Peut-être avez-vous regardé, sur la chaîne de service public France 3, le documentaire éloquent intitulé Nous, soignants ? Il s'agit d'une enquête de plus, qui met des mots sur les maux du système de santé et qui permet de mesurer que le budget que vous imposez n'est pas à la hauteur des besoins. Si un vrai débat avait eu lieu, nous aurions pu faire montrer le gouffre qui sépare ce que vous mettez sur la table pour le système de santé et les besoins réels. Nous aurions pu vous dire pourquoi ce que l'on voit à l'hôpital, ce qui est diffusé à la télévision et ce qu'analyse la Fédération hospitalière de France (FHF), disqualifie le PLFSS pour 2024, comme le précédent.
Pour l'année 2023, les besoins de financement supplémentaires s'élevaient à 3 milliards d'euros ; pour 2024, ils s'élèvent à 5 milliards. Quelle nouvelle crise ce fossé va-t-il creuser ? S'il y avait eu un débat, nous aurions pu examiner de nouvelles sources de recettes pour la sécurité sociale et discuter de l'urgence de la resocialiser, afin qu'elle continue de tenir son rôle précieux d'amortisseur de crises et de chocs.
La sécurité sociale est le bien de ceux qui n'en ont pas ; à l'inverse, ceux qui comme vous, choisissent d'en diminuer le budget représentent les gens qui ont du bien et qui ont le moins besoin d'elle ! Ce sont eux que vous écoutez lorsque vous présentez ce budget, qui n'est pas à la hauteur et que vous imposez sans débat ; c'est à eux que vous obéissez en activant le 49.3 ! Ce n'est pas à la France des classes moyennes et populaires, ni à la France souffrante, que vous vous référez.
La crise est profonde : 6,7 millions de personnes, dont 800 000 en affection longue durée (ALD), n'ont pas de médecin traitant à ce jour – vous refusez toutes les mesures que nous proposons ; pour dix personnes de plus de 75 ans, les Ehpad ne disposent que d'une seule place avec un reste à charge mensuel moyen de 1 957 euros ; l'été dernier, 163 services des urgences ont fermé, au moins ponctuellement ; le délai moyen d'accès à des consultations à l'hôpital varie d'un à quatre mois dans plus de la moitié des établissements ; en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, 45 % des établissements font état de délais d'accès aux soins ambulatoires compris entre cinq mois et plus d'un an – c'est vous dire la détresse de ce secteur ; le manque criant de reconnaissance et la pénibilité croissante nourrissent un absentéisme de l'ordre de 10 % et expliquent pourquoi les 5 % de postes de soignants non pourvus dans les hôpitaux et les centres médico-sociaux ne risquent pas d'être pourvus.
Je suis président d'un conseil territorial de santé (CTS) – cette instance locale de démocratie sanitaire – et ce que je m'apprête à dire pourrait concerner tous les hôpitaux de France et de Navarre. Savez-vous ce qu'on me dit dans les couloirs de l'hôpital ? « Monsieur le député, on s'habitue au pire. Quand les gens nous disent "de quoi vous plaignez-vous, ça va mieux que l'année dernière, la situation épidémique est moins pire !", au mieux on hausse les épaules, au pire on s'agace, mais le plus souvent, la lassitude l'emporte. »
Le « ça va mieux » est un trompe-l'œil qui rassure les agences régionales de santé (ARS) et le ministère. Pour l'instant, les épidémies hivernales sont sous contrôle, mais l'hiver est loin d'être terminé et de nombreux établissements ne disposent même pas d'un plan Hôpital en tension à la hauteur des standards demandés. Prenons l'exemple des lits d'hôpital – des lits physiques, du matériel sur lequel on allonge les malades. De nombreux établissements ont différé les investissements ces dernières années, faute de moyens. Ils ont tiré sur la corde et se retrouvent parfois avec un nombre insuffisant de lits, ce qui les empêche de cocher toutes les cases du plan Hôpital en tension – c'est vous dire ! L'hôpital a une dette d'obsolescence du matériel, par défaut d'investissement, que vous ne soupçonnez pas. Elle est invisible pour le public, mais les soignants la mesurent chaque jour dans leur travail ; cela constitue une sorte de violence institutionnelle qui pèse sur leur moral.
L'absence de capacité d'investissement et de perspectives conduit à une perte d'espoir dans le système, surtout chez les jeunes qui démarrent leur carrière. Les plus anciens supportent, parce qu'ils attendent la retraite – dont vous avez pourtant différé l'échéance.
Si le quotidien semble aller un peu moins mal que l'année dernière, sur le plan financier, c'est la douche froide : alors même que leur activité croît, les hôpitaux voient leurs déficits se creuser, réduisant comme peau de chagrin leur capacité d'investissement. L'inflation fait mal, les taux d'intérêt font mal, les banques se font prier pour prêter à l'hôpital, le système de financement fait mal. Malgré vos annonces, la tarification à l'acte reste à l'ordre du jour, et les mesures de compensation, sous la ligne de flottaison.
De nombreuses annonces sont faites sur les efforts financiers consacrés à l'hôpital, mais on n'en constate aucune traduction concrète sur le terrain. Observez les promotions des futurs directeurs et directrices : elles diminuent. C'est bien la preuve que l'absence de perspectives et d'espoir provoquée par l'incapacité de l'hôpital à investir décourage les vocations, y compris au sein des directions des établissements.
Il est compliqué de demander à une équipe de travailler sur un projet de santé en faveur de son territoire. Les professionnels estiment qu'ils ne parviennent déjà pas à accomplir leurs missions au jour le jour. Dès lors, dans ces conditions, comment établir un tel projet pour demain et après-demain ? Désormais, cette situation fait tache d'huile dans le secteur médico-social.
Madame la Première ministre, faut-il rappeler que nous ne débattons pas dans cet hémicycle dans une sorte d'entre-soi ? Les débats sont publics, ils intéressent la population pour autant qu'ils existent. Vous privez de parole les Français, ce qui provoque la colère et contribue à fragiliser la démocratie.