils puissent embarquer. Les délais trop courts ne nous ont pas permis de le faire, mais cela montre la grande réactivité que nous attendons de notre partenaire ferroviaire. Une convention des transports ferroviaires urgents, signée entre le ministère des armées et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de tutelle de la SNCF, nous permet heureusement d'obtenir des sillons dans un délai de soixante-douze à cent vingt heures : sur demande du général Poulette, le ministère de la transition écologique requiert de la SNCF qu'elle donne la priorité à nos trains, sans compensation de l'État pour les chargeurs dont les trains auraient été supprimés ou retardés.

Depuis le début de l'année, il a été recouru trois fois à cette convention : d'abord, pour un train à destination de la Roumanie qui s'était trouvé bloqué en raison de travaux ; une deuxième fois à l'occasion du défilé du 14 juillet, car SNCF Réseau ne pouvait acheminer les chars Leclerc que le 15 ; cet été enfin, pour préparer l'envoi d'un bataillon supplémentaire au Niger – qui n'a finalement pas eu lieu. Cette convention fonctionne très bien, et les armées en ont besoin.

Pour réaliser un train militaire, plusieurs savoir-faire militaires doivent être associés. Le premier pilier sur lequel nous nous appuyons est celui des infrastructures. Des véhicules au gabarit imposant ne peuvent être chargés dans des gares classiques : des infrastructures adéquates sont nécessaires. Pour cela, SNCF Réseau met à notre disposition une centaine de sites répartis dans toute la France. Nous avons également trente-cinq installations terminales embranchées (ITE) dans nos emprises, surtout dans les camps. Notre maillage territorial est organisé de telle sorte que toutes nos entités soient à moins de 50 kilomètres d'un point de chargement : nous leur facilitons ainsi la tâche et les incitons à utiliser le transport ferroviaire.

Le matériel constitue le deuxième pilier. Le ministère des armées possède en propre environ cinq cents wagons. Deux cents d'entre eux sont surbaissés, pour permettre le transport de tous les nouveaux véhicules de la gamme Scorpion – les Griffon, Jaguar et Serval – en évitant les avis de transport exceptionnel ; cent cinquante autres ont été spécialement conçus pour transporter des chars Leclerc ; une centaine transporte des conteneurs ; un certain nombre doit faire l'objet d'un retrait de service ; enfin, une rame opérationnelle, détenue par le 19e régiment du génie, est capable de réaliser des travaux ferroviaires partout en France. Pour faire face aux nouvelles missions qui pourraient nous être confiées, nous allons la faire passer aux ateliers afin de la rendre apte à la circulation à l'étranger. Dans le cadre de notre contrat, Fret SNCF nous fournit aussi deux cent vingt wagons plats, surtout destinés à transporter de petits véhicules. Le total a beau atteindre sept cents wagons environ, un deuxième contrat de location nous permet de louer quelques wagons supplémentaires, en particulier surbaissés. Enfin, la volonté que nous avions depuis quelques années de construire un nouveau wagon va se concrétiser : un appel d'offres sera lancé en fin d'année par la direction générale de l'armement (DGA) pour la construction de deux cent cinquante nouveaux wagons polyvalents qui pourront transporter aussi bien des matériels de type Scorpion que des conteneurs. Cette décision illustre l'importance du ferroviaire dans les armées.

Le troisième pilier essentiel à la réalisation d'un train militaire est celui de la formation et des essais de chargement. À chaque arrivée d'un nouveau véhicule dans les armées, nous devons effectuer des essais pour vérifier le type de wagon sur lequel il peut monter, déterminer les éventuelles restrictions à son passage dans certains tunnels et évaluer la nécessité d'en démonter des éléments. Ces essais sont réalisés de façon coordonnée par des personnels de la commission centrale fer, de Fret SNCF et de la section technique de l'armée de terre (STAT) : après avoir mesuré et pesé le véhicule et avoir testé son installation sur les wagons, y compris la façon de le sangler, ils établissent une fiche de chargement que les différents régiments n'ont plus qu'à suivre. Bien sûr, le personnel de la commission doit être formé à ces matériels complexes et hautement qualifié, car il n'est pas anodin de charger un train de façon sécurisée – sans qu'une sangle ne se détache, par exemple. Au moindre problème, le train risquerait de se retrouver bloqué dans un pays étranger, ce qui nous placerait dans une situation complexe.

J'en arrive au dernier pilier : nous avons bien sûr besoin d'une entreprise ferroviaire pour assurer la circulation. Le 8 décembre 2021, un marché à concurrence européenne a été remporté par Fret SNCF pour une durée de sept ans. Il y a donc bien une relation contractuelle entre le ministère des armées et Fret SNCF, dans le cadre de laquelle l'entreprise a mis à notre disposition des équipes dédiées. Une dizaine de personnes, basées à Lyon, travaillent ainsi exclusivement sur la conception des trains militaires. À Paris, une cellule présence fret est en mesure de nous renseigner en temps réel, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur la position de nos trains. L'entreprise nous propose également d'autres prestations, notamment de gardiennage ou d'escorte.

Au début de la crise ukrainienne, nous avons dû agir très vite et la plus grande partie des matériels est partie en avion ; dans les mois qui ont suivi, cependant, le général a constaté une inertie s'agissant du recours à la voie ferrée, en raison de délais trop longs et d'un léger manque de réactivité. Après un travail collaboratif de plusieurs mois entre Fret SNCF et le ministère des armées, nous sommes parvenus à améliorer nos circulations. Les délais de commande des trains sans avis de transport exceptionnel ont été divisés par trois, passant de quarante-cinq à quinze jours. Nous avons réussi à mettre en œuvre des trains de munitions vers l'étranger – les Pays baltes, la Pologne et la Roumanie –, ce que nous ne savions pas faire auparavant. Enfin, nous avons établi les procédures pour bâcher les véhicules que nous cédons aux Ukrainiens, conformément à la demande qui nous était faite. Nous avons ainsi pu compter sur Fret SNCF, le partenaire historique des armées françaises.

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