En revenant sur quelques éléments qui peuvent sembler confus, je ne désespère pas de faire changer d'avis, voire de vote, certains de nos collègues.
L'ASF est une aide versée pour l'entretien et l'éducation d'un enfant, distincte du RSA majoré qui n'est pas le sujet de notre discussion. Nous débattons ici d'une allocation versée pour un enfant, dont on reconnaît qu'il subit le préjudice de n'avoir qu'un seul parent pour subvenir à ses besoins. Monsieur Valletoux, vous évoquiez la solidarité qu'implique un acte d'état civil. Or, dans la grande majorité des cas qui nous occupent, il n'y a pas d'acte d'état civil pour justifier l'arrêt du versement de l'ASF : il suffit de vivre sous le même toit qu'un nouveau partenaire.
Certains soulèvent un autre argument : les revenus d'une famille dont un membre bénéficie de cette allocation sont supérieurs à ceux d'une autre dont aucun des parents n'a été en situation de famille monoparentale. C'est le cas pour n'importe quel ménage où une pension alimentaire est versée pour répondre au préjudice du manque de l'un des parents. Tout le monde trouve normal qu'une pension alimentaire vienne accroître le revenu d'une famille recomposée. Il ne faut pas comparer les deux cas, en partant du principe qu'une famille avec un beau-parent doit avoir le même revenu qu'une autre où il n'y en a pas. Quand vous vous remettez en couple avec un quelqu'un, peut-être que cette personne verse une pension alimentaire pour un enfant qu'elle a eu auparavant. Tout cela s'équilibre généralement d'un foyer à un autre.
À entendre certains, l'ASF déresponsabiliserait le second parent. Au contraire : le système actuel reporte sur le beau-père ou la belle-mère la charge de l'entretien de l'enfant. Si vous voulez responsabiliser le parent absent, il faut lui conserver une position par le biais de cette allocation déconjugalisée ou, le cas échéant, d'une procédure de recouvrement de pension alimentaire non payée – sujet qui, à mon avis, fait totalement consensus entre nous.
D'autres estiment que si nous validons la logique de cette proposition de loi, nous allons ouvrir la voie à toute une série de textes du même type. En laissant libre cours à notre imagination, on pourrait faire de telles projections pour tous les textes. Dans le droit français, il n'y a d'ailleurs pas beaucoup de textes comparables à celui-ci qui porte sur la déconjugalisation d'une allocation dédiée à un enfant. Les prestations destinées aux familles monoparentales et aux parents, auxquelles vous vous référez pour établir vos comparaisons, n'ont rien à voir avec l'ASF, pensée pour l'entretien et l'éducation de l'enfant.
Notre collègue Delaporte demande ce qui se passe si le parent bénéficiaire se remet en couple avec quelqu'un qui est moins payé. C'est une bonne question car ce cas de figure est apparu dans divers témoignages durant les auditions. Je pense à cette mère, en particulier, qui a expliqué qu'elle avait eu un enfant non reconnu par le père avant de se mettre en couple avec un autre homme. Or, ce dernier a perdu son emploi et s'est retrouvé au RSA parce qu'il n'avait pas cotisé suffisamment longtemps pour percevoir une allocation chômage. Passons sur le fait que cette femme supporte une charge supplémentaire compte tenu de la situation de son nouveau compagnon et concentrons-nous sur le sujet de nos débats : elle a aussi perdu l'ASF, destinée à couvrir les besoins de son enfant. Certains nous reprochent d'ailleurs de ne pas conditionner le versement de l'ASF à des niveaux de ressources, mettant l'accent sur des cas inverses du précédent, où la remise en couple se traduit par des charges moins lourdes et des revenus plus importants. En effet, nous ne voulons pas imposer des conditions de ressources. La sénatrice Laurence Rossignol et le député Boris Vallaud ont fait des propositions en ce sens, et des expérimentations, dont nous aimerions connaître un jour les résultats, ont été menées.
Lors du précédent débat, nombre de collègues nous ont demandé qui était favorable à l'indexation des salaires sur l'inflation que nous proposions. Étrangement, personne ne nous a encore demandé qui était pour la déconjugalisation de l'ASF. Pourtant, après une vingtaine d'auditions, je peux vous donner une liste de partisans de ce texte : des associations familiales telles que la Confédération syndicale des familles (CSF), l'Union nationale des associations familiales (Unaf), la Fédération syndicale des familles monoparentales, l'association Make Mothers Matter (MMM), l'Union des familles laïques (Ufal), la Collective des mères isolées, le Mouvement des mères isolées (MMI) et la Fondation des femmes ; les chercheuses de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) et du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa), que nous avons auditionnées. Même si elles abordent le sujet sous des angles différents et avec des priorités distinctes, ces personnes plaident pour la déconjugalisation de l'ASF. Elles se réclament de courants de pensée idéologiques variés, qui reflètent assez largement ceux des membres de notre commission.
Les interventions de nos collègues les plus offensifs m'étonnent. Madame Le Nabour, vous connaissez bien l'ASF – sujet sur lequel vous avez écrit – et vous avez participé activement à nos travaux. Comment pouvez-vous prendre cette allocation comme une aide destinée aux parents isolés plutôt qu'à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ? Il me semble que nous devrions concentrer nos échanges sur le principe même de cette allocation. Madame Ranc, vous avez insisté sur la notion de solidarité dans la famille. Or, la solidarité du nouveau beau-parent vis-à-vis de l'enfant n'est pas forcément acquise, sachant qu'il doit parfois verser une pension alimentaire pour un autre enfant issu d'une union précédente. Il s'agit d'adapter nos politiques familiales aux formes contemporaines de la famille.
Nous avons tous, quelle que soit notre circonscription, un grand nombre de personnes concernées par le sujet. Au cœur de la vôtre, madame Ranc, le quartier de la gare de Troyes compte 33 % de familles monoparentales. Au sud de Châteaugiron, madame Le Nabour, le taux est de 27 %. J'avais fait quelques recherches, me disant que certains députés étaient peut-être moins concernés que d'autres, pour constater que ce n'était pas le cas. Dans ces conditions, les familles monoparentales et les bénéficiaires de l'ASF vont sans doute venir dans nos permanences demander pourquoi nous n'avons pas fait un geste qui ne coûterait pas grand-chose : 800 millions d'euros par an si tous les bénéficiaires font un recours, alors que le montant correspondant aux sortants du dispositif représente 80 millions d'euros par an. Votre main ne tremble pas souvent quand vous accordez des sommes dix fois supérieures à de grandes entreprises. Ce texte nous permettrait d'avancer ensemble sur la question des solidarités familiales telle qu'elle se pose au XXIe siècle.