Est-il normal que le logement soit devenu un outil d'optimisation fiscale et de rendement maximal, permettant une exonération quasi totale de l'impôt ? Est-il normal que des locataires, en règle, soient mis hors de leur logement pour qu'il soit transformé en meublé de tourisme ? Est-il normal que des soignants ou des employés territoriaux dorment dans leur voiture ou au camping, entre le mois de juin et de septembre, alors que leur appartement se trouve au même moment sur un site de location de vacances ?
Plus largement, est-il normal que des travailleurs n'aient plus la capacité de vivre là où ils travaillent et que des entreprises ne se développent pas ou désertent des territoires, par manque de logements pour leurs salariés ?
Est-il normal que des jeunes ou des moins jeunes ne soient plus en capacité de vivre dans le lieu où ils ont grandi, car la spéculation immobilière a fait exploser les prix et transforme nos villes et villages en résidence de vacances ?
Est-il normal que dans des villes universitaires, le manque de logements étudiants soit inversement proportionnel à l'augmentation du nombre de meublés de tourisme ?
Est-il normal que se multiplient les appels à l'aide d'élus locaux, qui voient disparaître chaque jour des biens en faveur de logements touristiques, alors même qu'ils reçoivent un nombre croissant de sollicitations concernant l'accès au logement ?
Enfin et surtout, est-il normal que l'État subventionne ce déséquilibre délétère et ainsi la crise du logement par des avantages fiscaux injustifiés et une absence de réglementation efficace ?
Voici les questions auxquelles nous avons tenté d'apporter des réponses, par le biais de cette proposition de loi transpartisane. Du sud-ouest à la Bretagne, du littoral à la montagne, des villes au village, notre texte porte l'ambition et un objectif commun : encadrer les meublés de tourisme et favoriser le logement permanent. Il s'agit d'un enjeu de justice sociale, de justice fiscale et de cohésion des territoires.
En effet, ce phénomène ne touche pas que Biarritz ou Saint-Malo, Marseille ou Paris, mais se propage partout, jusqu'à Bourges, Orléans ou encore Caen, tant ces opérations sont lucratives.
Durant nos auditions, nous avons entendu le cri d'alarme de nombreux élus locaux, de toutes tendances politiques et de tous les territoires. Alors, agissons !
Au lendemain du congrès des maires, ce texte entend leur permettre de mettre en œuvre une politique du logement juste et équilibrée, au plus près des besoins de leur population et de leur territoire.
Oui, le meublé de tourisme permet un complément de revenu pour certains, mais il participe surtout à l'augmentation du prix des loyers pour les autres, à l'impossibilité d'acheter pour les ménages de classes moyennes, à l'accroissement du mal-logement et à la précarisation des plus fragiles. En somme, le régime actuel crée beaucoup de perdants, trop de perdants.
Chacun peut comprendre qu'avec un plafond d'abattement fiscal à 188 000 euros pour les classés, ou 77 700 euros pour les non classés, nous nous trouvons assez loin du complément de revenu.
Par ailleurs, n'oublions pas que la location de longue durée permet, elle aussi, un complément de revenu et possède des garanties mises en place par le législateur. Je pense à la garantie gratuite contre les loyers impayés, dite « Visale ». Je pense aussi, monsieur le président, à votre proposition de loi, même si je n'y souscrivais pas, et je n'y souscris toujours pas.
Si je me place du point de vue libéral (que je ne suis pas), l'État participe donc à une distorsion du marché. Pour être tout à fait clair, il ne s'agit pas d'interdire Airbnb, ou de mettre en œuvre une réglementation drastique, comme dans certains pays pourtant très libéraux, comme récemment à New York. L'objectif est bien de trouver un équilibre entre activité touristique saisonnière et vie du territoire le reste de l'année.
N'oublions pas que le caractère culturel exceptionnel de nos territoires est le fruit de plusieurs générations d'hommes et de femmes qui l'ont façonné et valorisé. Voir les habitants d'une commune partir, c'est aussi voir disparaître une partie de sa mémoire vivante et de son identité. Ces mêmes habitants, permanents, permettent aussi la présence de services publics ou de commerces de proximité, aujourd'hui menacés.
Dans certains quartiers, nous constatons une éviction de ces habitants, par la montée des prix, mais aussi plus brutalement, par des pratiques abusives, comme les faux congés pour vente ou pour reprise. 302 procédures pour congés ont été comptabilisées au tribunal de Bayonne. C'est plus qu'à Marseille, Lyon, Toulouse, Nice et Nantes réunies.
Je regrette, à ce titre, que les amendements précieux sur la taxation des transactions immobilières, de mon collègue Jean-Félix Acquaviva, ainsi que sur un délai de carence pour louer un logement en meublé touristique, à la suite d'un congé pour reprise, aient été déclarés irrecevables par notre président, particulièrement sévère, comme à son habitude.
L'intérêt économique des meublés de tourisme est un terreau pour le développement de pratiques illégales, qui insécurisent gravement les locataires. Je pense notamment aux faux congés, mais aussi aux baux frauduleux, comme le bail mobilité, utilisé abusivement, afin de générer un double revenu, issu de la location longue et courte durée.
Nous préférerons le préventif au curatif, notamment sur une thématique si importante pour la population que celle de l'habitat. Le logement n'est pas une marchandise comme une autre, et ne doit pas être traité comme telle.
C'est avec cette conviction que j'avais portée, dès le mois de février avec mon groupe, une proposition de loi en ce sens. Je me réjouis aujourd'hui que nous ayons pu travailler ensemble, avec Mme Annaïg Le Meur, pour déposer un texte commun et obtenir son inscription à l'ordre du jour.
Dans un premier temps, l'article 1er de la proposition de loi vise à étendre aux meublés de tourisme le diagnostic de performance énergétique (DPE) et le calendrier de la décence énergétique, issus de la loi « climat et résilience » du 22 août 2021, et applicable au parc locatif de logement.
Nous considérons qu'il s'agit là d'une mesure de bon sens, qui doit nous permettre, sans entrer dans les débats sur le calibrage du calendrier énergétique, d'assurer l'égalité de traitement entre les différents marchés de la location.
En outre, cet amendement sera utile pour lutter contre le phénomène, déjà constaté, des propriétaires qui prennent refuge sur le marché touristique, contre les obligations énergétiques, en retirant leur bien du marché locatif.
Nous proposerons de faire évoluer cet article pour en simplifier et clarifier l'application. En effet, plusieurs acteurs se sont émus de la création d'un nouveau dispositif d'autorisation qui se superposerait aux autres dispositions existantes en matière de meublés de tourisme.
Pour cette raison, nous avons finalement décidé d'adosser le diagnostic de performance énergétique au régime d'autorisation, qui existe déjà dans le droit : l'autorisation de changement d'usage d'un local. Nous porterons un amendement n° CE182 en ce sens, à l'article premier.
Dans le même temps, nous étendons de façon considérable le champ d'application de ce système d'autorisation de changement d'usage. Le système actuel est la fois trop limitatif et trop complexe. Désormais, toutes les communes y auront accès, sans passer par une autorisation préfectorale, soit d'office, si elles sont classées en zone tendue, soit par une délibération motivée, fondée sur une tension locative du marché local. Nous portons l'amendement n° CE178 en ce sens, à l'article 2.
Comme l'ont fait remarquer de nombreuses personnes auditionnées, il peut être contre-productif d'attendre le classement en zone tendue d'une commune, dans la mesure où ces classements prennent un certain temps à être réévalués et qu'un traitement préventif des difficultés devrait être privilégié, afin d'empêcher la survenance de tensions qu'occasionne le classement. Une telle extension semble une preuve de confiance nécessaire vis-à-vis des élus locaux, qui nous ont montré, tout au long de nos travaux préparatoires, qu'ils sont demandeurs d'outils pour traiter ces difficultés.
Ouvrir le régime d'autorisation de changement d'usage signifie doter toute commune volontariste de moyens de lutter efficacement contre la transformation du parc locatif.
En outre, nous souhaitons renforcer encore l'arsenal préventif des communes. À cet effet, nous proposons un amendement n° CE177, à l'article 2, qui dotera les territoires de la faculté, dans le cadre du régime d'autorisation, de définir le nombre maximal d'autorisations temporaires de changement d'usage qui peuvent être délivrés sur une période de cinq ans. Cette mesure, assortie d'une limitation dans la durée de cinq ans au maximum, est inspirée de dispositions mises en place à Saint-Malo, à La Rochelle ou encore à Val d'Europe, et qui ont porté leurs fruits.
En outre, nous serons favorables à de nombreux amendements qui visent à clarifier le régime du changement d'usage, afin de sécuriser les maires qui en font l'application ou à l'éteindre aux personnes morales.
Ce texte ne peut résoudre à lui seul l'ampleur de la crise en cours, mais constitue une première initiative pour permettre concrètement et rapidement aux Français de se loger dignement et durablement.