Depuis deux ans, les salariés français voient leur pouvoir d'achat reculer sous l'effet d'une inflation inégalée depuis trente ans. Tous les acteurs que nous avons auditionnés, y compris l'Insee et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), concordent sur ce point : le salaire mensuel de base réel diminue depuis 2021. Les données du troisième trimestre 2023 ne montrent pas de changement.
Tous les acteurs auditionnés convergent également sur l'explication des causes de l'inflation. Il s'agit d'un choc de l'offre, provoqué par le renchérissement des prix des énergies fossiles et de certaines matières premières, dû aux bouleversements successifs qui secouent l'économie mondiale : la pandémie de covid-19 et la reprise économique qui a suivi, l'impact du changement climatique provoquant une baisse des rendements agricoles et bien évidemment l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Autrement dit, les prix n'augmentent pas à cause d'un problème propre à l'économie française, ou de salaires et de minima sociaux trop élevés, mais bien en raison du contexte international, de façon similaire à ce qui s'est produit lors des chocs pétroliers des années 1970.
L'ensemble des personnes auditionnées s'accordent enfin pour dire qu'au niveau macroéconomique, ce coût supplémentaire pour l'économie française a été supporté par les salariés. En effet, les marges des entreprises se trouvent à un niveau historique très élevé alors que les cotisations patronales ont chuté de 2,4 points de PIB depuis 2018, à la suite des politiques menées par Emmanuel Macron. On observe des différences du taux de marge en fonction de la taille des entreprises – les grands groupes réalisant des marges supérieures à celles des PME –, mais globalement elles sont en augmentation dans l'économie, tout comme le versement de dividendes. Nous avons ainsi battu deux fois de suite, en 2021 puis en 2022, le record de versement de dividendes en France. En 2023, nous nous apprêtons à établir un nouveau plus haut historique puisque les dividendes versés au titre du premier semestre sont 13 % plus élevés, en comparaison à l'année dernière. C'est supérieur à la moyenne mondiale, qui est de 5 %.
L'inflation portant principalement sur l'alimentation et l'énergie, sa structure affecte sévèrement les ménages précaires et les salariés en bas et au milieu de l'échelle des revenus. Cette situation est malheureusement appelée à durer : la Banque de France ne prévoit un retour de l'inflation à un niveau proche des 2 % qu'au deuxième semestre 2025, soit dans deux ans. Surtout, la réduction de l'inflation et la baisse des prix ne sont pas la même chose : la réduction de l'inflation ne signifie pas que les prix baissent, mais seulement qu'ils augmentent plus lentement.
Il faut avoir conscience que, sans intervention du Gouvernement, les prix ne reviendront pas à leur niveau antérieur à la crise. Les Français doivent le savoir. Pire encore, le conflit au Proche-Orient pourrait bouleverser ces prévisions : la Banque mondiale alerte sur un risque de reprise de l'inflation s'il venait à s'enliser. Selon les scénarios les plus pessimistes, cela conduirait à un choc important sur le marché du pétrole. Le baril pourrait atteindre un niveau historique de cent cinquante dollars. Ceci plongerait des centaines de milliers de personnes dans la famine à travers le monde.
Après deux ans de crise sévère, nos économies ne sont toujours pas en mesure de faire face à de tels chocs extérieurs. Il faut que notre système soit mieux préparé à l'avenir. L'indexation des salaires sur l'inflation est un filet de sécurité essentiel : elle est indolore quand l'inflation est basse et elle permet d'éviter l'explosion de la pauvreté quand elle est haute.
L'ensemble des acteurs auditionnés constatent que la seule chose qui permet au pouvoir d'achat des salariés en France de ne pas s'effondrer totalement, c'est qu'un salaire au moins est indexé sur l'inflation : le Smic, perçu par 15 % des Français et revalorisé dès que l'inflation dépasse 2 %. Cela a permis d'entraîner à la hausse les salaires légèrement au-dessus du Smic, mais ils restent revalorisés en dessous de l'inflation en moyenne.
Certes, le Smic est aujourd'hui insuffisant pour vivre dignement. Nous souhaitons d'ailleurs, conformément à la volonté de 77 % des Français, son augmentation à 1 600 euros net. Mais supprimer son indexation sur l'inflation, comme le suggèrent les membres du Groupe d'experts sur le Smic, serait suicidaire. Toutes les personnes que nous avons auditionnées s'accordent sur ce point : c'est parce que le Smic était indexé sur l'inflation que la casse en matière de pouvoir d'achat des salariés a été limitée.
Non seulement ce mécanisme permet une véritable indexation des salaires des plus modestes, mais il se fonde sur une mesure de l'inflation calculée d'après leur panier de consommation. Ce n'est pas l'IPC, l'indice des prix à la consommation, qui est utilisé, mais un sous-indice de celui-ci, qui correspond au niveau de vie de ces salariés.
Qu'advient-il du reste des rémunérations ? C'est la chute libre : la baisse de pouvoir d'achat concerne l'intégralité des salariés au-dessus du Smic, soit plus de 85 % d'entre eux, et elle s'accroît avec la hiérarchie des salaires. Elles diminuent face à l'inflation depuis qu'en 1983 le Gouvernement a interdit l'échelle mobile des salaires. C'est à la négociation collective que revient la prise en compte de l'inflation dans les hausses de salaire, au niveau non seulement des branches, par la fixation des minima conventionnels, mais aussi des entreprises, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO).
Force est de constater que le mécanisme de la négociation a échoué : les salariés ont perdu 1,3 % de pouvoir d'achat en 2021 et 1 % en 2022, alors que les taux de marge des entreprises sont à leur plus haut niveau dans un grand nombre de secteurs.
Quelle a été la réponse du Gouvernement ? Un simple appel à la bonne volonté des entreprises et la mise en œuvre de primes exonérées de cotisations sociales et d'impôts. Encore une fois, ce sont les salariés et les contribuables qui payent le prix de l'inflation à la place des entreprises. En effet, les études démontrent qu'un tiers des primes de partage de la valeur (PPV), dites « prime Macron », se substituent à des augmentations de salaire. Outre leur effet sur l'appauvrissement de notre régime de protection sociale, les primes n'offrent pas les mêmes garanties qu'une hausse de salaire à ceux qui en bénéficient. Surtout, seul un quart des salariés du privé ont touché la « prime Macron », pour un montant annuel moyen de 789 euros, soit 65 euros par mois.
Dans le même temps, les entreprises bénéficient de taux de marge qui permettraient, pour une partie d'entre elles, de revaloriser les salaires – en particulier dans certains secteurs qui ont connu plus de 65 milliards d'euros de superprofits cumulés en 2022.
Il est temps que nous, législateurs, mettions un terme à cette situation. Le taux de pauvreté atteint un niveau record depuis trente ans, vient de nous apprendre l'Insee, tant sur le nombre de personnes touchées par ce phénomène que sur l'aggravation de son intensité. C'est le principal bilan économique qui devrait nous concerner. Un tiers de nos concitoyens avouent sauter des repas au moins une fois par jour. Les actions prises ont été plus qu'inefficaces. Une partie de plus en plus importante des Français a faim. Cet hiver, ils auront froid. Et ils ont peur de l'avenir.
La proposition de loi que je vous présente est simple. Il s'agit de revenir à un système qui a existé durant des décennies en France, qui est toujours en vigueur chez nos voisins belges et luxembourgeois et qui est soutenue par 92 % des salariés, sympathisants de tous les partis politiques ici présents : l'échelle mobile des salaires indexée sur l'inflation. Nous avons rencontré le principal syndicat de Belgique : les salaires y ont augmenté de 11,6 % sur l'année 2022, suivant les prix, sans entrainer une augmentation significative du nombre de faillites. Résultat : les travailleurs en Belgique ne se sentent pas plus riches, mais ils n'ont pas non plus le sentiment d'être plus pauvres – contrairement aux travailleurs français. Le salaire médian belge est à 3 500 euros net et le Smic horaire pour les métiers pénibles, comme le nettoyage, à quatorze euros de l'heure. Réalisons-le : la France est devenue un pays socialement violent. Il faut retrouver la raison.
L'article 1er prévoit que les salaires du secteur privé augmentent deux fois par an, au 1er mars et au 1er septembre, selon un indice déterminé par une commission composée des partenaires sociaux et de représentants du monde académique.
L'article 2 permet d'indexer la rémunération des fonctionnaires sur l'inflation, par le point d'indice.
L'article 3 prévoit la création d'une caisse de péréquation des cotisations patronales, pour alléger le poids d'une telle proposition de loi pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). On sait que, pour ces acteurs économiques, augmenter les salaires est plus compliqué que pour les établissements de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes.