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Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur :

Je répondrai tout d'abord à Joëlle Mélin. Je relève que le Rassemblement National entend promouvoir les migrations étudiantes en France, ce qui augmentera les flux puisqu'il s'agit là de la première source de délivrance de titres de séjour. La première source d'immigration illégale dans notre pays provient en effet de l'immigration légale : elle procède par exemple de la délivrance de visas pour les touristes qui se maintiennent sur le territoire national à l'expiration de leur visa touristique, ou du maintien illégal d'étudiants sur le territoire national à l'issue de leurs études.

Dès lors, la question est plutôt de savoir à quel type d'étudiants ces visas devraient être accordés. Je suis favorable à la conclusion de partenariats avec des filières d'excellence des pays francophones, pour des raisons stratégiques et d'influence. Le Secrétaire général de la présidence du Cameroun m'indiquait récemment que Saint-Cyr n'offrait que trois places par an aux étudiants camerounais, alors que la Russie et la Chine finançaient de nombreuses formations militaires rubis sur l'ongle. Ainsi, la démarche devrait être proactive : les établissements français d'élite pourraient rechercher de très bons profils dans les pays francophones, et un système pourrait être mis en place afin de les accompagner dans leur parcours en France. Le système serait « gagnant-gagnant » : les liens noués avec la France par les futurs médecins, officiers ou ingénieurs seraient de nature à contribuer au développement des entreprises françaises à l'étranger, en consolidant la croissance des pays d'origine. Pour parler franchement, lorsque l'on évoque l'immigration étudiante, il faut être précis et reconnaître que son utilité serait limitée pour les pays d'origine et pour la France si elle se dirigeait vers des études de sociologie ou des gender studies.

Une autre question évoquée par notre collègue du Rassemblement National a trait au Pacte européen sur la migration et l'asile. Ce Pacte vise à introduire une procédure de filtrage – dite de screening – aux frontières extérieures de l'Union. Les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui s'expliquent par la très faible exécution des mesures d'éloignement des demandeurs d'asile déboutés. La procédure de demande d'asile aux frontières de l'Union est donc un moyen efficace pour limiter la future clandestinité des déboutés de demandes d'asile au sein des pays européens. Le Pacte européen sur la migration et l'asile contribuera donc au contrôle de l'immigration, afin que celle-ci soit choisie et non plus subie.

Une logique purement nationale ou étatique ne pourrait pas fonctionner. Force est de constater que l'immigration illégale atteint des niveaux inédits au Royaume-Uni depuis sa sortie de l'Union européenne. Ceci est la preuve qu'un meilleur contrôle de l'immigration passe d'abord par un resserrement des règles au niveau européen, même si des ajustements politiques au niveau national restent bienvenus, la politique migratoire étant une compétence partagée. La gestion des flux et les contrôles aux frontières ne peuvent se faire uniquement aux frontières nationales, au risque d'entraîner la disparition de l'espace européen partagé.

Marietta Karamanli, vous avez évoqué les quatre millions de demandeurs d'asile de nationalité ukrainienne. Leur accueil est un excellent exemple de coopération européenne, mais procède d'un mécanisme de protection temporaire, dispositif plus souple offrant une protection aux personnes déplacées issues de pays en guerre.

La longueur des procédures nuit à l'exécution des mesures d'éloignement. L'examen de la demande d'asile d'un étranger peut prendre environ deux ans, entre l'examen de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le manque d'avocats spécialisés, et les difficultés pour trouver des traducteurs, en sont autant de raisons. Au cours de ce délai, les demandeurs ont pu développer une vie privée familiale, ce qui rend inopérante l'éventuelle décision de renvoi. Notre politique migratoire est donc marquée par une forme d'impuissance, en dépit des textes votés par les représentants du peuple et des décisions des juges. Si les mesures du projet de loi devraient conduire à accroître le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF), elles ne seraient pas efficaces si les obstacles à l'exécution de ces mesures n'étaient pas levés.

J'en viens aux remarques de Constance Le Grip. J'assume la nature politique de ce rapport, qui n'en reste pas moins étayé par des chiffres objectifs des instances européennes et de la direction générale des étrangers en France (DGEF). Si nous ne faisons pas de politique à l'Assemblée nationale, nous n'en ferons nulle part ! Sur un sujet qui divise la société, il est sain que plusieurs points de vue puissent s'exprimer au sein de notre Assemblée.

Vous appelez par ailleurs à la cohérence au sujet de l'article 4 bis. Je note que vos collègues sénateurs du parti présidentiel ont voté l'ensemble du projet de loi modifié par le Sénat. J'espère donc que, conformément au principe de cohérence auquel vous êtes attachée, les députés du groupe Renaissance ne supprimeront aucune des dispositions lors de l'examen en commission des Lois.

Enfin, un rapport d'information de la commission des Affaires européennes relatif à l'Union européenne face au défi migratoire, confié à Benjamin Haddad et Gabriel Amard, abordera la question du Pacte européen sur la migration et l'asile.

Notre collègue Élisa Martin défend les positions de La France Insoumise, ce qui est parfaitement cohérent. Le texte adopté au Sénat prévoit la suppression de l'Aide médicale d'État (AME), qui serait transformée en une aide médicale d'urgence destinée à sauver la vie des personnes gravement menacées tout en mettant fin aux dérives constatées. Il existe en effet un tourisme médical dont profitent des étrangers en situation régulière ou irrégulière, conduisant à la prise en charge par l'AME de certaines prothèses ou de rhinoplasties et gastroplasties. L'objectif est de préserver et sauver des vies. Le contribuable français ne doit pas pour autant assumer une charge indue et contraire à la logique assurantielle de la Sécurité sociale. Un étranger, d'autant plus clandestin, ne peut pas avoir davantage de droits qu'un Français.

Sur la question des centres de rétention administrative (CRA), le droit français devrait éviter toute surtransposition.

Avec ce projet de texte, nous sommes en train d'inscrire dans la loi une jurisprudence du juge administratif français relative à l'interdiction des mineurs de moins de seize ans dans les CRA, alors que rien n'est prévu sur ce sujet dans la directive « Retour ». Si on interdit les mineurs de moins de seize ans dans un CRA, cette mesure concernera indifféremment les mineurs isolés et les mineurs avec une famille : ainsi, la famille d'un mineur de moins de seize ans ne pourra pas être renvoyée, puisque la quasi-totalité des expulsions se fait à partir d'un CRA. Cette disposition pose ainsi une question quant à l'effectivité de la mesure d'éloignement.

Je suis d'accord avec Vincent Seitlinger qui souligne que notre politique migratoire est dépendante de nos voisins européens. Il s'agit par exemple des flux rebonds : 14 % des premières demandes d'asile viennent de personnes qui ont déjà demandé l'asile ailleurs en Europe. Il y a ainsi une question d'harmonisation entre États membres qui se pose, notamment sur l'alignement de l'allocation pour demandeur d'asile en fonction du niveau de vie des différents pays.

Pour répondre à la question des contraintes mises sur le laissez-passer consulaire, il faut effectivement ce document pour renvoyer un étranger dont on ne peut pas déterminer la nationalité. Il faut mettre des contraintes sur les États de départ pour les inciter à délivrer les laissez-passer consulaires, en utilisant comme levier la délivrance de visas ou l'aide publique au développement. Je crois que l'Agence française de développement (AFD) n'est pas assez politique, que les ambassadeurs devraient pouvoir flécher les investissements en direct.

La question que vous évoquez M. Alfandari porte sur le type d'immigration que nous souhaitons. Comment passer d'une immigration familiale, subie et sous-qualifiée, à une immigration de travail, choisie et surqualifiée ? Aujourd'hui, ceux qui viennent en France ne viennent pas avec un titre de travail, mais le plus souvent avec un titre de séjour familial. 40 % des immigrés en France ont le niveau du brevet des collèges, et occupent un emploi sous-qualifié. Dans les pays de l'OCDE, l'immigration économique est de 30 à 40 %, là où nous sommes à 15 % en France. L'immigration crée donc assez peu de valeur ajoutée, ce qui fait une différence majeure avec les autres pays de l'OCDE.

La question n'est pas seulement de faire venir des immigrés sur le territoire national : il faut pouvoir les accueillir dignement. À quel niveau ne réussissons-nous pas l'intégration en France ? C'est l'œuf ou la poule : faut-il définir les moyens par rapport au nombre de personnes entrées sur le territoire, ou définir le nombre de personnes à accueillir en fonction des moyens disponibles ? Nous en débattrons en commission des Lois et en séance.

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