Madame la Première ministre, vous avez banalisé l'usage du 49.3 sur les textes budgétaires. Imperturbable, vous continuez de le dégainer, texte après texte. Si l'année dernière, vous aviez maintenu l'illusion du débat parlementaire en attendant quelques jours avant d'enclencher le 49.3, cette année, vous ne vous donnez même plus la peine de jouer la comédie. Votre dernière annonce en la matière – la vingtième – a pris à peine deux minutes ; preuve du caractère dérisoire, banal, presque anodin que revêtent à présent ces 49.3. Vous amputez les discussions avant même qu'elles aient pu avoir lieu ; vous clôturez le débat avant même qu'il ait commencé.
Mais, en réalité, recourir à cette procédure révèle votre profonde fragilité. Force est de constater que vous êtes dans l'incapacité de réunir une majorité pour faire passer vos textes austéritaires. Même les députés de votre propre camp désertent dorénavant les réunions de commission préalables aux discussions budgétaires, sachant qu'aucune modification ne se jouera là. Vous imposez du haut, sans laisser la démocratie emprunter cette voie essentielle, celle pour laquelle nous, parlementaires, avons été élus par le peuple : la représentation de la pluralité.
Projet de loi de finance (PLF) après projet de loi de finance, PLFSS après PLFSS, vous continuez de déconstruire le pacte républicain et le fondement de notre démocratie. Les 49.3 sont l'aveu de votre faiblesse. Ce mépris de la démocratie est loin d'être sans conséquence pour notre pays : au-delà de l'affront fait aux parlementaires, il a une répercussion très concrète sur la vie des Françaises et des Français, bien loin des joutes politiques et des querelles parlementaires.
À chaque fois que vous montez à la tribune pour user et abuser de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, vous ne méprisez pas seulement la représentation nationale, vous méprisez toutes les Françaises et les Français ; vous méprisez l'espoir d'une démocratie qui prend en compte chacune et chacun, et la promesse républicaine de ne laisser personne au bord de la route. En passant en force, réforme après réforme, texte après texte, vous contribuez à dégoûter un peu plus encore les Françaises et les Français de la politique. Vous méprisez leurs préoccupations et les répercussions de ces réformes sur leur quotidien. Vous donnez l'impression que le politique et la politique ne sont l'affaire que de quelques-uns, mais pas du peuple. Vous affaiblissez ainsi considérablement la promesse républicaine et démocratique. À quoi bon alors participer, manifester ou voter ?
À force de refuser de taxer les superprofits, en étant la main et l'oreille des grandes entreprises et des lobbys, vous renforcez la perception qu'ont les Français d'être dirigés par une élite faible avec les forts et forte avec les faibles. Aux puissants, on cède tout ; aux faibles, rien.
En passant en force sur la réforme des retraites, vous dédaignez les souffrances physiques et psychologiques des plus vulnérables ; en cela, vous creusez encore le gouffre entre ceux qui gouvernent et ceux qui subissent. Vous avez choisi d'ignorer des millions de Françaises et de Français qui ont marché contre votre réforme, lors d'une mobilisation historique. Vous n'avez pas entendu les sincères revendications de celles et ceux qui en ont dénoncé le caractère profondément injuste.
Plutôt que de contribuer à relever l'un des défis majeurs de notre siècle – la lutte contre le réchauffement climatique –, vous choisissez de criminaliser celles et ceux qui ne parviennent pas à se résoudre à laisser les pétroliers forer les sols et les élites construire des autoroutes pour les riches, en dépit de toutes les alertes des scientifiques, qu'ils soient climatologues ou environnementalistes.
En choisissant de passer en force, madame la Première ministre, vous trahissez la promesse républicaine et démocratique, vous manquez à votre responsabilité consistant à trouver le meilleur compromis social pour une société déjà très fragilisée et profondément fracturée. Face à l'extrême droite, votre gouvernement n'est plus le rempart qu'il a prétendu être ; il en est devenu le tremplin. À force de creuser les inégalités sociales et économiques et de mener des politiques antisociales et antiécologiques, vous devenez acteurs de la montée du populisme.