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Intervention de Kosta Kastrinidis

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 14h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires :

La direction des prêts de la Banque des territoires est responsable de l'ensemble des activités de financement du logement social. Les montants octroyés au titre du logement social et de la politique de la ville atteignent aujourd'hui environ 11 milliards d'euros (Md€) par an. Principalement destinés aux bailleurs sociaux, ils visent à soutenir l'effort de construction de logements ainsi que les travaux de rénovation thermique du parc social, de plus en plus nombreux. La Banque des territoires est légalement le financeur de référence du secteur HLM, dont elle supporte 170 Md€ de dette. Partenaire stratégique des bailleurs sociaux, elle doit s'adapter en permanence pour accompagner le mouvement HLM dans une conjoncture devenue plus complexe ces dernières années.

Je voudrais tout d'abord partager avec vous l'analyse que la Banque des territoires fait de la situation. Le monde du logement, en particulier social, est en première ligne pour assurer la nécessaire conjugaison des enjeux de cohésion sociale et de transformation écologique : nous avons la conviction que l'on ne réussira pas cette transformation si l'on ne préserve pas un modèle social fort. Or nous devrons y parvenir dans un contexte macroéconomique plus dégradé que les années précédentes. Le logement social, plus encore que d'autres secteurs, est donc appelé à accroître son volume d'investissements, à la fois pour répondre aux besoins sociétaux et pour permettre au parc HLM d'atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). À cet égard, la capacité de maîtrise d'œuvre des bailleurs sociaux leur permet d'être plus avancés que le parc d'habitat privé ou tertiaire en matière de réhabilitation thermique. C'est une chance pour notre pays, mais il faut poursuivre l'effort, en particulier pour intégrer les critères carbone dans la construction neuve et la rénovation du patrimoine.

Pour relever ces deux défis, le mouvement HLM investit un montant significatif, de 19 à 20 Md€ par an. Depuis le début du choc inflationniste en 2022, les 550 organismes qui le composent se trouvent confrontés à une difficulté supplémentaire : la remontée très rapide des taux d'intérêt et, de facto, de celui du livret A – le taux de référence auquel ils s'endettent. Une hausse d'un point du taux du livret A se traduit pour eux par 1,4 Md€ de charges financières supplémentaires. Or ce taux a été multiplié par six en 2022 ; cette hausse sans précédent depuis le choc pétrolier des années soixante-dix a une forte incidence sur leurs comptes. En parallèle, les coûts de la construction et d'autres charges ont également augmenté, créant un effet « ciseau » qui se ressent sur l'exercice 2023 et se ressentira également sur l'exercice 2024.

Néanmoins, nous n'avons pas une lecture catastrophiste de la situation du secteur HLM : celui-ci est bien géré et dispose de fondamentaux financiers très solides. Ce modèle avait déjà démontré sa résilience avant le choc inflationniste et il a su, tout en en maîtrisant ses grands ratios financiers, traverser les différentes épreuves qu'ont représenté pour lui la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « Elan », le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), puis la crise de la covid-19. Si l'on agrège les comptes de l'ensemble des bailleurs sociaux pour considérer le secteur HLM comme un macro-organisme – une simplification qui ne rend pas compte de son hétérogénéité –, on observe une progression de sa capacité d'autofinancement de 14 % environ en 2020 à 19 % en 2021. Le choc inflationniste va peser sur les exercices 2023 et 2024, mais le monde HLM dispose d'une situation financière saine et de bonnes capacités d'investissement.

Dans ce secteur, les investisseurs empruntent à long terme – sur quarante ou cinquante ans lorsqu'ils investissent dans un logement, voire sur quatre-vingts ans lorsqu'ils investissent dans le foncier en territoire tendu. Notre étude annuelle Perspectives, qui dresse l'état de santé du secteur sur le fondement des comptes arrêtés, vise à projeter les grands équilibres financiers du monde HLM en s'appuyant sur la vision prospective de nos macroéconomistes. Cet exercice est, par définition, incertain, mais il permet d'étudier la capacité d'investissement des bailleurs sociaux dans le temps long. Or l'étude que nous avons menée cette année montre, de façon marquante, qu'en dépit d'une situation financière solide en début de crise, les charges liées à la rénovation thermique et à la décarbonation du parc, qui visent à se rapprocher des cibles de la stratégie nationale bas-carbone pour les années 2030 et 2050, vont provoquer une érosion rapide des fonds propres du secteur. Ces opérations sont en effet déséquilibrées, dans la mesure où aucun mécanisme ne compense le coût des travaux d'isolation thermique ou de modification des vecteurs énergétiques. La gestion locative, qui est le « cœur de métier » des bailleurs, se trouve ainsi dégradée par les investissements réalisés. De ce fait, la hausse du nombre de rénovations, jusqu'à près de cent trente mille par an – ce qui ne permettra pas d'atteindre l'objectif fixé par la SNBC – soulève la question de la capacité des bailleurs sociaux à investir à la fois dans la transformation écologique du parc et dans de nouvelles productions. Cela nous a conduits, dans le cadre de notre étude, à envisager de réduire la production à soixante-six mille logements sociaux par an pour préserver le mouvement HLM dans le temps long, soit une réduction de plus de vingt-cinq mille unités, d'autant plus significative que les besoins actuels sont importants.

Le message que nous souhaitons formuler avec ces études objectives, qu'en tant que banquier du secteur nous sommes les seuls à pouvoir réaliser, est le suivant : il n'est pas acceptable de mener la transformation écologique au détriment de la production de logements sociaux. Il faut trouver les voies et moyens d'aider les bailleurs à articuler les deux. Ainsi, en l'absence de dispositif de soutien ou de recettes nouvelles, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », pourrait conduire les bailleurs sociaux à arbitrer leurs investissements en faveur de la rénovation et au détriment de la construction.

Une fois ce diagnostic posé, des éléments rassurants doivent néanmoins être mentionnés : le secteur HLM est régulé et bénéficie du soutien des acteurs locaux, de l'État, de la Banque des territoires mais aussi d'Action logement, qui est pour lui un autre partenaire essentiel. Comme ce fut le cas en d'autres occasions, l'ensemble des parties prenantes doit travailler de façon solidaire pour soutenir sa capacité d'investissement. C'est dans cet esprit que l'État a annoncé, en marge du congrès HLM de Nantes, la mise en place d'un fonds dédié à la rénovation énergétique des bâtiments et doté de 1,2 Md€ sur plusieurs années – d'ores et déjà inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024. Cette vision pluriannuelle, qui offre de la visibilité, est bienvenue : outre qu'elle rassurera les investisseurs, elle permettra de réduire le déséquilibre provoqué par le financement des opérations de rénovation énergétique.

Nous soutenons également le dispositif « Seconde vie » des logements locatifs sociaux. Il sera généralisé avec l'application de la prochaine loi de finances, peu de temps après le lancement de l'expérimentation – ce qui prouve sa pertinence. En adaptant des bâtiments existants, donc déjà amortis et ne nécessitant pas de nouvelle empreinte foncière, on évite en effet les opérations de démolition et on contribue à la décarbonation du parc. Nous pressentons que ce dispositif, qui permet de transformer des actifs et de reconventionner les logements, pourrait constituer un levier très intéressant pour les bailleurs sociaux, d'autant qu'il leur offrirait une plus grande souplesse en matière de gestion patrimoniale.

De notre côté, nous avons mis en œuvre de nouvelles mesures fin 2022 et en avons renforcé certaines autres à l'occasion du congrès HLM. Nous avons ainsi augmenté le montant de l'enveloppe dédiée au financement de l'éco-prêt logement social (éco-PLS), dont le taux est celui du livret A diminué de 75 points de base : il s'établit donc actuellement à 2,25 %, bien en dessous aux autres taux monétaires, qui se situent plutôt autour de 4 à 5 %. Ce financement très attractif, visant à favoriser la rénovation thermique, constitue un véritable atout pour les bailleurs sociaux. Nous avons également innové avec la création d'un outil de data science, dont l'utilisation sera totalement gratuite pour les bailleurs sociaux : il vise à cartographier la consommation énergétique de l'ensemble du parc social, afin de les aider à localiser les passoires thermiques et à identifier les pistes de décarbonation – par exemple, raccorder le parc de logements aux réseaux de chaleur passant à proximité ou utiliser le potentiel photovoltaïque des bâtiments. Nous espérons ainsi sensibiliser les bailleurs à l'enjeu de la décarbonation. Nous travaillons également avec l'Agence de la transition écologique (Ademe) à la mise en place d'un financement concessif dédié à la décarbonation : certains bailleurs qui ont isolé leurs bâtiments enregistrent de bonnes performances thermiques, mais obtiennent de moins bons résultats dans le domaine des émissions de carbone à cause du chauffage au gaz – c'est l'enjeu, vous le savez, des nouveaux diagnostics de performance énergétique (DPE). Il est important que nous puissions accompagner ces bailleurs dans les investissements qu'ils devront consentir, de façon sans doute plus autonome, pour faire évoluer le chauffage de leurs bâtiments. Le soutien de l'Ademe, experte en la matière, sera précieux à cet égard.

À l'occasion du congrès HLM, nous avons aussi annoncé des mesures de soutien à la construction de logements sociaux, notamment en diminuant les marges sur nos financements. Depuis début novembre, nous avons ainsi réduit significativement notre marge sur les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI), qui financent les logements les plus sociaux du parc HLM. Associés aux loyers les plus bas, ces prêts sont en effet les plus difficiles à équilibrer. L'enveloppe significative de 6 Md€ que nous avons débloquée permettra de couvrir les besoins des bailleurs sociaux durant deux à trois ans.

Nous avons également créé des prêts « verts » sur les prêts locatifs à usage social (PLUS), qui correspondent au milieu de la gamme des logements sociaux. Nous souhaitons ainsi aider les bailleurs à réaliser les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs de la nouvelle réglementation environnementale 2020 (RE2020) : parmi les plus exigeantes d'Europe, elle entraîne nécessairement des coûts. Au total, cette mesure permet de réduire de 600 millions d'euros les intérêts et de réinjecter cette somme dans le monde HLM.

En conclusion, je voudrais évoquer deux éléments de contexte rassurants. D'abord, la décision du ministre Bruno Le Maire de geler le taux du livret A jusqu'en janvier 2025 a trois effets très bénéfiques sur les modalités de financement du monde HLM : elle met un terme à une hausse très rapide, elle offre de la visibilité aux bailleurs sociaux et elle leur donne accès à une ressource liquide et compétitive, à l'heure où le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) atteint 4 %. Nous constatons déjà l'effet de rattrapage : après un premier semestre dégradé, le second a été dynamique et nous devrions observer en fin d'année une augmentation importante des financements liés à la rénovation énergétique – en hausse de 25 % à ce jour –, ainsi qu'une relative stabilité de ceux liés à la construction, par rapport à l'an dernier.

Enfin, la possibilité pour les bailleurs sociaux de se saisir du développement du logement intermédiaire constitue à nos yeux un autre élément structurant. Certes, le logement intermédiaire n'est pas au cœur du mandat historique du logement social, mais il offre aux bailleurs sociaux une piste pour la diversification de leurs activités. L'une des mesures figurant dans le pacte signé entre le ministre délégué chargé du logement et le monde HLM lors du Congrès permettra bientôt de porter progressivement de 10 % à 20 % la part de logement intermédiaire dans le bilan des bailleurs sociaux. Si cette évolution doit rester raisonnable afin de ne pas « cannibaliser » la production de logements sociaux, elle est néanmoins très favorable, car elle envoie un signal de souplesse. À nos yeux, le modèle HLM s'est montré résilient et continuera de l'être. C'est donc plutôt à la marge qu'il doit évoluer : s'il bénéficie du soutien de l'État, des collectivités et de la Caisse des dépôts, il doit aussi trouver des pistes de recettes nouvelles qui lui seront propres. Une plus grande souplesse dans la fixation des loyers est l'une de ces pistes. Elle doit s'accompagner de précautions, car il convient, dans une période inflationniste, de préserver le pouvoir d'achat des locataires. Néanmoins, si l'inflation dépasse 5 ou 6 % durant plusieurs années, il semble logique d'appliquer des augmentations de loyer plus élevées qu'aujourd'hui. Une autre piste est la diversification des activités que j'évoquais précédemment, par exemple avec le logement intermédiaire : celui-ci a le mérite d'avoir des loyers plus élevés, de soutenir le parcours résidentiel – ce qui le rend intéressant à tous points de vue, eu égard aux questions qui nous préoccupent aujourd'hui – et d'offrir davantage de liberté patrimoniale aux bailleurs sociaux dans la gestion de leurs grands équilibres financiers. Après une dizaine d'années, la revente des logements peut en effet engendrer des plus-values de cession, lesquelles sont susceptibles d'être réinvesties au profit du logement social.

Une dynamique vertueuse peut ainsi s'installer avec le développement du logement intermédiaire dont nous nous félicitons, dans le contexte actuel, de devenir le principal financeur – même s'il ne faut pas que nous soyons le seul. L'articulation entre logement social et logement intermédiaire figure certainement parmi les leviers qui permettront de passer le cap d'une période complexe.

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