L'intelligence artificielle est un sujet stratégique pour les décennies à venir, d'autant plus important qu'aujourd'hui, la France et l'Union européenne sont en retard par rapport à la Chine et aux États-Unis.
L' Artificial Intelligence Act que notre groupe a voté au Parlement européen en juin dernier est un progrès. Mais pour répondre à ce défi, la France et l'Union européenne doivent arrêter d'être obsédés par la réglementation et s'orienter vers l'investissement. Pendant que nous philosophons sur l'intelligence artificielle, sur son encadrement et sa réglementation, les Américains et les chinois, peu soucieux de ces sujets, nous distancent de plus en plus. Si nous prenons trop de retard, nous prenons le risque d'être obligés d'utiliser leurs intelligences artificielles, plus performantes et ne respectant pas notre cadre. C'est le risque de perdre sur les deux tableaux.
Or l'intelligence artificielle relève du domaine stratégique de par la collecte des données personnelles et par la puissance de calcul. Il est donc important que ces données restent sur le sol français afin d'asseoir notre souveraineté. Pour ce faire, la France peut agir sur plusieurs leviers. Il peut s'agir notamment d'augmenter le financement de la recherche et développement, de favoriser l'investissement dans la recherche privée sur ce sujet, de mieux former les générations futures, et de rémunérer à leur juste valeur les chercheurs et les professeurs.
J'aimerais insister sur ces deux derniers points. Un rapport sur l'intelligence artificielle a été fait à l'Office parlementaire et d'évaluation des choix technologiques et scientifiques (OPECTS) il y a cinq ans. À cette occasion, le responsable de formation de l'intelligence artificielle à l'École normale supérieure (ENS) Ulm s'était vu auditionné et posé la question suivante : où sont les élèves que vous avez formés sur l'intelligence artificielle ? Il y a eu un blanc de vingt à trente secondes. Ce professeur n'a trouvé aucun élève issu de notre formation qui est resté sur le territoire. Nous sommes donc capables en France de former de très grands esprits sur ces nouvelles technologies. Mais il faut réussir à ramener ces talents, qui ont été formés grâce à nos impôts.
Nous pouvons relever deux raisons à ce phénomène. D'une part, les États-Unis font des ponts d'or à nos ingénieurs avec des salaires équivalents voire supérieurs à ceux des traders de la finance. Nos compatriotes sont tellement nombreux dans la Silicon Valley, que l'on parle là-bas de « french mafia ». D'autre part, cette technologie, dans un marché libre mondial, répond à une logique de « the winner takes it all » ou, a minima, « the winner takes the most ». La Chine a par exemple réussi à développer son moteur de recherche performant en interdisant Google sur son territoire. Il y a peut-être un juste milieu à trouver dans les mesures à adopter mais, si l'on ne fait rien, on risque de perdre tout cela.