En préambule, je souhaite rappeler quelques principes essentiels, qui illustrent bien le positionnement du Gouvernement sur ce que nous allons évoquer aujourd'hui.
Premier principe : le logement n'est pas un bien comme les autres. Il est ancré dans les territoires, et donc sur un foncier unique, et répond à un besoin social essentiel. Le marché de l'habitat doit donc être régulé, tant sur le plan national que local, que ce soit à travers des normes, des dispositifs d'encadrement, des aides financières ou des mesures fiscales. Cette question de la régulation est essentielle.
Deuxième principe : les outils des politiques de l'habitat doivent être différenciés selon les territoires, avec des exigences de décentralisation.
Troisième principe : le logement doit pouvoir être accessible, en location comme en accession. L'insuffisance de l'offre sur certains territoires se traduit mécaniquement par une hausse des prix, tant à la location qu'à l'achat.
En outre, cette insuffisance de l'offre s'est traduite par une augmentation continue de la part des dépenses liées au logement dans le budget des ménages. Cette part peut atteindre 30 à 35 % des revenus pour les locataires, comme pour les accédants à la propriété. Hier, nous pouvions mettre entre 5 et 10 ans pour rembourser un prêt. Aujourd'hui, même avec des salaires supérieurs au salaire médian en France, peu de personnes empruntent sur moins de 20 ans.
Le succès rapide rencontré par les plateformes internet de location en courte durée, ouvrant la voie à de nouvelles formes d'hébergement de tourisme, en dehors de l'offre hôtelière et parahôtelière classique, s'est traduit par une envolée du nombre de logements mis en location touristique dans le parc de logements français, tant dans les zones touristiques que dans les métropoles, et maintenant dans certains secteurs périphériques de ces territoires.
En conséquence de ce mouvement, nous assistons à une diminution forte de la part du parc d'habitation à vocation de résidence principale depuis quelques années. Ce rétrécissement accéléré de l'offre de résidences principales accroît les déséquilibres locaux entre offre et demande et participe in fine à la hausse des prix et à une forme de désespérance sociale. Je pense notamment aux étudiants, qui ont été particulièrement touchés par cette question.
Depuis plusieurs années, de nombreux élus locaux tirent la sonnette d'alarme et réclament la mise en place d'un dispositif de régulation puissant, à même de limiter, voire contrer cette expansion incontrôlée du parc de logements touristiques de courte durée.
Une réglementation existe pourtant en la matière. Cette réglementation, relative aux changements d'usage et définie principalement dans le code de la construction et de l'habitation, aux articles L631-7 et suivants, permet aux communes, sous réserve de respecter certaines conditions, de mettre en place un dispositif d'enregistrement des demandes de changement d'usage, visant à mettre en location de courte durée des logements et à instaurer un dispositif d'autorisation de changement d'usage temporaire ou définitif, subordonné, le cas échéant, à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
La mise en œuvre de cette réglementation par les collectivités se heurte cependant sur le terrain à de nombreuses difficultés pratiques et juridiques. Les contentieux visant à annuler les règlements mis en place localement se multiplient, à l'image de Saint-Malo ou du Val d'Europe à Marne-la-Vallée.
Le présent projet de loi transpartisane, porté par des députés de plusieurs bords, propose un ensemble de mesures législatives visant à moderniser, améliorer et renforcer le régime du changement d'usage.
Je me félicite de l'arrivée devant le Parlement de cette proposition de loi, qui répond pleinement aux attentes des élus de tout bord, confrontés sur le terrain à ces difficultés, par la refonte du dispositif de régulation que constitue le changement d'usage.
Ce débat s'engagera parallèlement au démarrage d'une mission parlementaire, confiée par la Première ministre aux députés Annaïg Le Meur et Marina Ferrari, portant sur la fiscalité locative et visant à formuler des préconisations en matière d'évolution de la fiscalité, applicable aux locations meublées de courte durée, aux locations meublées de longue durée et aux locations nues de résidence principale. Ces préconisations auront vocation à être présentées devant le Parlement, pour être intégrées par voie législative.
La proposition de loi initiale a fait l'objet de très nombreux amendements parlementaires, visant à l'élargir, l'enrichir, voire la durcir sur certains points, mais également à la sécuriser sur le plan juridique.
Avant d'entrer dans le détail de la discussion parlementaire et de l'analyse des différents amendements, je tenais à vous faire part de la position du Gouvernement sur les principales dispositions portées par cette proposition de loi.
L'article 1er vise à assujettir les locations touristiques de courte durée à des obligations de décence énergétique, semblables à celles du parc locatif privé à vocation de résidence principale, pour les communes ayant mis en place un dispositif d'autorisation de changement d'usage.
Pour mémoire, les logements locatifs privés, à titre de résidence principale, ne pourront plus être mis en location au 1er janvier 2025, et sortiront du critère de la décence, si leur étiquette énergétique est « G » (au 1er janvier 2028 si l'étiquette est « F », et au 1er janvier 2034 si l'étiquette est « E »).
Je me félicite de l'application des obligations de rénovation énergétique, telles qu'elles sont proposées ici. Elles sont intéressantes à plusieurs égards.
L'objectif premier est d'éviter le basculement des logements locatifs de longue durée vers la courte durée. Nombreux sont les professionnels de l'immobilier qui ont alerté sur le risque de voir des bailleurs privés, confrontés aux obligations de décence énergétique, privilégier une reconversion de leurs biens vers des locations touristiques de courte durée. Avec cet amendement, les deux types de locations sont mis sur un pied d'égalité en matière d'obligations environnementales.
En second lieu, la disposition n'est applicable qu'aux communes mettant en place un régime de changement d'usage, de sorte qu'une commune rurale ou montagnarde, qui souhaite développer son parc de locations touristiques, ne sera pas tenue d'imposer ces obligations, ce qui répond à des demandes formulées par de nombreux élus de ces territoires. Ainsi, la liberté est laissée à toutes les communes qui le souhaitent de mettre en place le changement d'usage et l'obligation environnementale, désormais associée.
Enfin, il me semble que cette obligation ne devrait pas concerner les résidences principales, louées quelques jours par an à des touristes, par des propriétaires occupants, qui n'ont pas d'obligations énergétiques actuellement, pour le bien qu'ils occupent.
Dans l'article 2, le changement d'usage est le pivot de la régulation des meublés touristes. Sa mise en place doit être laissée à l'appréciation des communes, ainsi que le propose le texte, qui dorénavant permet, sans justification préalable, la mise en place du changement d'usage dans toutes les communes en zone tendue ou touristique, tout en permettant aux autres communes qui le souhaitent de le déployer, sous réserve d'une délibération motivée.
Afin de faciliter la justification de cette mise en place et ainsi de limiter les contentieux, tout en permettant aux acteurs publics de bénéficier d'une meilleure visibilité sur l'évolution de l'offre locative touristique, les amendements proposent de généraliser la mise en place du principe d'enregistrement, via un outil informatique national. Cette plateforme unique permettra d'améliorer la connaissance du parc et de faciliter le contrôle du respect de la réglementation, par exemple, du nombre de jours de locations autorisé pour une résidence principale. Elle est une clé de la réussite de cet outil de régulation et j'en défends donc largement le principe de mise en œuvre.
En matière d'encadrement des constructions neuves, la servitude de résidence principale proposée dans cette PPL est également un outil particulièrement attendu par certains maires. L'excès de résidences secondaires peut changer le visage d'un territoire, déséquilibrer son fonctionnement quotidien et modifier l'offre commerciale. Cette servitude, définie par les collectivités locales, garantira dans les projets neufs le maintien dans la durée de la répartition et de l'équilibre souhaité par les collectivités, entre résidences principales et résidences secondaires.
J'attire toutefois votre attention sur le risque juridique de constitutionnalité, attaché à la généralisation de cette servitude, sur l'ensemble du territoire national (hors marché tendu). Il pourrait être considéré que cette servitude, qui affecte dans la durée les possibilités de jouissance d'un bien, entrave excessivement les libertés individuelles dans des territoires où le marché local ne le justifie pas.
Enfin, concernant la fiscalité des meublés touristiques, je rappelle mon engagement pour une justice fiscale entre la location de courte durée et la location nue, destinée à encourager la location de longue durée, et a minima, à ne pas avantager les locations de courte durée par rapport aux locations à titre de résidence principale.
La fiscalité de l'immobilier est toutefois un sujet délicat, dans lequel plusieurs régimes peuvent coexister pour une même activité. Il en va par exemple des régimes dits « macro », avec abattement forfaitaire et au réel, applicable aux bénéfices industriels et commerciaux, auxquels sont assujettis les locations meublées de courte durée et de leur pendant pour les revenus fonciers tirés des locations nues de longue durée. J'ai ainsi proposé cette mission sur la fiscalité du bailleur privé. Du temps est nécessaire pour analyser et mettre en place cette fiscalité dans ces différentes composantes, au-delà des enjeux concernant les meublés touristiques, par exemple, pour les avantages fiscaux associés à l'engagement des bailleurs à pratiquer des loyers abordables.
La priorité, en matière de temps, était la création d'un outil de régulation puissant pour les communes. Les questions de fiscalité sont plus complexes et nécessitent une visibilité complète, que la mission parlementaire pourra nous garantir. J'en appelle donc absolument à une cohérence avec les propositions de la mission parlementaire qui est aujourd'hui lancée.
En conclusion, je vous informe d'ores et déjà que le Gouvernement donnera un avis favorable à la majorité des amendements étudiés aujourd'hui, qui s'insèrent dans l'économie générale des articles 1 et 2 de cette proposition de loi, sans pour autant remettre en question leur sécurité juridique, constitutionnelle.
Au-delà de la discussion de ce jour, j'espère surtout pouvoir poursuivre rapidement les travaux sur ce sujet, afin de concrétiser, au premier semestre 2024, notre engagement concernant l'encadrement des locations des meublés touristiques.