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Intervention de Michèle Tabarot

Réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 18h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Tabarot, rapporteure :

Je suis très heureuse de revenir devant la commission des Affaires culturelles et de l'éducation à laquelle je suis très attachée. Ayant eu l'honneur de la présider, je sais la qualité du travail qui y est réalisé.

Je connais aussi le très grand intérêt que vous portez à notre système éducatif et à son bon fonctionnement. Aussi j'espère que vous soutiendrez majoritairement cette proposition de loi transpartisane, qui a pour objet de sauvegarder les jardins d'enfants. Nous avons pu entendre une quinzaine d'acteurs concernés par la question – la direction générale de la cohésion sociale et la direction générale de l'enseignement scolaire, les représentants des professionnels et des jardins d'enfants, des parents d'élèves, et de plusieurs communes qui s'inquiètent de devoir fermer ces structures auxquelles elles sont attachées.

Ces échanges ont renforcé ma conviction que les jardins d'enfants sont les victimes involontaires de la loi pour une école de la confiance. En effet, aucune étude préalable n'avait anticipé leur disparition. Ce n'est qu'après le vote de la loi Blanquer qu'une mission d'expertise a été menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). La fin est jardins d'enfants est ainsi une conséquence imprévue de l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, de 6 à 3 ans. C'est d'ailleurs dans cette commission que, lors de l'examen de la loi de 2019, la question a été soulevée et qu'une dérogation a été accordée, jusqu'à la rentrée 2024.

Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui la possibilité de réparer cette erreur. Je veux vous en expliquer l'importance et préciser les enjeux.

Les jardins d'enfants ont une histoire séculaire : inspirés des Kindergarten allemands, ils se sont développés en France dès le début du XXe siècle. Notre pays en compte environ 250, pour 8 200 places. Soixante-dix d'entre eux ont une vocation pédagogique, et accueillent 3 000 enfants, de 3 à 6 ans, en vue de leur éducation.

Trois dimensions caractérisent ces jardins d'enfants.

Une forte dimension sociale, tout d'abord, qui remonte à leur origine : des communes plutôt défavorisées ont cherché à créer des jardins d'enfants pour développer des lieux d'apprentissage ouverts aux familles modestes. À l'heure actuelle, 22 % de ces jardins sont situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville – c'est le cas de 13 des jardins d'enfants de la ville de Paris. Ainsi, contrairement à certaines idées reçues, les jardins d'enfants se caractérisent par une grande mixité sociale, qui est même devenue leur essence.

La deuxième dimension est familiale : la relation avec les parents est centrale dans la vie des jardins d'enfants. Ces derniers sont parties prenantes de leur fonctionnement. Leur implication est toujours recherchée. Il y a aussi un véritable accompagnement des familles, qui peut aller jusqu'à un soutien à la parentalité, lorsque cela est nécessaire.

La troisième dimension est l'inclusion. Les jardins d'enfants offrent un continuum de prise en charge tout au long de la journée, ce qui est particulièrement souhaitable et rassurant pour les enfants en situation de handicap et pour leurs parents. Certains jardins d'enfants associatifs sont d'ailleurs spécialisés dans l'accueil de ces enfants. Même s'il n'existe pas de données nationales relatives à cette question, on estime que la proportion d'enfants en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers dans les effectifs actuels des jardins d'enfants est de 12 à 15 %. Durant les auditions, nous avons été informés de la situation d'enfants ayant besoin d'un accompagnement renforcé, dont les jardins d'enfants ont fermé, et qui rencontrent de grandes difficultés pour trouver un nouvel établissement, ce qui est évidemment dramatique.

La ville de Paris estime à une centaine le nombre de dossiers qui pourraient poser les mêmes difficultés à la rentrée prochaine. Celles de Strasbourg ou de Grasse, dont nous avons auditionné les représentants, nous ont fait part des mêmes préoccupations. Cette perte de chance pour les enfants en situation de handicap est une donnée essentielle de la survie des jardins d'enfants : nous ne pouvons pas l'ignorer.

Vous mesurez l'importance de ce texte : sans changement de la loi, un grand nombre de places de jardins d'enfants sera perdu à la prochaine rentrée. Cela serait très dommageable pour l'accueil des jeunes enfants, qui se caractérise déjà par un déficit de places dans notre pays.

L'adoption de cette proposition de loi permettrait d'éviter cette perte. Elle pourrait également avoir pour effet de sécuriser ces structures dont le financement par la caisse d'allocations familiales est remis en question.

Loin d'être une singularité, les jardins d'enfants sont en réalité très complémentaires des écoles maternelles. Ils peuvent même être vus comme une forme d'expérimentation dont nous pourrions nous inspirer, s'agissant d'un modèle qui fait ses preuves en Europe du Nord. Lorsque cette commission avait travaillé sur les rythmes scolaires, les jardins d'enfants étaient regardés comme un exemple à suivre pour l'organisation de la journée des élèves. Le plan d'action pour l'école maternelle, adressé en janvier dernier aux recteurs d'académie, insiste sur l'importance de créer plus de liens entre les professeurs et les professionnels de la petite enfance. Les jardins d'enfants sont la structure idéale pour y parvenir et pour créer les synergies dont nous avons tant besoin, afin de mieux accompagner les jeunes enfants dans la découverte de l'école.

La position que je défends est très largement partagée : la proposition de loi est cosignée par des représentants de quatre groupes parlementaires différents ; elle a été déposée à l'identique par des représentants de trois groupes de la NUPES. Elle est également soutenue par des membres de la majorité dont le territoire compte des jardins d'enfants.

Enfin, à l'initiative du sénateur Max Brisson, une disposition similaire a été votée par la Haute Assemblée. J'ai eu la confirmation que le Gouvernement adoptera une position de sagesse. Dès lors, le choix nous appartient. Les jardins d'enfants sont une construction historique remarquable : par notre vote, nous avons la possibilité de sauver ces établissements dont la disparition est programmée dès la fin de l'année scolaire. Saisissons donc cette chance de leur offrir un avenir.

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